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«Nous devons prévoir un scénario à l'italienne»
Entretien : Dr Yacine Zerguini (vice-président de la Commission médicale de la CAF) au Soir d'Algérie :
Publié dans Le Soir d'Algérie le 21 - 03 - 2020

La pandémie de Covid-19 n'épargne personne, ni aucun secteur d'activité. Le sport, un des plus fondamentaux vecteurs de rassemblement, en souffre plus que tous, plus que jamais. S'il ne faut pas plaider la récession, l'effondrement de l'économie des sports paraît inévitable et beaucoup de «constantes» vont disparaître. Un sujet que des experts de tous bords évoquent avec des pincettes, mais que le docteur Yacine Zerguini, chirurgien orthopédiste de renom, qui fréquente le monde des sports depuis son enfance (il est le fils du colonel Mohamed Zerguini, président du COA de 1968 à 1983) pour devenir un des acteurs du sport en Algérie puis en Afrique, tente dans cet entretien d'expliquer pour mieux anticiper la situation. En mettant en avant les contours d'une crise qui peut être jugulée par des moyens simples et efficaces. Vice-président de la commission médicale de la CAF et membre de ladite structure au niveau de la Fifa, le Dr Zerguini imagine des solutions aux différentes situations provoquées par la pandémie de coronavirus et qui impacteront la pratique sportive, ici en Algérie et ailleurs. Son analyse vaut la lecture.
Le Soir d'Algérie : Le monde traverse une grave crise sanitaire induite par le coronavirus. Tous les secteurs d'activité sont impactés et le sport n'y échappe pas.
Dr Yacine Zerguini : Il s'agit d'une pandémie. L'OMS l'a déclaré, c'est, en effet, une très grave crise sanitaire qui a surpris le monde, y compris les grandes nations et leurs grands dirigeants. Le sport business et le sport spectacle, celui de l'élite, n'y échappent pas. C'est l'une des grandes activités économiques de notre temps qui brasse de très gros budgets. Liée étroitement au monde de la communication, de l'industrie, des transports et de l'hébergement. Tout un monde, et j'en passe...
Quelles pourraient être les conséquences directes de cette pandémie sur le monde des sports qui brasse beaucoup d'argent, beaucoup d'intérêts économiques ?
Des milliards de dollars investis chaque année. Le football y tient bien évidemment une place de choix dans nos contrées, avec des droits sur les grandes compétitions qui atteignent des sommets effrayants parfois. Après une période d'effarement, de tétanisation même, durant la phase asiatique de l'épidémie, le monde s'est rendu à l'évidence très progressivement de l'avènement du désastre tant sanitaire qu'économique. Naturellement, et à juste titre, la protection des populations est la priorité absolue. Les méthodes de prévention se sont vite imposées. Les activités sportives se sont vu d'abord réglementées (huis clos) puis carrément annulées ou reportées. J'aime assez la réflexion d'un confrère et ami de notre commission à la Fifa qui a titré : Le football est la plus importante des choses pas importantes. Rien n'est aussi important que la santé et la vie... Les activités sportives de spectacle avec leurs regroupements massifs doivent s'incliner devant les recommandations des scientifiques afin de préserver la santé des populations. Ainsi, pour la CAF, par exemple, le Comité d'urgence, à sa tête le président Ahmad, qui avait sollicité notre commission pour un avis, a immédiatement reporté toutes les compétitions prévues, et ce, suite à notre avis très clair sur la dangerosité de la pandémie, même si le continent africain n'était pas le plus atteint. L'un des soucis sera probablement de gérer le calendrier des compétitions internationales.
En Algérie, le coronavirus connaît ces derniers jours une fulgurante ascension. Pourquoi à votre avis? Est-ce que l'on peut s'attendre à ce que la situation empire à très brève échéance ?
Il s'agit d'une pandémie. Notre pays ne saurait, malheureusement, y échapper avec tous les échanges que nous avons avec l'Europe surtout. L'évolution est inévitable et inéluctable. Nous pouvons, par contre, limiter fortement les dégâts par la discipline de la population et des décisions adéquates des autorités sanitaires. Il faut limiter fortement nos déplacements et se confiner. La situation risque d'empirer. Nul ne peut le prévoir de manière précise. Mais nous devons prévoir le pire, y compris, qu'à Dieu ne plaise, un scénario à l'italienne. Inch'Allah khir...
