Pour faire la paix, il faut normalement être deux, ou même trois ou quatre, et avoir la volonté réciproque de mettre fin à une guerre plus souvent préjudiciable aux belligérants eux-mêmes. Ainsi, au Proche-Orient et en dehors des Palestiniens concernés au premier chef, seuls deux pays arabes ou apparentés, l'Egypte et la Syrie, ont fait la guerre à Israël et en ont payé chèrement le prix. L'Egypte a fait la paix avec Israël, après avoir pris l'initiative de déclencher deux guerres, l'une calamiteuse, en 1967, et l'autre plutôt honorable, en 1973, mais la Syrie n'a encore rien signé. La Syrie, alliée historique de l'Egypte, a non seulement perdu le Golan, mais ses gouvernants n'ayant pas le même sens des réalités que le régime égyptien ont conduit le pays là où il est à ce jour. Or, je n'ai pas souvenance d'une guerre, voire d'escarmouches ponctuelles entre Israël et les Emirats arabes unis (EAU), une entité postérieure à la création d'Israël, qui peuvent justifier un traité. S'il pouvait paraître incongru et même un tantinet loufoque, puisque conclu sous l'égide de Trump, cet «accord du siècle» passerait pour un coup médiatique s'il n'y avait pas le vrai «accord du siècle». Celui qui autorise les Israéliens à se servir encore dans le gruyère palestinien et à redessiner lentement, mais sûrement, les contours ou les frontières d'une ou deux entités palestiniennes. Nous voilà donc rassurés quant au maintien de la paix dans le monde et confiants en la destinée de l'Amérique, avec un Président comme Trump et des alliés aussi riches que les Emirats arabes unis. Il ne reste plus, dès lors, qu'à conclure d'autres «accords historiques» avec des adversaires d'Israël aussi hostiles et aussi résolus que le sont les bellicistes monarchies du Qatar et d'Arabie Saoudite. Outre ces deux géants financiers, adversaires provisoires, il faudra s'attendre à de petits accords, historiques également, avec le Bahreïn, Oman, et même le Yémen, si les plans saoudiens aboutissent. Dans le camp de l'alliance égypto-saoudo-émiratie, la satisfaction est de mise même s'il n'y a pas d'excès de triomphalisme, sachant que cet accord ne va pas satisfaire les principaux concernés. Sur le site du journal électronique Elaph, fondé par un ancien journaliste saoudien du quotidien non moins saoudien, Al-Charq Al-Awsat, on retrouve le même argument de campagne. À savoir que les Emirats arabes unis sont à la pointe du soutien à la cause palestinienne et qu'ils ont pesé de tout leur poids pour préserver les intérêts stratégiques des Palestiniens. À savoir que son altesse, le cheikh Mohamed Ibn Zayed Al-Nahiane a obtenu du Président Trump et du Premier ministre israélien, Netaniahou, le gel de la décision d'annexer des terres palestiniennes. L'article, tout en ronds de jambe et en courbettes vis-à-vis des efforts gigantesques de la diplomatie émiratie, en faveur de la Palestine, souligne que ce gel conforte la solution des deux Etats. C'est précisément la décision israélienne d'annexer de nouvelles terres palestiniennes qui a failli donner le coup de grâce à l'espoir de création d'un Etat palestinien, avec Al-Qods comme capitale, ajoute l'auteur Salem Al-Koutbi. On apprend aussi que c'est grâce à ses relations privilégiées avec les Etats-Unis que l'Etat des Emirats a réussi à convaincre les Israéliens, offrant ainsi une bouffée d'oxygène à une solution pacifique. Quant aux Palestiniens dont on n'a pas sollicité l'avis, mais qui l'ont donné quand même, ils ont rejeté l'accord israélo-émirati et d'autres pays de la Ligue arabe suivront, l'essentiel étant de perpétuer la Ligue. Après les Palestiniens, l'Iran et la Turquie ont été les plus prompts à réagir, le premier parlant de «stupidité stratégique» et le second accusant les Emirats de se comporter en hypocrites. Si les Iraniens sont dans la logique de leur démarche en ce qui concerne le conflit du Proche-Orient, la Turquie d'Erdogan devrait faire preuve de plus de circonspection en parlant d'hypocrisie. Outre les juteuses affaires que le clan Erdogan traite avec Israël et dans lequel sont impliqués les propres enfants du calife, les deux pays sont liés par des accords de coopération militaire. La Turquie a été le premier Etat musulman à reconnaître de facto l'Etat sioniste en 1949, et à signer avec lui le premier accord de coopération stratégique en 1958, l'Algérie était encore en guerre. C'est pour cela que la Turquie devrait être le dernier Etat au monde à s'insurger contre l'initiative de l'Etat des Emirats, renchérit un autre journaliste, qui évoque des faits plus récents, comme en Syrie. Il rappelle que tous les terroristes venant des pays arabes ou d'Europe transitaient par la Turquie et ses frontières poreuses, pour aller s'enrôler chez Daesh ou chez Nosra. «Quant au Qatar qui a lancé une campagne virulente contre l'accord israélo-émirati, il a été le premier à ouvrir ses portes aux Israéliens et tout visiteur qui arrive à Doha peut constater leur présence. On les voit et on les entend partout dans les rues, les hôtels, les restaurants et les médias, oui ils sont partout !» De fait, un rapide coup d'œil sur le quotidien de Londres Al-Quds, racheté par le Qatar, suffit à se convaincre que Doha va être la prochaine rampe de lancement des missiles médiatiques contre les Emirats. L'hypocrisie, la qualification la mieux partagée au monde. A. H. Amis lecteurs Le Kiosque prend quelques semaines de vacances, j'aurai plaisir à vous retrouver ici le lundi 14 septembre.