La chancelière allemande, Angela Merkel, a communiqué au téléphone avec Abdelmadjid Tebboune et Kais Saïed, le président tunisien, à propos de la crise libyenne, l'Algérie et la Tunisie, pays frontaliers de la Libye, étant directement concernés. C'est ce que l'on apprend des communiqués rendus publics par les présidences algérienne et tunisienne. Mais si Abdelmadjid Tebboune, pour l'Algérie, a été invité officiellement au sommet sur la Libye prévu incessamment à Berlin-Allemagne, ce n'est pas le cas pour notre voisin de l'Est pourtant gravement exposé aux retombées de la guerre : extension du conflit sur son territoire, exode massif des populations libyennes fuyant les combats armés. Ce petit pays du Maghreb a déjà mobilisé ses forces à la frontière mais il faut dire qu'il n'a pas les moyens de circonscrire un quelconque dérapage. A contrario, l'Algérie est sollicitée non pas par convenances diplomatiques, loin s'en faut, mais c'est eu égard à son engagement depuis de longues années dans la lutte contre le terrorisme et son rôle reconnu dans le Sahel. Angela Merkel compte profiter de l'expérience algérienne. La visite d'El-Serraj à Alger et celle du ministre turc des Affaires étrangères qui lui a emboîté le pas, pour ainsi dire, et le déploiement sur le terrain de l'armée turque, crée un nouveau contexte qui est loin de plaire au chef de guerre Khalifa Haftar. Il n'hésitera donc pas à envoyer un message clair dans le langage qui est le sien : il prend Syrte, ville côtière à 450 km de la capitale libyenne, sans coup férir dirions-nous. En effet, les forces du maréchal sont entrées sans combattre, la défense de la ville sous le contrôle des milices de El-Serraj s'est évaporée. L'option militaire a le vent en poupe pour Khalifa Haftar qui rêve plus que jamais de s'installer à Tripoli. Aujourd'hui, dans la capitale libyenne la donne a changé du tout au tout. Allons-nous assister à une confrontation directe entre les forces turques et les siennes ? Ce scénario n'est guère improbable mais sur quoi va déboucher cette logique du jusqu'auboutisme ? L'escalade décriée risque ainsi de prendre un développement imprévisible. Car, si l'implication de la Turquie permet de tenir à distance l'armée de Haftar et les milliers de mercenaires, cela a abouti à créer un état de fait tout à fait précaire. Ce «wait and see» va-t-il durer longtemps ? En tout cas les initiatives diplomatiques relancées à Alger visent à sortir de cette logique de guerre infernale aux conséquences désastreuses pour le peuple libyen avant tout. La chancelière allemande Angela Merkel veut inscrire sa démarche dans cet esprit, mais pas seule tant le dossier libyen est complexe et d'une grande sensibilité. D'où son appel à une conférence internationale, sous l'égide de l'ONU, sur la Libye, qui devait être tenue en automne dernier pour être reportée à cette première moitié de janvier 2020. Un pari difficile vu les divisions dans le camp européen et surtout les convoitises et les rivalités. Et d'abord, la Russie de Poutine qui tient le bâton par le milieu selon une expression bien de chez nous : soutien au gouvernement légitime et dans le même temps appui au maréchal. C'est qu'il lui est très difficile de perdre une présence traditionnelle inaugurée du temps d'El Gueddafi, en tant que premier pourvoyeurs d'armes. Au plan stratégique, c'est d'une vue sur la Méditerranée dont il s'agit à l'heure de la redistribution des cartes que cherche à imposer le projet américain du Grand Moyen-Orient (GMO). Les Etats-Unis soutiennent alors le chef de guerre. Mais l'activisme de la chancelière allemande intrigue. Qu'est-ce qui la fait courir ? Cela renvoie sans doute, à l'histoire ancienne et nouvelle de l'Allemagne en Libye. Pour se rafraîchir la mémoire, les observateurs notent que l'Allemagne, dans le cadre de l'Otan, a participé avec des troupes au sol dans la guerre injuste contre le guide libyen en 2011, avec pour conséquence première la destruction de l'Etat libyen comme cela apparait au grand jour. L'Allemagne a joué un rôle central dans l'installation, en 2016, du Gouvernement d'union nationale sous les auspices de l'ONU et à sa tête justement Fayez El-Serraj. L'appel à une conférence internationale à Berlin pour un processus de paix en Libye signifie aussi qu'elle compte jouer les premiers rôles dans la crise libyenne car il y va de sa part d'influence dans ce versant sud de la Méditerranée. Cela fait remonter le souvenir de la Seconde Guerre mondiale avec le célèbre renard du désert, Erwin Rommel en Libye. Plus que tout, l'histoire nous enseigne sur l'autre conférence de Berlin portant partage de l'Afrique entre les pays européens (14 en tout) en 1884-1885, et l'on y retrouve les empires de Russie et ottoman ! Sommes-nous devant un remake de l'histoire où le champ de confrontation n'est plus l'Europe mais dans cette partie du Maghreb ? L'on se demande alors si Angela Merkel a les moyens de sa politique quand on sait que les autres nations veulent aussi leur part du gâteau sur le cadavre libyen. Gageons qu'il lui faudra un fort tour de force pour rassembler le maximum de pays à la rencontre de Berlin. Jusqu'à aujourd'hui on ne sait pas vraiment lesquels sont conviés. On sait aussi que parmi les soutiens de Haftar, des pays à tradition d'ingérence dans les affaires des Etats, n'aiment pas trop voir cette dame leur ravir la vedette. Ils doivent y travailler en sous-main, ce qui ne manquera pas au chef de guerre de croire à sa bonne étoile. C'est à qui tirera pour le mieux les ficelles que reviendra la Libye dans son échiquier de puissance avec lequel il faudra compter. Haftar affûte ses armes et clame fort que les Turcs seront jetés à la mer, assuré en cela par ses soutiens au regain du colonialisme ottoman. Il faudra s'attendre à d'autres aventures (ou coups bas) du maréchal. Que lui importent les vies d'enfants innocents, l'essentiel est pour lui de s'assurer un rapport de forces en sa faveur. Brahim Taouchichet