La mobilisation du corps médical ne peut atteindre ses objectifs si le citoyen lambda n'apporte pas sa contribution. Quelle pourrait être la meilleure attitude des gens pour aider à lutter contre la propagation du virus ?
La pandémie étant déclarée, il n'y a encore ni traitement préventif (vaccin), ni traitement curatif reconnu et bien établi. Les populations se doivent d'être disciplinées et de suivre les conseils et directives des autorités médicales et scientifiques. Seule la prévention, parfois contraignante et difficile à accepter, est efficace. C'est une absolue nécessité. Il faut rester chez soi, sauf en cas d'impérieuse nécessité. Il faut aider notre corps médical qui lutte vaillamment dans des conditions très difficiles, voire impossibles, du fait de l'état de nos structures de santé. Le danger peut également venir des réseaux sociaux avec la cohorte de fake-news. Du fait de l'ignorance, beaucoup peuvent succomber aux déclarations des apprentis sorciers et des charlatans de tout bord. Nous avons des gens de science, experts nationaux et internationaux. Il faut suivre leurs conseils à la lettre. Ne pas sortir, c'est rester à la maison.
«La reprise relève parfois de l'impossible».
Les autorités sportives ont été donc promptes à prendre la bonne décision de mettre le sport entre parenthèses et ne pas se contenter de la décision de jouer à huis clos. Sachant que certaines disciplines sportives sont faites exclusivement de contact.
Evidemment. Aucun doute là-dessus. En parlant du football, nous utilisons le terme de «rencontre». Ce n'est pas anodin. Du point de vue psychologique, quel intérêt d'une rencontre sans les supporters, la population en danger.
Pour le moment, le monde des sports chez nous est épargné. Aucun cas n'a été officiellement recensé. Pensez-vous que les mesures prises par les autorités sportives du pays sont derrière cette accalmie ?
Le monde du sport n'est pas épargné puisque toutes les compétitions sont à l'arrêt. Si vous pensez aux individus, cela n'a pas beaucoup d'importance. Nous déplorons toutes les victimes de ce fléau, sportives ou pas. Nos condoléances à leurs familles et proches. Rabbi yarhemhoum. L'éventuelle atteinte d'un athlète ou d'un groupe de joueurs ou d'un arbitre ou officiel aura, certainement, un impact sur la famille sportive. Je prie Dieu que cela n'arrive pas.
Désormais, nos sportifs sont confinés. Aucune activité de groupes n'est tolérée. Cette mesure qui évite la propagation cause par contre une chute de la forme sportive au niveau zéro. Comment voyez-vous la gestion de l'acquis par nos athlètes sachant que la reprise ne peut raisonnablement avoir lieu le 5 avril ?
Nous allons probablement pointer du doigt le véritable niveau de nos clubs et de sportifs d'élite. Le niveau technique des différentes fédérations, sport par sport. Et aussi le vrai niveau de professionnalisme de notre football. J'avoue avoir une petite idée de la suite, pour le football en particulier. Passer d'un programme de groupe à un programme individuel avec l'autodiscipline et l'hygiène de vie qui sied va-t-il être commode ? Pas sûr. Un principe : il est bien aisé de conserver son niveau physique (fitness) par l'exercice régulier avec la bonne fréquence, la bonne intensité et la bonne durée d'entraînement. Il est bien plus ardu de revenir à ce niveau lorsque l'on a arrêté l'activité. Un autre principe: En football, le meilleur entraînement, pour conserver sa forme, c'est le match. En termes de préparation à la compétition, rien ne vaut la compétition elle-même.
Si la compétition reprend à moyen terme (mai) et que les sportifs qui préparent les échéances internationales (JO) activent leur cursus préparatoire, quels seraient les risques encourus sur un plan physique et médical ?
A ce niveau de l'élite, la reprise de la compétition au même niveau de préparation relève parfois de l'impossible. C'est en fait l'équivalent d'un arrêt pour blessure sans le problème du temps de traitement de cette blessure. Sans compter la tentation de s'en remettre à des produits prohibés pour refaire le retard. Car n'oublions pas que l'athlète est là pour l'argent et/ou pour la gloire...
