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«Il faut expliquer la situation du confinement aux enfants sans détour» Le professeur Madjid Tabti, pédopsychiatre, président du comité national de santé mentale de l'enfant, au soir d'Algérie :
Entretien réalisé par Salima Akkouche En ces temps de confinement, les parents ne savent pas trop comment expliquer la situation à leurs enfants, ni quelle conduite adoptée avec eux. Ou encore comment leur faire éviter l'impact de cette situation. Le professeur Madjid Tabti, chef de service de pédopsychiatrie à l'hôpital de Chéraga et président du Comité national de santé mentale de l'enfant, nous explique comment gérer, au mieux, cette situation avec ses enfants. Le Soir d'Algérie : Tout comme les adultes, les enfants sont confinés depuis le 12 mars. Comment leur expliquer cette situation, surtout pour les plus petits ? Pr Madjid Tabti : Il est important de dire la vérité. Il faut répondre, sans détour, à toutes les questions et expliquer aux enfants la situation du confinement et ne pas tomber dans le piège du stéréotype social qui dit que les enfants ne comprennent pas ce qu'il se passe, et que c'est inutile de leur faire part de la situation. Bien au contraire, ils sont très attentifs et suivent les discours des adultes, leurs réactions et leurs peurs, même s'ils n'en disent rien. Même les nourrissons qui ne comprennent pas le langage parlé peuvent comprendre le langage du corps. Par exemple, la maman qui tient son bébé dans ses bras peut communiquer son angoisse à son enfant par son corps. Il y a un travail que les parents doivent faire sur soi dont on reviendra ci-dessous. Dire est rassurant pour les enfants. Concernant la façon dont il faut aborder le sujet avec eux, elle peut différer d'un enfant à l'autre en fonction des familles et de l'âge. Pour les plus petits, on peut les inciter à s'exprimer à travers un dessin. On peut aussi raconter ceci de façon métaphorique, comme une histoire. Mais globalement, il y a des règles à respecter comme le fait de les interroger sur ce qu'ils ont compris de ce qui se passe autour d'eux, puis utiliser les mots simples pour leur expliquer le virus, l'infection et le système immunitaire. Dans ce sens, quelques experts conseillent de recourir aux images, voire à des dessins animés qui ont déjà caricaturé le fonctionnement du corps humain et sa lutte contre les différents microbes. Expliquer aussi de manière simple les voies de contagion dans le but d'aborder par la suite les moyens de prévention. Mais dans tous les cas, il faut rassurer les enfants, les écouter et encourager l'expression de leurs peurs. Comment peut-on les adapter à cette situation ? Effectivement, il y a un véritable problème d'adaptation à cette situation du confinement collectif qui survient pour la première fois à l'échelle mondiale. Pour rendre la situation mieux acceptable, il faut d'abord donner de l'information, expliquer aux enfants cette situation et leur donner de l'espoir sur le fait qu'ils reprendront leurs habitudes après quelques semaines. Puis c'est aux parents d'utiliser leur sens d'intuition pour répondre au mieux aux besoins habituels des enfants en matière de jeux, de mouvements, télévision, écran… mais sans céder au désir d'utilisation abusive des écrans et du grignotage, et de se coucher à des heures tardives. Il est important de ritualiser la vie des enfants à domicile par un programme mixant des activités d'apprentissage et celles de loisir dans le but de reprendre un rythme proche de celui d'avant le confinement, sachant que la structuration du temps et des espaces est sécurisante pour les enfants. Comment gérer leur ennui et leur stress ? Autant que possible, il faut gérer le temps de l'éducation. Comme s'il se rendait à l'école, il faut respecter les horaires de réveil, les temps d'apprentissage et ceux de récréation. Il faut accepter que les enfants s'agitent un peu à la maison. Pour prévenir le stress et l'ennui, on conseille aussi de faire participer les enfants dans l'élaboration des stratégies de faire face à l'ennui, en proposant des activités et projets qu'ils apprécient. Il est aussi important que les parents reconnaissent que c'est normal qu'il y ait des moments de stress à la maison et d'expliquer cela à l'enfant pour prévenir ces situations de tension et savoir les gérer. Parmi les moyens qui peuvent diminuer l'ennui, on conseille de garder un contact avec les amis et la famille par les moyens de communication à distance (téléphone et internet). Il est aussi important de respecter des moments d'intimité et d'isolement de chaque membre de la famille, en particulier les adolescents, pour mieux accepter les moments de rencontre de tous les membres de la famille. Quel impact peut avoir le confinement sur eux, notamment à long terme ? Il y a évidemment des impacts psychologiques négatifs mais aussi d'autres positifs. Si on veut parler des effets sur le développement psychologique, cela dépendra de la durée du confinement et de l'âge de l'enfant. Un effet au long terme nécessiterait aussi un confinement prolongé sur au moins plusieurs mois, voire une année. Dans ce cas, il y aura un effet sur les enfants essentiellement âgés de 3 à 10 ans, où les enfants ont besoin de leurs pairs pour un meilleur développement social. Mais pour les enfants en bas âge, avant 3 ans, ce confinement peut paradoxalement être bénéfique au développement de l'enfant qui a besoin