C'est officiel. Dans un décret publié le mardi 24 septembre au Journal officiel, le roi, Felipe VI, a ordonné la dissolution du Parlement et convoqué le peuple espagnol aux urnes le 10 novembre prochain. C'est la deuxième fois cette année. La quatrième depuis 2015. Entre la crise financière et la crise catalane, l'Espagne a plongé dans une instabilité politique chronique. L'éparpillement des votes aux dernières élections et quatre dissolutions, dont la dernière a été entérinée le 24 septembre, placent le pays dans l´incertitude. Le pays se voit condamné à une répétition électorale, le 10 novembre prochain. Incapable de former un gouvernement pendant cinq mois, le Premier ministre sortant, Pedro Sanchez, est reparti en campagne mercredi en demandant aux Espagnols une majorité nette lors du prochain scrutin de novembre. Le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) avait remporté les élections générales en raflant 123 sièges au Congrès des députés. Loin de réunir les 176 sièges nécessaires pour avoir la majorité absolue. Le parti devait récolter 53 votes supplémentaires dans l'hémicycle pour que son gouvernement soit approuvé le jour de l'investiture. Les négociations avec Podemos, parti de gauche radicale, butent sur la composition du gouvernement. Pablo Iglesias, chef de file de la gauche radicale, veut un gouvernement partagé. Les socialistes préfèrent gouverner en solitaire, appuyés par Podemos depuis l'extérieur. Les troupes de Pablo Iglesias ne disposent que de 42 sièges. Pour former une majorité absolue, il aurait fallu une coalition PSOE-Podemos en s´appuyant également sur le vote de partis plus petits (ERC). Entre ces partis, il y a des indépendantistes, qui ont déjà fait tomber les deux derniers gouvernements. Ce qui provoque un rejet très fort d'une large partie de l'opinion publique espagnole. C'est pourquoi, le fait de devoir s'appuyer sur leur vote pour l'investiture est toujours problématique. Albert Rivera, le leader du parti de centre droit Ciudadanos, 59 sièges au Congrès, a sèchement claqué la porte à tout accord avec le PSOE, désigné comme adversaire politique en raison de sa proximité supposée avec l'indépendantisme. Dans une intervention, Pedro Sanchez a accusé les conservateurs du Parti populaire, les libéraux de Ciudadanos et la gauche radicale de Podemos de l'avoir empêché d'exercer le mandat que lui avaient confié les électeurs. «J'espère que les Espagnols donneront une majorité plus large au Parti socialiste pour que vous ne soyez plus en mesure de bloquer la formation d'un gouvernement dont l'Espagne a besoin», a lancé Pedro Sanchez à ses adversaires à la Chambre des députés. «Un gouvernement stable est nécessaire pour affronter le ralentissement de l'économie, le Brexit et la question de l'indépendantisme catalan dont les leaders attendent dans les prochaines semaines la sentence de la Cour suprême pour leur rôle dans la tentative de sécession de 2017», a-t-il ajouté. Plongés dans l'instabilité politique chronique depuis la fin du bipartisme en 2015, les électeurs espagnols affichent leur ras-le-bol. «Dans toute l'histoire de l'humanité, nous sommes le premier pays au monde à tenir quatre élections en quatre ans», a souligné Narciso Michavila, président de l'institut de sondages GAD3. Bipartisme L'Espagne est plongée dans l'instabilité politique depuis que le bipartisme a volé en éclats en 2015, avec l'entrée en force au Parlement de Podemos et de Ciudadanos. Et le Parlement est encore plus fragmenté depuis l'émergence de Vox au dernier scrutin. Les nouveaux acteurs, qui ont surgi dans le jeu politique et qui contestent le bipartisme, ne jouent plus le rôle de partis d'appui. Finies les petites formations exemptes d'ambition présidentielle. Chacun rêve de poser la couronne sur sa tête et joue sa propre partition au Parlement. Quitte à bloquer le pays. «La Constitution espagnole aurait pu prévoir que celui qui aurait la majorité soit élu», fait remarquer un analyste en politique. Le but était d'obtenir un gouvernement dont l'assise soit suffisamment solide. Mais ce type de répartition des forces en présence était plus adapté au bipartisme tel qu'il existait auparavant. Résultat, plus aucun parti n'est en mesure d'atteindre la majorité à lui seul. Et malgré cela, l'Espagne n'a jamais eu de gouvernement de coalition ces dernières années. Podemos En plein milieu de la crise économique, naît le mouvement de Los Indignados (Les Indignés), du 15 mai. Ce