Au marché de Bab Ezzouar, c'est un marchand qui n'a que sa barbe comme bavette qui dit au micro toute sa... vigilance : nous veillons à ce que tous ceux qui rentrent dans le magasin portent un masque ! Et quand on lui a fait remarquer qu'il n'en porte pas lui-même, il va extraire « son » masque qui traînait à côté de son... tiroir-caisse comme preuve de sa discipline sans faille dans le respect des mesures de précaution. Le... tiroir-caisse, justement et, «éventuellement», la police qui peut tout de même sanctionner. Chez beaucoup d'Algériens, c'est l'histoire de la ceinture de sécurité qui se répète : si la répression a tout de même fini par l'imposer pour la majorité des automobilistes, beaucoup d'entre eux ne la portent que pour leur éviter ce qu'ils redoutent le plus : la sanction, qu'elle se décline dans une contravention ou plus grave, le retrait de permis, le cauchemar de tous ceux qui roulent carrosse. Quant à leur propre sécurité, ils oublient même que c'est de ce terme que l'objet tire son appellation ! Loin du marché de Bab Ezzouar, un jeune homme aux apparences du perspicace à qui on ne la fait pas s'exprimait à un autre micro-trottoir. Il parlait sérieusement : «Je ne crois pas au coronavirus, il n'y a personne dans ma famille, dans mon voisinage ou parmi mes amis qui a contracté la maladie. Alors, d'où sortent tous ces malades et ces morts ?» Personne ne l'y a poussé mais il a décidé tout seul de ne pas s'arrêter en si bon chemin : «Le gouvernement ment sur les chiffres. Pourquoi, ils (les chiffres) tournent toujours autour du même nombre d'un jour à un autre, que ce soit pour les contaminés, les morts et les guéris ?» Quand on en est à la négation pure et simple d'une catastrophe sanitaire mondiale, on ne va pas se gêner pour être dans la grossière contradiction. On peut nier l'existence de la maladie et soupçonner l'autorité de cacher des choses ou triturer les chiffres. Dans une dernière séquence, un homme d'âge mûr dont on aurait pu attendre le bon conseil et la parole bienveillante jure par Dieu, le Prophète et tous les saints qu'il ne portera jamais la bavette... parce qu'il ne la supporte pas. D'autres ont sorti l'argument passe-montagne : les bavettes sont trop chères pour les petites bourses. Celle-là, on l'a beaucoup trop entendue. Une question pour la route, de celle qu'on retrouve rarement au bout d'un micro : a-t-on fait suffisamment pour que les masques couvrent le nez et la bouche, au lieu de traîner sous ou à côté des caisses ? A-t-on tout fait pour que personne ne soit «convaincu» que le corona est une vue de l'esprit ou un complot ourdi ? A-t-on bien expliqué que le masque est une contrainte qui prémunit du pire et non un... agrément ? Rien n'est moins sûr, sinon ça se saurait. En chiffres, entre autres. S. L.