Ahmed Ouyahia refuse de porter le chapeau dans l'affaire du montage automobile. Son audition n'est pas passée inaperçue hier durant le procès de Mourad Eulmi. L'ancien Premier ministre a renvoyé directement la balle à Abdelaziz Bouteflika. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Lorsque Ouyahia arrive à la barre, il fixe droit devant la juge qui l'interroge avant d'ôter son masque et d'asséner des réponses qui tranchent avec l'attitude défensive qu'il avait adoptée lors des différents procès où il avait été cité. Son nom vient d'être évoqué par la juge chargée de l'affaire Sovac. Pour tenter de confondre Mourad Eulmi, qui niait jusque-là toute intervention des autorités de l'époque pour débloquer son projet de montage automobile, la magistrate dévoile une lettre de remerciements adressée par Eulmi à Ouyahia. « Vous l'avez remercié d'avoir réglé votre problème et de vous avoir permis d'obtenir l'agrément nécessaire à ce projet.» L'ancien Premier ministre ne s'est pas laissé faire : « Je réfute toutes les accusations portées à mon encontre. Je n'étais pas ministre de l'Industrie, j'étais soucieux de la préservation des deniers publics, ce qui m'a poussé à réduire la liste des bénéficiaires et des partenaires économiques. Sachez que tous ces projets étaient soumis au Conseil des ministres qui se déroulait sous l'autorité de Abdelaziz Bouteflika et de onze ministres et c'est moi qu'on accuse de corruption et c'est ma notoriété qu'on bafoue ?! » La juge poursuit en lui demandant de s'expliquer au sujet d'une lettre adressée par ses soins au ministre de l'Industrie de l'époque, pour lui demander de réduire la liste des partenaires économiques avec lesquels il fallait traiter. Ouyahia répond : «Il fallait préserver l'économie nationale. En 2018, la facture du montage automobile avait déjà atteint 600 millions de dollars et c'est moi que l'on accuse à présent.» Sa réponse se veut, encore une fois, une accusation directe aux plus hautes autorités de l'époque, pourtant informées de la situation. La magistrate tente, cette fois, de le confondre en lui demandant d'expliquer les raisons pour lesquelles il avait adressé une lettre à l'ancien ministre de l'Industrie qui refusait de délivrer des agréments aux hommes d'affaires. Ouyahia cite une nouvelle fois la présidence de la République : «Il y avait beaucoup de plaintes émanant des hommes d'affaires exclus de ce projet. Tout le monde était au courant, le ministère de l'Industrie et la présidence le savaient aussi... j'étais, malheureusement, à la tête du gouvernement dans une période très particulière. Le président de la République était malade, il y avait l'échéance des élections ; ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi on m'accuse d'avoir dilapidé l'argent public ? Je n'ai rien fait. Les responsables qui ont été nommés après moi ont, au contraire, donné des avantages pour le retrait des marchandises des ports.» La juge lui demande de ne pas sortir du sujet et lui demande de retourner à sa place. Offensif, Ouyahia réplique : «Pourquoi vous ne m'interrogez pas au sujet du blanchiment d'argent ?» Ouyahia est le troisième inculpé à être auditionné. Avant lui, Eulmi Khider, frère du principal inculpé, est apparu extrêmement perturbé. Son arrestation et sa mise sous mandat de dépôt remontent à moins d'une semaine. Il a nié toutes les charges retenues à son encontre. D'une voix tremblante, il s'est contenté de répondre : « Je n'ai aucune relation avec cette affaire, je ne sais rien de ce qui s'est passé, j'ignore tout de l'histoire de l'agrément.» La juge a tenté d'arracher des réponses à plusieurs reprises mais le prévenu gardait le silence. Le procureur a alors tenté de prendre le relais mais il obtient, à son tour, les mêmes réponses : «Je ne sais rien.» Avant lui, Mourad Eulmi a tenté de se défendre comme il le pouvait. La juge a tenté de le piéger en lui demandant la raison pour laquelle il a pris attache directement avec Ahmed Ouyahia. Sa réponse : «Nos premières demandes n'ont pas eu de succès. On a refusé de m'accorder l'autorisation d'activer alors que mon dossier était complet et que nous étions présents sur le terrain depuis plusieurs années.» La magistrate a mis l'accent sur l'absence de plusieurs documents dans le dossier présenté, dont une demande en bonne et due forme pour le lancement de ce projet qui devait être adressé au Conseil national de l'investissement, CNI. Eulmi nie tous les faits qui lui sont reprochés, accusant les enquêteurs d'avoir mélangé les documents de l'affaire Tahkout avec les siens. La juge lui demande ensuite s'il avait des contacts particuliers avec le ministère de l'Industrie, ce à quoi l'accusé a répondu en déclarant que les cadres de Sovac étaient chargés de ce genre de démarches et qu'il n'avait personnellement pris contact avec personne. Il insiste également sur le fait que les avantages reçus ont été accordés à tous les hommes d'affaires qui se sont engagés dans ces projets. Mourad Eulmi et ses co-accusés sont poursuivis dans deux dossiers différents. Celui du montage automobile SDK CKD et celui des énormes crédits bancaires obtenus. Son épouse et l'ex-directeur du CPA ont été cités dans ce dernier dossier. Durant toute la matinée, ses avocats on tenté d'obtenir un quatrième renvoi du procès, affirmant ne pas avoir reçu l'ordonnance de renvoi établie par la Cour suprême. Ce refus a été vivement contesté. Le collectif de défense de Youcef Yousfi a exigé également la présence de Terra Amine, président de la commission du rapport technique à la direction générale du ministère de l'Industrie. Le tribunal a rappelé qu'il est détenu à la prison de Chlef. En début de soirée, le procès se poursuivait au tribunal de Sidi-M'hamed. A. C.