Sans aller jusqu'à crier «Boumediène réveille-toi», le «pas touche aux hydrocarbures» fait l'unanimité. Au point où chacun a pu observer que même les Algériens qui, de guerre lasse, avaient cessé de manifester le vendredi, sont sortis cette fois-ci pour aller grossir les rangs de ceux qui ont manifesté ce 34e vendredi. D'autres, rassemblés dimanche devant le Parlement, et mardi des étudiants plus nombreux que de coutume, tous – hirakistes et non hirakistes – pour dire non à l'avant-projet de loi sur les hydrocarbures. Et que le pétrole appartient au peuple et qu'à ce titre, ils ont leur mot à dire. Dès lors, nombreux sont ceux qui se sont demandé pourquoi un gouvernement, censé gérer les affaires courantes et dont la période d'intérim a pris fin constitutionnellement le 9 juillet, s'est empressé à faire adopter ce projet de texte. S'agissant d'un enjeu de taille engageant le devenir du pays, y avait-il urgence ? A-t-on pesé le pour et le contre ? N'était-il pas plus prudent de donner du temps au temps avant de décider ? Et puis qu'en est-il, en réalité, de l'état des richesses énergétiques dont regorgerait le pays et qui n'a pas été exploité ? On n'en sait rien. Qui plus est, cette loi aurait dû transiter par le Conseil national de l'énergie. Or, cette institution a été gelée par Bouteflika et n'a plus été réactivée depuis. Les hydrocarbures sont un sujet sensible. C'est une ressource vitale. Elle fait consensus parmi les Algériens depuis ce 24 février 1971 où à contre-courant d'une partie du Conseil de la révolution – Kaïd Ahmed, Ahmed Medeghri et Bouteflika n'y étaient franchement pas favorables – Houari Boumediène a décidé de nationaliser les hydrocarbures. Et quoi qu'on puisse lui reprocher a posteriori, ce jour-là Houari Boumediène a pris la bonne décision. En 2003, pensant faire plaisir à Washington et à l'Europe, Abdelaziz Bouteflika, qui voulait opérer une dénationalisation partielle du secteur de l'énergie, a dû faire marche arrière, sous la pression de plusieurs pays dont le Venezuela de Hugo Chavez et même de l'Arabie Saoudite. Ce qui ne l'a pas empêché, 15 ans plus tard, lui ou ceux qui agissaient à sa place, de charger, à la veille du 5e mandat, Ould Kaddour, réhabilité après avoir été condamné à la prison, et promu ministre de l'Energie et P-dg de Sonatrach — ça n'arrive qu'en Algérie ce genre de truc — de remettre sur le tapis l'ouverture du secteur de l'énergie au capital étranger ! Et c'est cet avant-projet de loi qu'Ould Kaddour, démissionné, n'a pas eu le temps de défendre qui, après «concertation avec les cinq plus grandes compagnies pétrolières internationales» (dixit Mohamed Arkab, le ministre de l'Energie), que le gouvernement a remis sur la table. Abdelaziz Rahabi a bien fait de rappeler sur sa page Facebook que cet avant-projet de loi ne serait qu'un «remake» de celui conçu en 2002 par l'Américain Robert W. Pleasant, ancien expert à la Banque mondiale, projet approuvé alors par l'APN en 2004 avant d'être gelé. Le rejet du texte est unanime et transcende les clivages partisans. Même les ex-partis de l'Alliance présidentielle – le FLN et le RND qui veulent rester dans le jeu – ne semblent pas en vouloir. Quant à la fédération de l'UGTA de l'énergie, elle a tout simplement dénoncé un texte conçu dans «l'opacité». Dès lors, il n'est pas impensable que cet avant-projet de loi soit rejeté par l'APN à défaut d'être retoqué si jamais il est soumis à l'examen et au vote des députés. Pour l'heure, il n'y a que le candidat Abdelmadjid Tebboune qui ne se soit pas encore exprimé. Et puisqu'on évoque, au détour de chaque discours, le patriotisme et les valeurs de Novembre, le moins qu'on puisse dire est qu'en clamant haut et fort «non» à ce projet de texte sur les hydrocarbures, le Hirak, si décrié, a fait, encore une fois, la démonstration que l'intérêt national prime sur le reste. Et, malgré la répression frappant des activistes, c'est ce même intérêt national qui guide le Hirak lorsqu'il demande pacifiquement de vendredi en vendredi et le mardi pour les étudiants, le changement démocratique d'un système qui a conduit à la situation de crise et de blocage que connaît aujourd'hui le pays. H. Z.