groupe se réunit tous les jours sur l'immense place de la Puerta del Sol, au centre de Madrid, pour protester contre les politiques d'austérité en guise de réponse du pouvoir en place. Le parti de la gauche radicale Podemos a émergé du mouvement du 15-M. Tout bascule en 2014, lors des élections européennes de mai. L'Espagne cesse alors de voter de façon traditionnelle. Elle se met à le faire pour un programme, pour le bilan d'une équipe ou pour punir les politiques au pouvoir coupables de corruption. Podemos démarre en trombe. Le mouvement se constitue officiellement comme parti en mars. En 2014, Podemos remporte cinq sièges au Parlement européen, passant de zéro à 1,2 million d'électeurs. La catalogne 10 octobre 2017. La foule est massée devant l'arc de Triomphe de Barcelone pour assister au discours du président du gouvernement local de Catalogne, Carles Puigdemont, retransmis sur écran géant. Il va proclamer l'indépendance du territoire, avant de la suspendre quelques secondes plus tard. La crise couvait depuis des années. Cet épisode fait monter la tension de plusieurs crans dans tout le pays. L'unité de l'Espagne est un sujet sensible pour nombre d'Espagnols. Surtout à droite. De l'autre côté, les indépendantistes veulent se séparer du royaume coûte que coûte. Le gouvernement de Mariano Rajoy prend le contrôle temporaire des institutions locales, en vertu de l'article 155 de la Constitution. Les instigateurs de la tentative de sécession sont poursuivis en justice, emprisonnés pour certains. Cette formule devient la norme. Ciudadanos se range désormais dans un bloc de droite, qui s'oppose frontalement à un bloc de gauche accusé d'entente avec les indépendantistes. Le débat politique se polarise autour de la question catalane, qui occulte presque tous les autres sujets. Des tensions apparaissent rapidement entre le nouveau président et ses alliés indépendantistes de circonstance, qui le lui font payer à l'heure de voter le budget 2019, en février, en s'exprimant contre. Pedro Sanchez n'a d'autre choix que d'aller à de nouvelles élections, le 28 avril. La fragmentation des votes et les majorités très serrées donnent aux indépendantistes cette position d'arbitre, qui peut faire basculer le vote d'un côté ou de l'autre. Vox Au milieu du chaos politique, un nouveau personnage entre en scène. Santiago Abascal, son bouc, son nez aquilin. Il mène le parti d'extrême droite Vox. Insignifiant jusqu'en 2018, à la fin de l'été, il remplit les salles de meeting avec un discours dur sur la Catalogne, un nationalisme espagnol exalté, défendant les valeurs traditionnelles, contre le féminisme et l'immigration. Le nouveau parti extrémiste rencontre un premier succès électoral en décembre 2018, en remportant 12 sièges au Parlement de la communauté autonome d'Andalousie. Pour arracher le gouvernement local à l'indéboulonnable majorité socialiste, le PP et Ciudadanos forment un gouvernement reposant sur le soutien «externe» de Vox. Inigo Errejón Ancien n°2 de Podemos, Inigo Errejón a annoncé, mercredi à Madrid, sa candidature aux élections législatives du 10 novembre contre son ancien «ami» Pablo Iglesias, chef du parti espagnol de gauche radicale. Sa candidature devrait entraîner une dispersion des voix à gauche. il est évident que Podemos sera la première victime de la concurrence d'Errejón. «Je suis prêt à prendre la tête d'une liste qui garantisse un gouvernement progressiste», a déclaré Errejón, docteur en sciences politiques de 35 ans au visage juvénile, dont la liste s'appellera Más País. Longtemps inséparables, Errejón et Iglesias, fondateurs du parti né en 2014 de la colère contre la politique d'austérité et la corruption, étaient en froid depuis un moment avant de rompre en janvier. Désigné tête de liste de Podemos pour la région de Madrid aux élections régionales de mai, Errejón avait alors fait scission pour former une liste commune avec la populaire maire de Madrid, Manuela Carmena. Iglesias avait fait d'Errejón le président du groupe parlementaire Podemos à la Chambre des députés en 2016, mais la relation entre les deux hommes s'était tendue jusqu'à leur affrontement pour prendre la direction du parti lors d'un congrès de Podemos en 2017. Errejón avait perdu et Iglesias avait choisi comme n°2 sa compagne, Irene Montero. En se lançant pour les élections de novembre, Errejón cherche à occuper un espace à gauche entre Podemos et le Parti socialiste du président du gouvernement, Pedro Sanchez.