Il va être difficile de savoir ce que le ministre de la Santé comptait obtenir des Algériens en leur disant, droit dans les yeux et avec un incroyable aplomb, que l'Etat n'a pas les ressources suffisantes pour payer les médicaments nécessaires au traitement du cancer. S'il voulait tenter le coup de la… franchise, le résultat est déjà un flop monumental. D'abord du fait que, formellement, il s'y est pris avec une choquante maladresse dans le propos, sur un ton qui ravive des plaies toujours ouvertes et douloureuses. Puis sur le fond : tout le monde sait que la santé financière du pays n'est pas flamboyante mais pas au point où ses dirigeants songeraient à faire des « économies » sur un produit aussi vital que le médicament. Quelqu'un voudrait se tirer une balle dans le pied et il ne s'y prendrait pas autrement. M. Benbouzid n'est peut-être pas une lumière mais il y a quand même des choses qu'il doit savoir, à moins qu'il ne débarque d'une autre galaxie. L'état de la santé publique est l'une des plaies les plus cuisantes des Algériens. D'abord parce qu'elle est directement liée à la… vie du citoyen, ensuite parce qu'elle a atteint un seuil de décrépitude alarmant et enfin parce qu'elle est source d'inégalités moralement insupportables. Elles sont d'autant plus monstrueuses qu'en la matière, il y a deux Algérie visibles à l'œil nu, tout le temps et partout. Il y a les privilégiés du système qui vont soigner leur rhume à l'étranger ou y faire accoucher leurs femmes pour que leur progéniture en obtienne la nationalité en vertu du « droit du sol ». Et il y a les « autres », qui peuvent mourir avec une feuille de rendez-vous pour une séance de radiothérapie jaunie sous l'oreiller. C'est aussi incompréhensible parce que ce gouvernement, en déficit de légitimité, est censé savoir qu'il n'a pas le droit à des écarts aussi manifestes. En entreprenant de convaincre qu'il constitue une rupture par rapport au régime qui l'a précédé, il devait connaître ses travers les plus délétères dont la santé est l'un des plus caractéristiques. Les Algériens savent le coût faramineux des fréquents séjours de Bouteflika dans les hôpitaux suisses ou français. Ils savent que tous les hauts responsables, civils et militaires, se soignent à l'étranger avant de revenir, cyniques, vanter les performances de la médecine nationale. Ils ont tellement appris « combien ça coûte », dans tous les sens du terme, qu'ils… s'amusent souvent à « convertir » les grands projets inutiles comme la Grande Mosquée, les détournements et les crédits non remboursables, en nombre d'hôpitaux ! Et quand le ministre de la Santé vient leur dire que le traitement du cancer n'est pas à la portée de la bourse publique, il n'est pas surpris parce qu'il n'y est pas habitué mais parce que c'est formulé aussi clairement. A un moment où ceux qui le lui disent n'ont pas besoin de ça, qui plus est. S. L.