Les Algériens sont confinés mais pas tous. Ils ne sont ni médecins, ni infirmiers mais leurs métiers les place aux premières lignes face au coronavirus Covid-19. Ce sont les employés des commerces et administrations dits essentiels. Grâce à la continuité de leur activité, ils rendent des services indispensables aux citoyens en ces temps de pandémie. Ils sont pharmaciens, boulangers, banquiers, pompistes, … des petites mains ô combien nécessaires au bon fonctionnement de notre société, voire à sa survie. Ces héros qui bravent le danger du virus nous racontent leur quotidien. Pourquoi continuent-ils leur activité ? Comment travaillent-ils ? Et dans quelles conditions le font-ils ? Auxiliaire en pharmacie : «toujours pas de masques» Equipé d'un masque, Hakim, auxiliaire en pharmacie, reçoit toujours des clients. Ces derniers continuent, certes, à y accéder mais ne peuvent pas atteindre le comptoir. Une bâche plastique transparente et épaisse, suspendue à l'intérieur du magasin, les en empêche. «C'est pour respecter la distanciation nécessaire en cette période de pandémie de coronavirus, afin de nous protéger mais aussi de protéger les clients», explique-t-il. Outre la bavette chirurgicale, cet auxiliaire en pharmacie porte parfois des gants mais utilise fréquemment le gel hydroalcoolique pour se désinfecter les mains à chaque contact avec un client. Pour ce faire, un flacon de cette solution est disposé tout près de la caisse. Malgré le couvre-feu instauré à partir de 15h, sa pharmacie, rue Aïssat-Idir, à Sidi-M'hamed, à Alger, ne ferme pas avant 19h. Pourtant, point de clients au-delà de l'heure du couvre-feu. «Nous attendons les instructions de la Direction de la santé pour voir si nous devons continuer à travailler ou fermer à 15 heures», dit-il. Côté approvisionnement, les médicaments et produits pharmaceutiques et parapharmaceutiques arrivent toujours. Seuls les masques, les gants et les gels hydroalcooliques manquent, souligne Hakim. Selon lui, ses trois collègues et lui, qui s'alternent un jour sur deux en pharmacie, usent d'un maigre stock laissé de côté pour leur propre usage. «Mais là, nous n'avons presque plus rien. Parfois, je n'en mets plus», regrette-t-il. Agent administratif à la Cnas : «on limite les contacts au maximum» Mohamed est un agent administratif à la Cnas à Alger-Centre. Réquisitionné en cette période de pandémie de coronavirus, il continue de travailler de 8h à 13h30. Nouveau couvre-feu de 15h oblige. «L'assurance sociale est un secteur qui ne peut pas cesser son activité. Les assurés, les malades, les invalides,… ils dépendent tous de nous et leurs remboursements également», affirme ce fonctionnaire. Des assurés et des auxiliaires d'entreprises continuent justement à se rendre à la Cnas. Seulement, leur nombre a beaucoup diminué. «Ils ne viennent plus en grand nombre comme avant mais nous, nous continuons toujours à travailler», dit-il. Mais être au service du public en ces temps de crise sanitaire nécessite de bien se protéger. Dans son agence, les masques et le gel hydroalcoolique sont à disposition de tous les employés. Le nettoyage a été renforcé. Les bureaux et toutes les surfaces sont désinfectés à l'eau de Javel. Ici, la distanciation sociale est maîtresse des lieux. «Certes, nous recevons moins d'assurés, mais ceux qui viennent ont compris qu'il faut respecter la distance d'un mètre et demi entre les personnes. Ils savent qu'il ne faut ni franchir les barrières mises en place, ni entrer dans les bureaux. Le contact direct avec les personnes a été vraiment réduit», note-t-il. Pompiste : «on respecte les mesures de protection recommandées» Employé de station-service, Farès est parmi les trois préposés mobilisés en cette période de crise sanitaire. Ses collègues des services de lavage et de vidange ont été libérés suite à une note de Naftal. Aujourd'hui, seule la vente de carburant est autorisée dans ces stations. «Nous continuons à travailler car il faut bien que les véhicules circulent et que le pays ne s'arrête pas», dit-il. Inquiet ? Il ne l'est pas du tout mais compte énormément sur la protection que lui procure l'utilisation de masques, de gants et du gel hydroalcoolique. «Nous respectons les mesures de protection recommandées par les autorités. Nous portons des masques et des gants et nous utilisons du gel pour nous désinfecter les mains. Toutes les quatre heures, nous changeons de gants. Nous nous lavons les mains à l'eau de Javel et nous en remettons une nouvelle paire. À la fin de la journée, nous prenons une douche avant de rentrer chez nous», détaille-t-il. Selon lui, même la manipulation de l'argent est soumise aux règles sanitaires. «Nous ne touchons plus l'argent avec les mains nues, que ce soit à sa réception du client, pour rendre la monnaie, pour le compter et même pour le déposer à la banque. Nous utilisons toujours des gants. Après, nous nous désinfectons les mains avec du gel», explique le pompiste. Située dans le quartier dit «Les Groupes», à Sidi-M'hamed à Alger, la station-service où travaille Farès est ouverte dès sept heures du matin. Même en