Entretien réalisé par Karim Aimeur Dans cet entretien qu'il nous a accordé, le nouveau premier secrétaire national du FFS aborde plusieurs questions d'actualité nationale, et défend les positions de son parti qui cherche « un compromis salvateur sans compromission ». Il estime que ceux qui ont programmé la ruine du pays doivent répondre de leurs actes devant une justice transparente et indépendante, y compris le Président déchu Abdelaziz Bouteflika. Comme il répond aux islamistes qui opposent la proclamation du 1er Novembre à la plate-forme du Congrès de la Soummam, comme si les auteurs du deuxième texte ne sont pas les mêmes que les premiers, et comme si le deuxième est une déviation du premier. Le Soir d'Algérie : L'Algérie vient de célébrer le 64e anniversaire du Congrès de la Soummam, au moment où de nombreux acteurs politiques estiment que les résolutions de ce congrès sont toujours d'actualité. Au FFS, êtes-vous de cet avis et pourquoi ? Youcef Aouchiche : Le FFS est un parti nationaliste et patriotique qui puise ses fondements du combat libérateur de nos aînés. Commémorer l'anniversaire du Congrès de la Soummam, pour nous, est, à la fois, un devoir moral pour préserver et transmettre notre mémoire collective aux nouvelles générations et une obligation politique visant à perpétuer le combat de nos aînés et s'en inspirer pour bâtir une République démocratique et sociale, telle qu'elle est énoncée dans la proclamation de Novembre et des résolutions de la Soummam. Au-delà de son rôle dans l'organisation de la Révolution, le Congrès de la Soummam a jeté les bases institutionnelles et doctrinales du futur Etat algérien indépendant. En fédérant l'ensemble des sensibilités du mouvement national et en consacrant la primauté du politique sur le militaire dans la conduite de la lutte révolutionnaire, les artisans du Congrès de la Soummam sont parvenus, malgré quelques réticences marginales, à construire le consensus national indispensable pour libérer le pays. Pourtant, ce congrès unificateur qui a tracé les contours de l'Algérie indépendante n'échappe pas à la critique d'un certain courant politique qui lui oppose la proclamation du 1er Novembre. La proclamation de Novembre et les résolutions de la Soummam sont complémentaires. La première a sonné le glas d'un siècle et demi de colonisation en appelant à la lutte armée pour la libération du pays. Les secondes ont posé, quant à elles, d'une façon claire, les bases organisationnelles, institutionnelles et doctrinales de la Révolution, indispensables à l'indépendance et à la construction d'un Etat démocratique et social. Le consensus réalisé autour du Congrès de la Soummam est venu renforcer le premier consensus dégagé lors de la proclamation de Novembre 1954 sur la nécessité de la lutte armée pour permettre aux Algériennes et aux Algériens de recouvrer leur droit à l'autodétermination. Vouloir opposer ces deux événements fondateurs de notre glorieuse Révolution, c'est nager à contre-courant de l'Histoire et tenter de briser la cohésion et l'unité du peuple algérien. Le révisionnisme ne consiste pas uniquement à nier les victoires accomplies en pleine guerre de reconquête coloniale, il consiste également à refuser aux Algériennes et aux Algériens de leur reconnaître, aujourd'hui, les qualités de maturité, d'unité, de solidarité et de lucidité dont ils font preuve et, par voie de conséquence, tenter, par l'instrumentalisation des basses confrontations idéologiques, régionalistes ou claniques, de nier au peuple son droit imprescriptible à disposer librement et démocratiquement de son avenir. Une chose est certaine : aujourd'hui, il ne faut jamais oublier que les peuples ont une mémoire et une histoire, et cette mémoire, le peuple algérien en fait référence pour structurer son présent et son avenir. Avec le recul, près de 18 mois après l'avènement du mouvement populaire, quel bilan peut-on faire aujourd'hui de ce mouvement ? Quels sont ses acquis ? D'abord, il y a lieu de relever, et c'est ce qui a ébahi le monde entier, le caractère unitaire, pacifique ainsi que la maturité et la solidarité du peuple algérien qui manifeste, semaine après semaine, ses espoirs de liberté et de démocratie, annihilant toutes tentatives d'attenter à la cohésion, à l'unité et à la sécurité de la Nation. L'éveil politique et la conscience collective dont il a fait preuve ont permis au peuple algérien d'éviter au pays une descente aux enfers et une ruine programmée de toute une Nation. Par leur mobilisation et leur engagement extraordinaires, les Algériennes et Algériens envoient un message clair à ceux qui veulent l'entendre : le pouvoir appartient au peuple et c'est au peuple de décider de son destin. Excédés et révoltés par le mépris, l'impunité et les injustices, ils ont investi, dès le 22 février 2019, la rue pour dire non