Dans cet ouvrage, M'hamed Houaoura a recueilli quatre entretiens et témoignages importants d'acteurs ayant vécu un évènement historique majeur du XXe siècle : la guerre de Libération nationale. Ou l'histoire d'un combat mené plume à la main. Par-delà la diversité de leurs origines, de leurs trajectoires et de leurs expériences, ces témoins ont mené, en effet, une action commune et qui est le journalisme au service d'un peuple en guerre contre l'occupation coloniale. «Le combat de la presse algérienne, c'est un sujet qui avait fait l'objet de plusieurs écrits déjà. J'avais eu l'honneur et la chance de rencontrer des personnes que je considère, à juste titre, très importantes dans l'écriture d'un pan de l'histoire de l'Algérie. Ces personnes exceptionnelles m'avaient parlé du rôle de la presse écrite durant cette période cruciale de notre pays. Mon interlocutrice, Evelyne Lavalette, et mes deux interlocuteurs, Pierre Chaulet et Zahir Ihadadène, m'avaient révélé une partie de leurs histoires secrètes durant les années de combat contre la France coloniale. L'autre personnalité, l'un des pionniers de la communication en ces moments de lutte du peuple algérien pour son indépendance, Lamine Bechichi, s'est joint à cette modeste œuvre. (...) Passer des heures intenses avec trois témoins et acteurs à la fois, qui ne sont plus de ce monde, en l'occurrence Zahir Ihadadène, Pierre Chaulet et Evelyne Lavalette, fut un privilège d'une valeur inestimable. (...) Ces trois combattants pleins d'humilité m'avaient fasciné», précise l'auteur dans l'introduction. La présence du passé chargé d'émotions chez les quatre interlocuteurs recèle, en tout cas, d'étonnantes richesses. M'hamed Houaoura a pu faire quatre arrêts sur image à un moment crucial de notre histoire, arrêts à travers lesquels il a reconstitué un aspect passionnant de ce passé. Ces récits de vie acquièrent par la juxtaposition une puissance, un éclat et une richesse informative surprenants. Ici, l'intérêt se porte sur le journalisme et la communication comme armes de guerre et sur le témoignage comme restitution de l'évènement passé vécu par le témoin, mais un témoignage considéré comme un enjeu majeur quant à la lisibilité et à l'interprétabilité du passé. Ces récits de vie sont en même temps des récits mémoriels historiques. Les quatre trajectoires tendent à restituer, le plus objectivement possible, des faits personnels et historiques, chacune exprimant une mémoire individuelle représentative d'une mémoire collective. Grâce au regard critique de l'auteur, ces hommages sont fidèles aux évènements et conformes à l'historiographie. M'hamed Houaoura rappelle, dans l'introduction, pourquoi il avait voulu «immortaliser» l'action de ces militants : «La presse écrite constituait une arme psychologique redoutable qui mobilisait le peuple contre l'occupant. Les militants, témoins dans ce livre, n'avaient pas utilisé des armes à feu. Ces femmes et ces hommes, des monuments et des symboles, s'étaient enrôlés volontairement dans cette mécanique mobilisatrice pour sensibiliser le reste du monde sur la justesse de l'action concertée des populations algériennes. (...) Les militants algériens, chevaliers de la plume, armés de stylos et de volonté, s'étaient sacrifiés en propageant l'information dans les maquis, dans les villes et à l'étranger, grâce à leur journal (...)» Et de citer l'exemple de Fatima-Zohra Imalayène (Assia Djebar) : «Au mois de juin 1955, elle passe avec succès le concours d'admission à l'Ecole normale supérieure de Sèvres (France). C'est la première fois qu'une Algérienne entre dans la célèbre école. Au mois de mai 1956, le FLN lance un appel à la grève aux étudiants et aux lycéens algériens. L'intellectuelle Fatima-Zohra Imalayène, nationaliste, décide de ne pas passer ses examens pour l'obtention de la licence. Elle était solidaire avec ses compatriotes. Moins d'un trimestre plus tard, elle écrivait son premier roman sous le titre ‘'La soif''.» Elle signe sous le nom Assia Djebar, «clandestinité oblige». Suivent d'autres détails sur le parcours d'Assia Djebar, une femme parmi ceux et celles «qui avaient su accompagner ‘'l'essaim de plumes'' dans le combat pour l'indépendance de l'Algérie». Aussi bien, souligne l'auteur, «cette contribution, si modeste soit-elle, se veut surtout un acte personnel volontaire contre l'oubli, un rappel pour la mémoire collective, pour l'écriture du riche passé de notre pays». De fait, M'hamed Houaoura a produit trois récits (Lamine Bechichi ayant livré son propre parcours, écrit à la première personne) où cohabitent harmonieusement mémoire et histoire. La reconstruction objective du passé qui s'élabore l'emporte parfois sur le temps du souvenir, l'information factuelle étant privilégiée, surtout lorsqu'il s'agit de révéler des détails et autres éléments d'information inédits. C'est ce qui explique pourquoi l'auteur a opté résolument pour le «il» et le «elle» dans ces trois récits distincts mais que tout relie cependant. Zahir Ihadadène, «le journaliste militant exemplaire», a droit au premier hommage rendu. La sensibilité de l'auteur, son style qui se distingue par sa clarté