de la présence à grand temps de ses parents, en particulier la maman, à condition que les parents gèrent bien leur stress pour ne pas le transmettre à leur bébé. A long terme, on peut avoir des symptômes post-traumatiques. Dans ce sens, une étude publiée dans le prestigieux journal médical The Lancet (revue scientifique médicale britannique), relatant les effets psychologiques négatifs que peut avoir la quarantaine sur les personnes, et les moyens de les atténuer, a démontré que les enfants qui ont subi une période de confinement ont quatre fois plus de symptômes post-traumatiques que les autres. L'obésité, la sédentarité, les problèmes visuels, l'inversion du rythme nycthéméral et la cyberdépendance sont aussi des conséquences possibles du confinement, si les enfants n'ont pas appliqué d'hygiène de vie à temps. Comment doivent se comporter les parents avec leurs enfants durant cette période de confinement ? Les parents doivent d'abord prendre conscience des difficultés du confinement ainsi que de leur propre stress, le tout dans le but de contrôler leur propre angoisse. Le contrôle de soi évite de transmettre l'angoisse aux enfants et permet aussi de tolérer quelques-uns de leurs comportements qui ne dépassent pas une certaine limite, tels que l'instabilité légère, leurs chamailleries, etc. Dans le cas contraire, les parents peuvent avoir des conduites agressives envers leurs enfants, ce qui ne va pas régler ces problème mais plutôt les accentuer dans un cercle vicieux infernal. Les enfants n'expriment pas toujours leur angoisse par le langage verbal. Ils peuvent manifester des symptômes indirects qui peuvent exprimer leur détresse psychologique et pour lesquels les parents doivent être attentifs. Parmi ces symptômes, on peut citer les pleurs et une irritabilité excessive, l'énurésie secondaire, l'impulsivité chez l'adolescent, des difficultés d'attention et de concentration, un évitement des activités qui procurent le plaisir habituellement. Dans les cas pareils, on conseille aux parents d'écouter leurs enfants, de répondre à leurs questions de manière factuelle, de les rassurer sur le fait qu'ils sont en sécurité, de leur apprendre des stratégies de faire face au stress. Si les difficultés de l'enfant persistent malgré cette conduite, le parent peut contacter un spécialiste sur les différents numéros et pages des réseaux sociaux qui sont mis à la disposition de la population, par exemple le numéro vert de l'Organe national de protection et de la promotion de l'enfance (1111), le service de pédopsychiatrie de Chéraga, ou autre. Comment peut-on échapper aux écrans ? Les écrans posent un véritable problème lors du confinement. Très demandés par les enfants et adolescents en situation habituelle, le risque d'abus de leur utilisation est maximal lors du confinement. Les parents non avertis ou indulgents peuvent trouver dans ces moyens un excellent «opium» pour calmer leurs enfants, afin de vaquer à leurs activités ou rester dans le calme. Mais les conséquences ultérieures seront désastreuses. Pour bien gérer l'utilisation des écrans, les parents peuvent élaborer avec leurs enfants un programme journalier très varié en activités, alternant des moments d'apprentissage avec des moments de jeux de société et d'activité physique. L'utilisation des écrans sera introduite comme un renforçateur positif d'un respect correct du programme journalier, c'est-à-dire permettre à l'enfant l'utilisation de sa tablette pour quelques minutes après la réalisation d'une tâche avec patience. Mais il ne faut pas oublier de contrôler les programmes et jeux des enfants sur internet, en utilisant des applications disponibles à cet effet que chaque parent peut télécharger facilement ou demander conseil à un informaticien. Actuellement, les petits enfants surtout tournent comme des lions en cage à la maison. Comment faire pour qu'ils dépensent leur énergie physique ? Les parents doivent faire un travail sur soi pour tolérer de temps à autre les enfants qui courent dans l'appartement en faisant du bruit, en se rappelant que le mouvement fait partie du développement de l'enfant. Mais il y a aussi plusieurs moyens pour canaliser l'énergie des enfants, comme le fait de programmer des moments d'activités sportives en s'aidant des vidéos disponibles sur internet pour cet effet. On peut aussi leur proposer des ateliers de dessin, de cuisine, de bricolage et/ou jouer avec eux les jeux de société. Pour les enfants âgés de 10 ans, on peut leur confier la gestion de ces moments ludiques et sportifs dans le but de les encourager et de renforcer leur estime de soi. Faut-il préparer les enfants, dès maintenant, au déconfinement, et comment ? Oui. On leur explique déjà que c'est une période transitoire qui va se terminer au bout de quelques semaines, en leur rappelant que le déconfinement prendra fin avec la fin du danger de contamination. Parmi les stratégies qui faciliteront la reprise après le confinement, l'évitement des grands écarts entre la vie en quarantaine et celle de la situation habituelle. C'est-à-dire expliquer clairement aux enfants qu'ils ne sont pas dans une période de repos prolongé ou de vacances, mais plutôt une situation particulière où il faut maintenir les mêmes rituels de travail scolaire et de loisirs, avec les aménagements exigés par la conjoncture. On gardera les mêmes horaires du coucher, du réveil, des repas, du travail scolaire, de récréation… S. A.