à la destruction du pays. En s'opposant massivement et frontalement à un cinquième mandat suicidaire, ils ont exprimé leur détermination à se réapproprier leur droit de gérer leurs propres affaires et revendiquer un Etat de droit, garant des libertés et du respect des droits de l'Homme. L'erreur aujourd'hui est d'assimiler ce mouvement populaire à une simple révolte contre un homme, ses réseaux clientélistes et oligarchiques. Reproduire les mêmes schémas et les mêmes pratiques conduirait au même résultat : l'échec. Notre responsabilité commune se situe dans notre capacité à donner les prolongements politiques et institutionnels indispensables à la consécration de l'alternative démocratique et sortir le pays du règne de l'informel et de l'arbitraire. Dans le sillage de ce mouvement qui a enterré le régime de Bouteflika, plusieurs figures de ce régime : civils, militaires et puissants hommes d'affaires, sont en détention pour des affaires de corruption. Des voix s'élèvent pour réclamer le jugement du Président déchu. Bouteflika doit-il être jugé ? Dans un Etat de droit où seront consacrés les principes de séparation des pouvoirs et de l'indépendance de la justice, ces questions trouveront les réponses nécessaires, et chaque personne est responsable de ses actes et de sa gestion. Ceux qui ont programmé la ruine du pays doivent répondre de leurs actes devant une justice transparente et indépendante. Nul n'est au-dessus de la loi, y compris Abdelaziz Bouteflika. Toutefois, penser que quelques condamnations spectaculaires d'anciens Premiers ministres, de politiciens ou d'affairistes véreux ou même de l'ex-chef d'Etat étancheront la soif de liberté, de justice et de démocratie du peuple algérien est une grave erreur. La sentence du peuple est tombée et elle est irrévocable : finie la dictature, fini le monopole du pouvoir, finis l'informel et l'arbitraire et place à la liberté et à la démocratie pour gouverner le pays. Au-delà des personnes, le FFS, depuis sa fondation, revendique un changement radical et pacifique du régime. À Ifri-Ouzellaguen (Béjaïa), où s'est déroulé le Congrès de la Soummam, vous avez accusé des forces à l'intérieur et à l'extérieur du système d'agir sournoisement et méthodiquement pour prolonger et aggraver l'impasse et provoquer un basculement dans le désordre et la violence. Pouvez-vous être plus explicite ? Qui sont ces forces ? Ce sont les forces qui ont intérêt à faire perdurer la crise, voire l'aggraver, les forces qui profitent du statu quo ou de la déstabilisation pour garder leurs positions où renforcer leurs intérêts, les forces qui agissent pour raviver le brasier de la violence et mener le Hirak dans une logique de confrontation. Nous devons tenir compte de tous ces éléments ainsi que des bouleversements géostratégiques qui s'opèrent dans notre espace vital. Il ne faut pas se voiler la face, les partisans du démantèlement des Etats et des guerres par procuration sont toujours à l'œuvre. La seule façon pour s'en prémunir réside dans la construction d'un consensus national salvateur en mesure de garantir au peuple algérien son droit à l'autodétermination individuelle et collective et œuvrer pour la préservation et la consolidation de l'Etat national. Dans ce climat politique que vous jugez « délétère », le pouvoir s'apprête à proposer son projet de révision constitutionnelle à un référendum populaire. Quel est votre avis ? Il semble que le pouvoir ne tire aucun enseignement de ses échecs. Vouloir imposer d'une façon unilatérale et au pas de charge une nouvelle Constitution, comme cela a été le cas pour les précédentes, c'est parier sur l'échec. Pour le FFS, seul un processus constituant pourra garantir une stabilité politique, prélude au retour à la légitimité populaire. L'Assemblée nationale constituante constitue une échéance incontournable pour sortir du provisoire et des incohérences politiques et juridiques, et rendre irréversible la démocratie. Après son expérience avec le PAD, le FFS a décidé de relancer son initiative de reconstruction du consensus national, initiative qui, faut-il le rappeler, a échoué à son lancement il y a des années. Pourquoi le retour à une telle démarche ? La culture de dialogue, le compromis et la recherche de consensus constituent l'identité et la force du FFS. Depuis sa fondation et la confiscation de la souveraineté populaire, le FFS milite pour une solution politique et durable à la crise multidimensionnelle. Une solution qui passe par un dialogue sans exclusive entre tous les acteurs politiques et sociaux. Nous devons définir entre Algériens, quelles que soient nos convictions idéologiques et politiques, le cadre commun consensuel qui nous permettra d'asseoir un Etat fort, démocratique et garant des libertés et des droits de l'Homme. L'histoire proche de notre pays nous a appris