et sa lisibilité en font un témoignage poignant sur un parcours exemplaire. Né en 1929 à Sidi Aïch (Béjaïa), Zahir Ihadadène est le produit d'une histoire dont il a toujours cherché à devenir le sujet : par l'éducation familiale, les traditions de lutte et de résistance dans sa région, le traumatisme du 8 mai 1945. A la médersa de Constantine où il est élève, il commence déjà à militer dans une cellule du PPA. Il poursuit son engagement militant à Alger dans les années 1950. Les évènements se précipitent après le déclenchement de la lutte armée. Rencontre avec Amara Rachid. Diplômé de l'Institut d'études supérieures islamiques d'Alger, il enseigne au collège d'enseignement général de Miliana en octobre 1955. L'année suivante (octobre 1956), Zahir Ihadadène se retrouve à Tétouan, au Maroc. C'est là qu'il intègre La résistance algérienne, un journal que le FLN éditait en arabe et en français. Il accompagne la rédaction du journal jusqu'à la parution d'El Moudjahid, journal fondé en juin 1956 et auquel il participe également par ses écrits. A la fin d'un parcours passionnant et qu'il relate dans le détail, M'hamed Houaoura rend un vibrant hommage au moudjahid de la plume «qui nous quitte en cette journée du samedi 20 janvier 2018». Dans le témoignage qui suit, Lamine Bechichi évoque lui-même son parcours. Le texte est court, mais plein d'enseignements. Le personnage, fascinant, ne manque pas de modestie et de qualités de modération de jugement. Pour ce natif de Sedrata (19 décembre 1927), le lecteur découvre un itinéraire qui «sera marqué par trois secteurs essentiels d'activité, à savoir l'enseignement, l'animation culturelle multiforme et l'information et la communication». Depuis ses premiers contacts avec les maquisards de l'ALN en mars 1955, Lamine Bechichi a connu un parcours exceptionnel dans la presse et les médias en temps de guerre, puis il a exercé sans discontinuer de 1962 à 2018 «en tant que commis de l'Etat ou cadre du parti». Le troisième «moudjahid journaliste, Pierre Chaulet» a droit à un hommage émouvant adossé à une importante recherche documentaire, en plus du témoignage recueilli auprès du concerné. Ce qui permet à M'hamed Houaoura de restituer, le plus objectivement possible, des faits personnels et historiques. «Avant le 1er Novembre 1954, Pierre Chaulet avait déjà choisi son camp d'une manière naturelle. Il est né à Alger le 27 mars 1930. Très jeune déjà, il était imprégné par les actions du mouvement national de 1952 à 1954», écrit l'auteur à l'entame du récit. Résultat, le 1er Novembre 1954 était «une délivrance pour lui» et il allait s'y engager pleinement. Lui et son épouse Claudine seront «happés par la Révolution algérienne» : contacts avec Frantz Fanon, arrestations et emprisonnements, articles de presse pour le journal L'Action, exil à Tunis... «En plus de son travail de médecin, Abane Ramdane demande à Pierre Chaulet de rejoindre le comité de rédaction en langue française du journal El Moudjahid. Par la suite, Pierre Chaulet a élaboré et mis en service un centre de documentation, dans le cadre des missions assignées par le GPRA. Autre feuille de route : la commission cinéma-son, où «Pierre Chaulet le journaliste, le médecin était appelé à préparer des documentaires sur l'Algérie combattante». Suivent des détails sur ce parcours atypique, sur la vision qu'avait Pierre Chaulet de l'Algérie post-indépendante... «Pierre Chaulet refusait cette appellation d'Algérien d'origine européenne. ‘'Je me considère Algérien d'origine algérienne tout simplement''», concluait-il. Le moudjahid Pierre Chaulet est décédé le 5 octobre 2012, quelques mois après la rencontre avec l'auteur du livre La plume et le combat. Quatrième et dernier récit de vie (ou récit mémoriel historique), celui auquel a droit la moudjahida Evelyne Lavalette, née en 1927, à Alger, décédée le 25 avril 2014 et inhumée au cimetière chrétien de Diar Essaâda. «Evelyne Lavalette, belle et élégante, vivait dans un environnement purement européen. Elle n'avait aucun contact avec ‘'les indigènes''. Du jour au lendemain, elle se retrouve dans La Casbah d'Alger, au milieu des populations algériennes, sans l'ombre d'une personne européenne. Elle était entièrement coupée de son milieu (européen) quand elle enseignait», écrit l'auteur dans ce début de présentation. C'était en 1948. La jeune femme ne pouvait savoir que son destin allait l'entraîner à devenir militante, agent de liaison, logeuse des dirigeants du FLN (si Sadek Dehilès, Amar Ouamrane, Larbi Ben M'hidi...). Elle est arrêtée, incarcérée puis libérée en août 1959, avant qu'elle ne s'exile en Suisse et enfin à Tunis pour fuir l'organisation terroriste La Main Rouge. L'épouse du militant et journaliste Abdelkader Safir a fait partie de la première Assemblée nationale de l'Algérie indépendante. M'hamed Houaoura a enrichi son ouvrage par des textes en annexe qui illustrent «toute la dimension du combat mené par les journalistes algériens» au cours des dernières décennies. Hocine Tamou M'hamed Houaoura, La plume et le combat, les témoignages (préfacé par Belkacem Ahcène Djaballah), éditions Dar El Gharb, Oran 2019, 222 pages.