A l'appel de leur syndicat, les magistrats ont pesé de tout leur poids pour transformer le mouvement de grève en une démonstration de force visant à affirmer la puissance de leur organisation. Le résultat était très visible sur le terrain : les principaux tribunaux d'Alger et plusieurs autres structures similaires du reste du pays ont gelé leurs activités. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Dès le milieu de la matinée, le SNM (Syndicat national des magistrats) publie un communiqué où il annonce, triomphant, que la grève à laquelle il avait appelé la veille était déjà suivie à 96%. A Alger, on le constate notamment au niveau du tribunal de Sidi-M'hamed où se concentrent plus de 70% des affaires des Algérois, et près des 90% des dossiers liés à la corruption. Par acquit de conscience, de nombreux citoyens concernés par des affaires de justice ont tout de même tenu à se déplacer sur les lieux, mais ils s'en retournent rapidement sur conseil des avocats venus eux aussi nombreux s'enquérir de la situation en cours. Les journalistes venus couvrir l'évènement sont également informés que toutes les audiences ont été reportées à une date ultérieure. Les magistrats, cependant présents à leur poste, assurent uniquement les missions urgentes. Ces derniers ont été instruits de reporter toutes les audiences excepté celles nécessitant des référés et de ne signer aucun document judiciaire à l'exception des permis d'inhumer. Ces instructions transmises la veille au soir par le SNM précisent que les magistrats étaient, cependant, tenus d'examiner les prolongations de détention et les demandes de libération. Dans le reste de la capitale, les autres tribunaux sont paralysés de la même manière. La situation est similaire un peu partout à travers le pays. La seule voix discordante provient de la wilaya de Tindouf. Dans un communiqué, des magistrats membres du SNM se démarquent du mouvement de grève et affirment ne pas avoir été consultés pour la prise de cette décision. La même source dément l'existence d'une quelconque réunion. «Nous avons contacté plusieurs membres du conseil national du syndicat, et il s'est avéré qu'ils n'étaient pas au courant de cette réunion, de laquelle nous sommes plusieurs à nous démarquer. Nous nous démarquons aussi du contenu du communiqué, car, nous n'avons pris aucune décision», indique le texte rendu public. Le SNM répond rapidement en annonçant que le magistrat signataire de ce communiqué avait fait l'objet d'un retrait de confiance de ses pairs et qu'il allait être traduit en conseil de discipline pour s'être exprimé au nom d'une organisation à laquelle il n'appartient pas. C'est le seul cas de réserve observé. Ailleurs, à Tizi-Ouzou, les magistrats observent un rassemblement pour protester contre leur délocalisation. Samedi soir, le Syndicat national des magistrats avait annoncé avoir tenu une réunion extraordinaire pour examiner la dernière décision du ministre qui a procédé à un vaste mouvement touchant près de 3 000 magistrats. Le SNM a dénoncé une décision unilatérale validée par le Conseil national des magistrats (CNM). Dans un long texte publié en fin d'après-midi, l'organisation des magistrats expliquait que le mouvement en question était en fait destiné à «casser les structures du SNM» en procédant à des mutations massives de ses membres. Jusqu'en fin de matinée, le CSM ne s'était pas exprimé sur l'accusation dont il faisait l'objet. Le même silence était observé à ce moment au niveau du ministère de la Justice qui avait rappelé, la veille, l'interdiction faite aux magistrats de prendre part ou d'inciter à la grève. Zeghmati a tenté de se montrer aussi ferme que possible. Le bras de fer est enclenché à un moment où celui-ci se trouve pleinement engagé dans la bataille contre la corruption, considérant que celle-ci doit d'abord commencer par un assainissement du corps des juges et des procureurs, mais aussi dans un contexte où s'accélèrent les préparatifs pour la tenue de la présidentielle du 12 décembre prochain et dans laquelle les magistrats ont un rôle primordial à tenir. Ces derniers ont parié gros et ils ont réussi en parvenant à mobiliser, à geler les activités de presque tous les tribunaux du pays, mais aussi à obtenir le soutien des deux tiers du CSM qui avait validé le mouvement auquel a procédé le ministre de la Justice. Il est, en effet, près de 15 heures lorsqu'un communiqué inattendu émanant de cette haute instance annonce son soutien au SNM et affirme avoir pris la décision de geler leur validation du mouvement en question. Le texte est signé par 12 membres du Conseil qui en compte 18. Sur les douze signataires, dix ont été élus tandis que les deux autres sont issus du groupe (de six) désignés par le président de la République. Hier, les experts en matière juridique divergeaient sur la validité de la décision prise. Pour certains, le quota atteint par les magistrats signataires permettait à ceux-ci de réclamer uniquement une réunion du CSM, alors que d'autres soutenaient qu'il était doté du pouvoir de geler des décisions. Il faut dire que la sortie du CSM a donné davantage de poids à l'action menée par le SNM puisqu'il a pratiquement désavoué le ministre en déclarant que «le bureau permanent du Conseil supérieur n'a pas pu exercer pleinement des prérogatives légales dans l'élaboration du mouvement annuel annoncé en date du 24 octobre 2019 et que son rôle s'est limité à prendre connaissance de la liste finale élaborée préalablement par le ministère de la Justice suite à quoi, le CSM décide de geler les résultats du mouvement et de laisser la session du Conseil ouverte jusqu'à ce que le mouvement soit étudié de nouveau conformément à ce que nous confère la loi », concluent les douze membres du CSM signataires du communiqué. Selon les informations en notre possession, les magistrats signataires de ce document ne se sont pas réunis, préférant procéder à des consultations téléphoniques entre ses différents membres. Zeghmati a-t-il fauté ? Des sources bien au fait de la situation et auprès desquelles nous nous sommes rapprochés affirment que le ministre de la Justice a bel et bien rencontré le SNM et le CSM pour les informer de sa décision de procéder à un mouvement. Il a, dit-on, notamment insisté sur ce qu'il appelle «la règle de cinq» correspondant aux années maximum durant lesquelles les magistrats peuvent désormais occuper un poste dans les lieux où ils ont été affectés. Auparavant, dit-on encore, les personnes mutées dépassaient largement les périodes auxquelles elles étaient astreintes. Le ministère de la Justice a réagi en fin de journée en appelant «à la sagesse, à la lucidité et au sens des responsabilités en cette période sensible que traverse le pays». Il a également invité les magistrats qui se sentent lésés par le dernier mouvement à présenter des recours au Conseil national de la magistrature (CNM) qui se réunira durant la troisième semaine de novembre et qui a «toutes les prérogatives pour trancher». En début de soirée, le SNM n'avait pas encore fait connaître sa position sur le sujet. A. C.