que ces polarisations claniques et les basses confrontations idéologiques et régionalistes ont été à l'origine de tous les coups de force qui ont empêché l'émergence d'une alternative démocratique dans notre pays. Nous restons ouverts au dialogue, nous sommes pour un compromis salvateur sans compromission, mais nous nous démarquons, de la façon la plus claire qui soit, des coalitions de conjoncture et des alliances d'appareils sans lendemain et aux objectifs flous. Pour revenir à votre question, l'initiative de la reconstruction du consensus national n'a pas échoué. L'enjeu principal, aujourd'hui, pour trouver une issue à la crise nationale et préserver l'avenir de notre pays, est la reconstruction d'un consensus national fondamental qui pourrait s'organiser autour de la démocratie politique, de la citoyenneté, du développement économique et de l'équité sociale. Concrètement, il s'agit du respect des pluralismes politique, linguistique, syndical et des libertés fondamentales pour permettre l'autodétermination individuelle de chaque Algérienne et Algérien et l'autodétermination collective du peuple algérien. La pensée politique, le projet et la stratégie du FFS, depuis sa fondation, visaient à atteindre cet objectif. Le pays traverse une crise sanitaire sans précédent. Comment évaluez-vous la gestion de cette crise par les pouvoirs publics ? Tout d'abord, je voudrais rendre un hommage appuyé et exprimer, au nom du FFS, toute notre reconnaissance et notre gratitude à tous les personnels de santé qui n'ont cessé de démontrer leur dévouement pour venir en aide à leurs concitoyens. Ils ont payé et ils continuent de payer un lourd tribut en vies humaines. D'autant plus qu'ils travaillent dans des conditions déplorables en l'absence de moyens. Cette pandémie a démontré l'état délétère de notre système de santé publique, qui souffre de tous les maux induits par un système de gouvernance qui a fait de tous les services publics un champ de ruines. Les retombées sur le plan économique et social qui restent à évaluer de manière précise sont catastrophiques et porteuses de graves dangers pour le pays. Il est vital et urgent de porter toute l'assistance à ceux qui en souffrent le plus, aux populations les plus vulnérables. Sur le plan organique, peut-on considérer que le FFS a dépassé sa crise interne après le dernier congrès extraordinaire, surtout que l'histoire de l'occupation du siège national du parti n'est pas encore réglée ? Le FFS a vécu une crise qui l'a profondément affecté. Si nous avons pu la surmonter, c'est, avant tout, grâce à la maturité et l'esprit de responsabilité de nos militants. Désormais, le FFS a retrouvé sa légitimité et sa légalité. Nous allons maintenant nous atteler, avec tous les militantes et les militants, au redéploiement politique et au rassemblement de notre famille politique pour permettre au FFS de jouer le rôle qui lui revient et être un instrument et à l'avant-garde de la lutte pour la construction de l'alternative démocratique. Certes, le travail qui nous attend est titanesque, mais nous sommes déterminés à restaurer l'autorité au sein du parti et rétablir la confiance entre militants afin de pouvoir préparer un congrès national ordinaire démocratique et rassembleur. Le parti appartient à tous ses militants et, de surcroît, à tous les Algériens. Nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour garantir son unité, le renforcer et le consolider. Ceux qui souhaitent contribuer à cette entreprise trouveront la place qui leur revient au sein de leur parti, et ceux qui s'estiment au-dessus des militants et des textes du parti s'en écarteront d'eux-mêmes. La mission est difficile, il reste encore des problèmes et des tensions à régler, dont celui de l'occupation illégale de notre siège. Nous ne cesserons de privilégier les voies du dialogue pour régler les conflits à l'intérieur du parti. Mais notre siège doit être restitué à ses militants et être mis sous la responsabilité de ses instances dirigeantes légitimes. Chacun devra prendre ses responsabilités par rapport à ses actes. L'instance présidentielle du parti vient de convoquer un conseil national pour ce vendredi 28 août. Quels sont les points qui seront abordés lors de cette rencontre ? Après la longue période de paralysie due à la crise, il est fondamental de redonner à notre conseil national son rôle central d'instance délibérante et de contrôle. C'est dans ce cadre que doivent être discutées, débattues et arrêtées toutes les questions politiques et organiques. Cette session extraordinaire du conseil national, conformément à nos statuts, sera dédiée à la présentation du programme d'action du secrétariat national et l'annonce de sa composition. Ce programme aura pour objectif de mettre en œuvre les sept engagements cardinaux de notre instance présidentielle. K. A.