«L'apport du psychologue du sport ne sera pas de trop».
Le confinement a des conséquences sur la forme physique mais aussi sur l'équilibre mental des athlètes. Qu'est-ce que vous préconisez à ces derniers pour ne pas sombrer dans la monotonie ?
Le confinement va être une période difficile du point de vue psychologique et affectif. Surtout pour les joueurs des sports d'équipe. Moins pour les sports individuels, logiquement. L'apport du psychologue du sport ne sera pas de trop afin de préparer l'athlète à donner de lui-même pour maintenir sa forme physique et garder un moral intact. L'apport technologique et les discussions de groupe sont intéressants. Le top serait d'introduire les nouvelles applications de suivi de l'entraînement, maintenant largement diffusées et connues des athlètes professionnels et même amateurs avertis. De type «MyCoach» par exemple pour de nombreux sports. L'introduction des données pourra ainsi permettre au staff technique de suivre en temps réel la préparation, même à distance. Et même repérer les athlètes indisciplinés.
L'entraînement virtuel est-il possible en Algérie ?
Evidemment.
La saison sportive va certainement s'étaler pour déborder sur une période d'habitude réservée à la préparation. L'avis du praticien que vous êtes ne sera pas de trop pour nos associations sportives, ligues et fédérations qui, de manière générale, font appel aux médecins juste pour traiter rarement pour prévenir et anticiper ces cas exceptionnels ou encore pour réussir la préparation de leurs athlètes.
A mon humble avis, les autorités sportives, les fédérations, les ligues majeures de l'élite devraient songer à décider de clore leurs compétitions afin de préserver celles de la saison prochaine. Il va y avoir le Ramadhan et les fêtes, puis tout de suite la période de préparation. Il faut savoir raison garder et s'arrêter là. Nul ne sait, de plus, quand les compétitions pourraient reprendre. Concernant les compétitions africaines par exemple, je tiens à préciser que les autorités de la CAF n'ont jamais pris une seule décision se rapportant à la pandémie que vit le football continental sans en référer à la commission médicale. Je peux vous confirmer que toutes les décisions de report prises l'ont été après rapport de celle-ci, à l'unanimité des membres. J'ai aussi conduit, concernant le Chan, une visite d'inspection au Cameroun pour prendre toutes les informations. Nos propositions bien argumentées ont toutes été suivies d'effet, pour le Chan, comme pour toutes les autres compétitions de clubs ou des équipes nationales. Je voudrais ici saluer la clairvoyance du président Ahmad et des membres du Comité exécutif, ainsi que la parfaite organisation du secrétariat général de la Confédération.
Pour conclure, un message, des conseils…
En conclusion, je crois que nous vivons une expérience assez extraordinaire que personne ne prévoyait. Rien ne sera plus comme avant. Il y aura dans notre pays et dans le monde un avant et un après coronavirus. A tous points de vue. Après l'impact sanitaire, que nous espérons le plus bref et le plus léger possible pour tous, viendront les retombées de l'impact économique qui sera probablement assez terrible dans notre pays. Et là, aussi tout doit changer, pour le mieux. Trois mots me viennent à l'esprit, comme des messages aux nôtres :
— Compétence : Il ne faut écouter que ceux qui savent et qui en ont l'expérience et la notoriété. Seule la science véritable doit s'imposer à travers des publications sérieuses dans des revues reconnues à comité de lecture (Peer review).
— Solidarité : Le monde du sport et du football professionnel en particulier doit utiliser ce moment pour montrer sa disposition à aider la société dans ces moments tragiques. Beaucoup s'y attellent déjà parmi les institutions mondiales, les confédérations, les grands clubs et les athlètes eux-mêmes, reconnaissants.
— Transparence : L'on voit clairement que cette pandémie est une véritable guerre du virus contre l'humanité. Tout se sait et se saura. Tout doit être révélé aux populations pour qu'elles se rendent compte du danger et acceptent les dispositifs incontournables. En termes de pandémie, toutes les nations sont touchées et il n'y a aucune sorte de compétition pour le nombre de personnes contaminées ou de décès. La communication est un élément clé de la lutte contre ce fléau.
Entretien réalisé par Mohamed Bouchama


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