Son nom n'est pas familier du grand public. Pourtant, Gérard Detourbet a transformé l'automobile contemporaine. Il est l'inventeur du concept de voiture «low cost» et a permis à Dacia, constructeur inconnu dans le monde il y a quinze ans, d'occuper une bonne place sur les différents marchés où elle est commercialisée. Peu passionné par l'automobile, mathématicien de formation, Gérard Detourbet est rentré chez Renault en 1971, au service informatique. Son franc-parler et son esprit cartésien lui permettent de rapidement progresser au sein de la Régie : on le retrouve au service logistique, puis à la prospective économique. Au début des années 1980, il pilote la partie «carrosserie» de la Renault 25, puis travaille au bureau des méthodes, chargé d'améliorer la productivité des usines. Mais c'est un passage par le placard qui lui permettra d'accomplir son œuvre majeure. En 1997, il est nommé directeur de la mécanique de Renault. Ses coups de sang agacent les pontes de Boulogne-Billancourt, racontait L'Expansion dans un portrait réalisé en 2015. Louis Schweizer, alors patron de Renault, désavoue Detourbet. A la même époque, Renault prend le contrôle de Dacia. Fondée en 1968 sous la dictature de Nicolae Ceaușescu, la marque roumaine vend encore sa 1300, fabriquée sous licence sur base de R12. Louis Schweitzer entend utiliser la marque pour conquérir les marchés émergents encore peu équipés avec une voiture simple et robuste. La direction du losange accepte d'envoyer Gérard Detourbet sur place. A la direction, personne ne se bouscule pour se rendre au chevet de la marque. A Pitesti (Roumanie), l'homme découvre une usine obsolète, à la productivité dramatique. La main-d'œuvre a subi les privatisations des années 1980 et la difficile transition vers le capitalisme pendant la décennie suivante. Gérard Detourbet est chargé de moderniser les lignes et de plancher sur le projet X90, qui deviendra la Dacia Logan. L'engin doit être fiable, résister aux routes encore difficiles de Roumanie, transporter une famille et coûter le moins cher possible. Ce faisant, il pose les jalons du «low cost». La recette ? Utiliser des pièces éprouvées (et rentabilisées) sur d'autres modèles, emboutir de vastes panneaux de carrosserie, limiter au maximum les différences entre les véhicules, trouver de nouveaux fournisseurs. La méthode ? Le design to cost. Detourbet vise un prix à la sortie de l'usine puis chiffre tous les coûts nécessaires à la fabrication au plus juste. Il demande sans cesse à ses collaborateurs de calculer le prix de chaque élément. Commercialisée en septembre 2004, la Dacia Logan est immédiatement un best-seller en Roumanie. Gérard Detourbet convainc le tandem Louis Schweitzer-Carlos Ghosn de commercialiser le modèle en France et dans d'autres regions du monde à partir de l'année suivante. Sur le catalogue, le prix est inférieur à 8 000 euros. Le succès donne naissance aux projets Sandero et Duster — que Detourbet pilote. Ces modèles sont les deux succès commerciaux majeurs de Dacia. Aujourd'hui, plus de 700 000 voitures portant le logo de la marque sont immatriculés dans le monde chaque année. En 2012, Detouebet est envoyé en Inde par Carlos Ghosn pour superviser le projet Kwid. Cette citadine fabriquée à Chennai et Curitiba est commercialisée sur les marchés émergents depuis 2014, pour un tarif d'entrée de gamme proche de 3 500 euros. Une version plus moderne de la Kwid — nommée K-ZE et bâtie sur une plate-forme adaptée — sera commercialisée d'ici deux ans en Europe après son lancement en Chine cette année. La promesse ? Permettre à Dacia d'offrir la voiture électrique la moins chère du marché, autour de 15 000 euros.