A Constantine, beaucoup de familles s'astreignent à une discipline rigoureuse face au risque de contamination par le Covid-19. Une atmosphère morose inédite règne dans les quartiers de la ville depuis des semaines. Samir N. est responsable de la sécurité et travaille de nuit dans une boîte pharmaceutique privée. Le patron a donné à ses employés le choix entre un congé sans solde, ou continuer à assurer leurs tâches normalement, malgré les risques de contamination par le Covid-19. Samir, compte tenu de sa responsabilité et des charges familiales, ne peut pas se permettre de renoncer à son salaire. La seule consolation est que la société lui assure, à lui et ses collègues, des masques pour se protéger. Le jour, après un sommeil sans qualité, il est confiné avec son épouse et ses trois enfants dans leur trois-pièces à Ali Mendjeli. Pas question de s'aventurer dehors et l'épouse y veille strictement. A Constantine, beaucoup de familles s'astreignent à une discipline rigoureuse face au risque de contamination par le Covid-19. Une atmosphère morose inédite règne dans les quartiers de la ville depuis des semaines. La déclaration des premiers cas et le premier décès dans la wilaya ont marqué les esprits ; les statistiques macabres, l'imposition du couvre-feu ont fini par convaincre la population de se retrancher derrière ses murs. Mais pendant la journée, Constantine n'est pas tout à fait une ville fantôme. Certes, la circulation automobile est très fluide et les rues faiblement animées, mais tout n'est pas aussi positif, hélas. Des poches urbaines demeurent en effet réfractaires à l'ordre de confinement et aux mesures préventives. C'est le cas dans les quartiers populaires, ainsi que dans les marchés, que l'Etat a choisi de laisser ouverts, et les commerces en général. Ce sont les jeunes qui sont les moins réceptifs aux conseils préventifs et à l'impératif sécuritaire. A Djenane Ezzitoune, Sonatiba (Zouaghi) et d'autres quartiers que nous avons visités pour ce reportage, des jeunes se regroupent comme si il n'y a aucune crise sanitaire ou autre pandémie. Pas de distanciation sociale, pas de port de masque, encore moins de gants, et des tapes 5, en veux-tu en voilà ! «L'un des problèmes qui nous inquiètent dans notre combat contre la propagation du Covid-19 à Constantine, c'est le manque de civisme de certaines personnes. Dans la rue et surtout dans les marchés, comme celui des Frères Bettou où j'ai pu le constater par moi-même, parmi la foule, à par moi, il n'y avait que deux personnes portant un masque», regrette le Pr Sofiane Chioukh, du CHU de Constantine. Et inversement à l'accroissement du nombre de cas déclarés atteints et les décès par le coronavirus à Constantine (officiellement 40 cas et 5 décès au 13 avril), il y a comme un relâchement cette semaine dans le comportement des citoyens. Ce qui pousse le Pr Chioukh à insister sur sa page Facebook sur un confinement total et l'instauration du couvre-feu à partir de 15h. Promiscuité au marché Relâchement. C'est aussi le terme employé par Abdelkrim Zerzouri, journaliste au Quotidien d'Oran. Rencontré au marché de fruits et légumes Ritaj de la nouvelle ville Ali Mendjeli, ce dernier s'avoue «choqué» par la fréquentation et l'insouciance des gens. La promiscuité est en effet aussi surprenante que navrante dans ces lieux qui regorgent de clients et où il y a peu de marques de protection, en comparaison avec la semaine précédente, estime-t-il. Ni les commerçants ni les clients ne semblent conscients de la gravité de la situation, en tout cas tous baissent de vigilance. Devant les étals des bouchers, des citoyens sont presque collés les uns aux autres. Les commerçants et leurs employés, sans exception, ne portent pas de masque et servent les produits à mains nues ! Cette absence de discipline est la même à l'extérieur. Ici comme dans la ville historique, Constantine, les trottoirs sont envahis par le commerce informel. Le nombre de vendeurs à l'étalage s'accroît dans l'angle mort de la surveillance policière. Sur les routes, des petits marchés se multiplient, improvisés par des vendeurs ambulants en quête de bonnes affaires en ces temps d'instabilité. Sur les quelques marches d'un café fermé suite au décret présidentiel, près de la mosquée Amr ibnou Al' As, un petit groupe de citoyens du quartier font un brin de causette. L'un d'eux est accompagné de son fils qui n'a pas encore l'âge d'aller à l'école. Aucun d'eux ne porte de masque et la distance sociale n'est pas respectée. Questionné à ce sujet, l'un d'eux reconnaît du bout des lèvres la faute et s'arque-boute derrière une conception métaphysique mettant son sort et celui des «croyants» entre les mains de Dieu. Mais son ami enchaîne et avance un argument objectif. «J'aimerais bien avoir un masque pour moi et les membres de ma famille, mais allez trouver où m'en acheter si vous pouvez», explique-t-il avec assurance et beaucoup de regrets. Le quidam n'a pas tort. Dans toutes les pharmacies que nous avons visitées à Ali Mendjeli, et il y en a des dizaines, nous n'avons même pas besoin de demander pour être édifiés. De grands écriteaux sont affichés sur les vitrines des officines annonçant : «Les masques et les gants ne sont pas disponibles». Depuis la déclaration, début mars, du foyer de contagion à Blida, et la frayeur qui a gagné progressivement la population, les Constantinois se sont rués sur les pharmacies pour s'équiper en masques, gants et gel désinfectant. Très tôt, les stocks se sont révélés vraiment limités et, à ce jour, ces outils de protection indispensables demeurent introuvables. Compte tenu de l'exiguïté des appartements de ces cités populeuses et la mentalité masculine attachée à la vie à l'extérieur, il est très difficile d'obtenir une réponse parfaite à l'impératif du confinement. Comme nous l'avons vu à Constantine, il devient vital d'approvisionner les populations en masques et de rendre accessibles tous les moyens de protection, tout en insistant sur la sensibilisation pour le respect de la distanciation sociale. Autrement, dans les conditions actuelles, le virus fera des ravages.