Le président du Syndicat national algérien des pharmaciens d'officine (Snapo), Messaoud Belambri, explique pourquoi les officines étaient, dans ce contexte de crise sanitaire, incapables de satisfaire la demande des citoyens en matière de moyens de préventionet de protection. Il revient aussi sur ces intermédiaires qui agissent dans l'ombre pour imposer des produits médicaux à des prix qui dépassent tout entendement. Liberté : En ces temps de pandémie de coronavirus, les citoyens sont très inquiets en raison de la pénurie des produits de protection et de prévention (bavettes, gel hydroalcoolique, gants...). Comment faire pour satisfaire la demande grandissante des citoyens ? Messaoud Belambri : Tout d'abord, il faut préciser que le port du masque n'est pas nécessaire pour toutes les personnes et en tous lieux. Ce masque est principalement destiné aux personnes atteintes pour qu'elles ne contaminent pas les autres personnes saines. Il est aussi destiné aux personnes exposées aux risques du fait de leur contact fréquent et inévitable avec des personnes atteintes. En fait, c'est un dispositif qui est surtout réservé au personnel soignant. Quant au gel hydroalcoolique, il est utilisable seulement lorsqu'il n'est pas possible de se laver les mains au savon. Et là aussi, nous devons rappeler aux citoyens que le meilleur moyen de se prémunir du coronavirus est de se laver les mains fréquemment avec du savon. Le recours fréquent et excessif au gel hydroalcoolique aura des conséquences négatives sur la peau et certains germes saprophytes qui nous protègent. Je rappelle, encore une fois, que le moyen le plus conseillé et le plus efficace est bien le lavage des mains au savon. Le manque en produits et dispositifs cités était prévisible, car la demande a été exponentielle, et les stocks ne pouvaient pas suffire. Les officines sont incapables de satisfaire la demande des citoyens, alors qu'on retrouve ces produits dans des commerces non autorisés et à des prix exagérés, ce qui nous pousse d'ailleurs à nous poser des questions sur leur qualité et leur origine. Le Snapo a carrément conseillé aux pharmaciens de ne pas les commercialiser si les prix sont supérieurs aux normes habituelles. Dans ce contexte de crise sanitaire, la spéculation sur des fournitures médicales de protection imposée par des intermédiaires qui n'ont aucune relation avec la pharmacie est en train de s'ériger en une "pratique commerciale" admise de tous. Comment remédier à cette situation et garantir l'approvisionnement des pharmacies d'officine de manière continue et régulière ? Le marché de la parapharmacie n'est pas aussi réglementé que celui du secteur pharmaceutique. Il y a un énorme travail à faire pour organiser ce secteur. Aujourd'hui, nous parlons de masques et de gel hydroalcoolique, demain, nous risquerons de parler de compléments alimentaires, de laits infantiles, ou d'autres produits qui peuvent porter atteinte sur le plan sanitaire et sécuritaire à nos concitoyens. Nous avons, à maintes reprises, attiré l'attention des pouvoirs publics quant à la nécessité de réserver la commercialisation de certains produits uniquement au secteur "pharmaceutique", mais nous n'avons pas été écoutés. Aujourd'hui, le résultat est là : des produits sensibles se sont retrouvés en dehors des officines, sans facture, sans garantie, et à des prix inacceptables. Des intermédiaires, qui n'ont aucune relation avec la santé ni avec la pharmacie, agissent dans l'ombre, spéculent et font la loi en matière de disponibilité. Les professionnels de santé, médecins et pharmaciens ont été obligés de demander à l'Etat de les doter, pour pouvoir continuer à exercer avec des masques depuis les stocks de sécurité de la PCH. Autrement, nous ne serons pas protégés et nous ne pourrons pas prendre en charge nos concitoyens. Comment veiller en ces temps de crise sanitaire à la qualité des produits de protection proposés sur le marché, notamment les gels hydroalcooliques, et comment s'assurer de leur provenance ? Justement, les services de contrôle doivent intervenir dans les espaces où ces produits sont commercialisés sans autorisation et vérifier leur source et leur qualité. Nous avons accueilli très favorablement l'annonce faite par certains producteurs de médicaments concernant la commercialisation du gel hydroalcoolique. Et là, il y a un gage de sécurité et de qualité. Cela jouera également en faveur de la stabilité des prix. Nous avons également demandé à ce que ces produits ne soient vendus qu'en officine. Il y a également quatre usines qui vont commencer, dans les jours qui viennent, la production massive de masques de protection. Nous espérons que la situation se stabilisera. Il faut surtout que la population comprenne que l'utilisation des masques et du gel ne doit pas être systématique. Il faut surtout privilégier le confinement et le lavage fréquent des mains au savon. Quel est l'apport du pharmacien dans la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la propagation du coronavirus ? Il faut savoir à ce titre que le Snapo et l'Unop ont lancé depuis la fin du mois de février une campagne de sensibilisation et d'information. Ils ont, à cet effet, procédé à l'impression de 50 000 affiches qui continuent à être distribuées dans toutes les officines d'Algérie, ainsi que dans les espaces publics. Nous sommes 11 000 pharmaciens répartis dans toutes les wilayas d'Algérie. La principale vocation du pharmacien, c'est le conseil, et nous jouons ce rôle au quotidien avec les millions de citoyens qui franchissent le seuil de nos officines. La pharmacie est un espace de santé ouvert à tous, à tout moment, gratuitement et sans RDV. Le pharmacien d'officine est le professionnel de santé le plus accessible. Donc, nous avons un grand rôle à jouer en matière de dispensation d'informations justes et efficaces. Le ministre délégué en charge de l'Industrie pharmaceutique a proposé, jeudi dernier, l'idée de désigner une pharmacie d'officine par commune pour assurer la distribution des fournitures médicales aux professionnels de santé du secteur privé. Qu'en est-il exactement de la proposition faite par le ministre ? Effectivement, nous avons tenu, jeudi 19 mars, une réunion de crise sous la présidence du ministre de la Santé et du ministre délégué en charge de l'Industrie pharmaceutique pour examiner de quelle façon le secteur doit se comporter et quelles sont les mesures à prendre face à cette pandémie. Et dans ce cadre, plusieurs pistes ont été évoquées pour l'approvisionnement du secteur de santé libéral en dispositifs médicaux, parmi lesquels le recours aux officines pharmaceutiques. Ce comité de crise est appelé à se réunir deux fois par semaine pour avancer dans ses travaux et tenter de trouver les solutions de terrain. Les membres de ce comité vont évidemment opter pour les solutions les plus pratiques et les plus efficaces pour assurer l'approvisionnement régulier des professionnels de santé, en vue de leur permettre de jouer leur rôle et prendre en charge les citoyens.