temps d'épidémie de coronavirus, ces pompistes ne chôment pas. Pourtant, son approvisionnement en carburant a été réduit de moitié. «Depuis le début de cette maladie, nous commandons la moitié d'un camion-citerne au lieu d'un entier en temps normal», précise Farès. Ici, les contacts avec les clients sont très fréquents. Selon ce pompiste, certains respectent la distanciation sociale recommandée, alors que d'autres la bafouent carrément. «Il y a des clients qui sont conscients et s'éloignent du pompiste au moment de faire le plein. Pour payer, ils lui tendent l'argent de loin. Alors qu'il y a d'autres qui ne se gênent pas et se tiennent tout près de leur réservoir d'essence et donc tout près du pompiste. Lorsque celui-ci leur fait la remarque, ils répondent qu'il ne faut pas avoir peur et qu'il n'y a rien à craindre. Ils ne prennent pas au sérieux cette maladie et son danger !», raconte-t-il. Banquier : «de l'humour pour détendre l'atmosphère» Fayçal est chargé d'étude dans une banque publique à Belouizdad, à Alger. Le poste qu'il occupe le contraint à travailler même en temps de pandémie. Seules les opérations de retrait d'argent et de dépôt de chèque sont concernées par le service minimum. «Il y a des postes qui ne peuvent pas rester vacants», fait-il remarquer. Ici, le télétravail est une option exclue. «Le support papier, notamment pour le service commerce extérieur, est indispensable. Ce sont des documents qui nécessitent l'apposition du cachet», explique Fayçal. À la banque, le personnel réquisitionné est doté de masques et de gants. Il y va de leur sécurité. Des règles de distanciation sociale ont été également instaurées. Pas plus d'un client en même temps dans l'agence. Devant les guichets, celui-ci est sommé de respecter une distance d'au moins un mètre. «À l'entrée, le client est d'abord soumis à un thermomètre frontal pour prélever sa température. Elle ne doit pas dépasser 38 degrés. Une fois admis à l'intérieur de la banque, le client est prié de se désinfecter les mains avec le gel hydroalcoolique que lui tend l'agent de sécurité», détaille ce fonctionnaire. Cloîtrés dans l'agence bancaire de 8h30 jusqu'à 13h30, Fayçal et ses collègues s'adonnent à des plaisanteries. «L'humour nous permet d'apaiser l'atmosphère pour baisser la pression. Nous essayons de positiver et de ne pas trop penser à la situation actuelle. C'est une petite agence et nous sommes comme une famille. La semaine dernière, une collègue, qui a été libérée au début du confinement, est venue nous apporter le déjeuner, un gratin et une salade, qu'elle nous a préparés. Ça tombait vraiment bien d'autant que les magasins de restauration sont tous fermés», raconte le jeune homme. Boulangère : «certains prennent les choses à la légère» Depuis le début du confinement partiel dans la capitale, la boulangerie de Salima, au quartier La Scala, à Oued-Koriche, sur les hauteurs d'Alger, est ouverte sept jours sur sept. Elle est la seule dans le quartier à assurer du pain en ces temps d'épidémie de coronavirus. Point de répit pour elle et ses employés. Sur ses étals, finies les viennoiseries et pâtisseries. Seul le pain est proposé. «Nous ouvrons de huit heures à 1 heure et nous ne vendons que du pain», précise la boulangère. Consciente du danger du Covid-19, Salima fait tout pour garder ce virus loin de son magasin. Ici, c'est masques et gel désinfectant pour tout le monde. «Au départ, les clients qui continuaient à entrer dans la boulangerie étaient priés de se tenir à un mètre de distance minimum, mais c'est quasiment mission impossible. Ils avaient toujours le réflexe de s'entasser et de s'agripper au comptoir. A la moindre remarque, ils répondaient qu'il n'y a qu'une seule mort et c'est Dieu qui décide de tout ! Ils sont insouciants et négligents et ne prennent pas cette maladie au sérieux», avoue-t-elle. Face à des clients qui se montrent inconscients au risque de contamination, elle a décidé de pousser le comptoir jusqu'à la porte du magasin pour bloquer l'accès. Depuis, les clients, toujours aussi indisciplinés, restent à l'extérieur. «Il faut que je sois très vigilante, pour moi mais aussi pour mes employés. Nous ne laissons plus personne entrer et nous faisons très attention à garder la distance. Nos corbeilles de pain sont stérilisées au quotidien, et nous utilisons notre propre monnaie désinfectée au préalable, la veille. Après chaque contact avec les pièces et les billets d'argent, on se lave les mains à la solution hydroalcoolique. Les pièces sont directement plongées dans un récipient plein d'eau de Javel et les billets mis dans un sac plastique à l'écart. Ils ne sont récupérés qu'après quatre jours», souligne-t-elle, avant d'ajouter, tout en sourire : «Aujourd'hui, nous avons peur même de l'argent !» Conventionnée avec des hôpitaux, la jeune boulangère continue à livrer du pain à ces établissements. Seulement, elle a dû supprimer la livraison dans des porteuses à pain. «Nous avons remplacé les corbeilles par des sacs alimentaires. Nous continuerons comme cela tant que le confinement se poursuit», conclut-elle. Rym Nasri