L'Espagne votait hier pour la quatrième fois en quatre ans dans un climat alourdi par la crise catalane et la montée de l'extrême droite qui prétend la résoudre par la manière forte. A 13h GMT, la participation était de 37,93%, 3,5 points de moins que lors des dernières élections, le 28 avril. Six mois après ce scrutin qu'il avait remporté sans majorité absolue, le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez a démandé aux 37 millions d'électeurs de lui donner un mandat clair pour mettre un terme à l'instabilité politique que connaît l'Espagne depuis 2015. Après avoir voté, il a dit espérer «qu'à partir de demain, nous puissions (...) former un gouvernement et mettre l'Espagne en marche». Mais tous les sondages indiquent qu'il ne disposera pas de cette majorité nette et qu'il devra se contenter d'un gouvernement minoritaire et de négocier des appuis au cas par cas au Parlement. Les bureaux de vote ferment à 20h (19h GMT) et les résultats sont attendus deux heures plus tard environ. D'après les enquêtes d'opinion, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) perdrait plusieurs de ses 123 sièges, les conservateurs du Parti Populaire se remettraient du pire résultat de leur histoire (66 sièges), et Vox, le parti d'extrême droite entré au Parlement en avril avec 24 sièges, deviendrait la troisième force, avec plus de 40 députés. Dans tous les cas, ni un bloc de gauche (PSOE, gauche radicale Podemos et sa liste dissidente Mas Pais) ni une alliance des droites (PP, Vox et les libéraux de Ciudadanos) n'atteindraient la majorité absolue de 176 sièges sur 350. Après les nuits d'affrontements ayant fait 600 blessés mi-octobre suite à la condamnation à de longues peines de prison de neuf leaders indépendantistes pour la tentative de sécession de 2017, la Catalogne, où de nombreux renforts policiers ont été envoyés pour le scrutin, a dominé la campagne. Au profit de Vox dont le chef Santiago Abascal prône l'interdiction des partis séparatistes, la suspension de l'autonomie de la Catalogne et l'arrestation de son président indépendantiste Quim Torra. Dans son dernier meeting de campagne, vendredi soir à Madrid, ses supporters scandaient «Torra a la mazmorra !» (Torra au cachot !). «J'ai toujours voté PP mais vu la situation, je crois qu'il faut employer la manière forte» avec la Catalogne et l'immigration, autre thème central de la campagne de Vox, disait une sympathisante, Ana Escobedo. Hier, Rafael Garcia, 84 ans, indiquait avoir voté pour la droite à Madrid pour défendre l'unité de l'Espagne et les retraites», sans vouloir dire pour quel parti. Pedro Sanchez a tenté de mobiliser l'électorat de gauche contre la montée de Vox, qu'il présente comme un retour du franquisme, en dénonçant la droite qui n'a pas hésité à s'allier avec ce parti pour prendre le contrôle de l'Andalousie, la région plus peuplée d'Espagne, de la région de Madrid, la plus riche, et de la mairie de la capitale. «L'Espagne a besoin d'un gouvernement progressiste, pour tenir tête au franquisme, aux extrémistes et aux radicaux», a-t-il répété sans relâche durant la campagne. Dans un bureau de vote de Barcelone, Mari Carmen Lopez, kinésithérapeute de 25 ans, ne cachait pas sa fatigue de devoir revoter. «J'ai pensé à ne pas voter, ‘'une nouvelle fois, quel cauchemar !''. Mais j'aurais regretté si la droite et l'extrême droite gagnent», dit cette électrice de la gauche radicale de Podemos en dénonçant la radicalisation des positions sur la Catalogne. M. Sanchez ne cache pas qu'il préfère gouverner seul en minorité plutôt que de tenter de s'entendre avec Podemos après l'échec de leurs négociations l'été dernier. Il répète que les autres partis devraient laisser gouverner celui qui arrive en tête, en s'abstenant lors du vote de confiance de la chambre. Jusqu'à présent, le Parti Populaire exclut de s'abstenir. Mais la plupart des analystes s'attendent à ce qu'il finisse in extremis par le faire, pour éviter la colère des électeurs. Pour José Ignacio Torreblanca, du European Council on Foreign Relations, Sanchez projette d'obtenir «l'abstention de tous à la dernière minute, au risque de nous pousser au bord de l'infarctus».