Longtemps en berne, la diplomatie algérienne est en train de mettre les bouchées doubles afin de se réapproprier sa place dans le concert des nations. L'ex-Président Bouteflika, malgré son grave handicap, s'accaparait toutes les prérogatives en matière de politique étrangère – domaine, il est vrai, qu'il affectionnait entre tous, à telle enseigne qu'il s'y identifiait personnellement. Il était donc inévitable que son effacement de la scène publique signifiait aussi l'éclipse de l'action internationale de l'Algérie. Pour une longue période, de quoi susciter l'inquiétude des pays amis quant à l'urgence de se concerter sur les questions d'intérêts communs et qui les interpellent surtout dans les moments de crise. Le nouveau locataire du palais d'El-Mouradia a conscience que cette désertion involontaire de la scène politique internationale a des conséquences nuisibles sur les intérêts directs ou indirects de l'Algérie. Cette absence relative sera l'occasion pour les serviteurs du Makhzen marocain d'accourir auprès de capitales africaines pour tenter d'obtenir leur soutien sur la question du Sahara Occidental. Il va donc s'atteler à redonner de la visibilité à la politique étrangère sur la base des principes fondateurs qui tirent au demeurant leurs racines de la proclamation du 1er Novembre 1954. Dialogue et concertation sont les maîtres mots dans la résolution des tensions et crises politiques, et cela doit avoir pour interface la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats et le respect de la souveraineté des Etats. Le moment clef de la volonté de réinvestir le terrain a été sans aucun doute la conférence internationale de Berlin (Allemagne), de janvier dernier, à laquelle s'est activée la chancelière allemande Angela Merkel. Elle avait appelé directement le Président Abdelmadjid Tebboune pour lui transmettre l'invitation à cette rencontre sur la crise libyenne. Au même titre que les poids lourds de la politique mondiale, impliqués ou intéressés par les événements en cours dans cette région du nord-est du Maghreb, jusqu'aux Emirats arabes unis aux côtés de l'Egypte frontalière de la Libye. C'était l'occasion pour le chef de l'Etat «d'annoncer la couleur», lors de son intervention à la tribune de la conférence de Berlin. Il dira : «Si l'on veut le bien du peuple libyen, il faut le laisser décider de son propre destin sur la base de la légitimité populaire...». En langage simplifié, cela veut dire que la résolution de la crise par des moyens pacifiques, le dialogue, doit s'imposer à «l'usage des armes qui n'est jamais la solution». L'Algérie, qui a adopté le choix de la non-ingérence dans les affaires libyennes, a clairement fait connaître sa position «ni en faveur d'une partie ni contre l'autre», et se tient à équidistance des parties en conflit. C'est cela qui va lui permettre de redorer son blason et être sollicitée dans toutes les tractations autour d'une crise qui dure depuis 2011. Sabri Boukadoum, le ministre des Affaires étrangères, va être du coup l'homme des «missions impossibles», dans un contexte marqué par des rivalités et des luttes d'influence qui compliquent encore plus les situations de crise. C'est pourquoi, l'attitude de neutralité positive de l'Algérie se traduit par la confiance qu'elle suscite chez les belligérants libyens qui l'ont fait savoir par le soutien qu'ils sollicitent pour une sortie de crise. Les délégués d'Al Sarraj et ceux du maréchal Haftar feront plusieurs allers-retours vers la capitale, Alger, même si les résultats des négociations ne sont pas à la hauteur des attentes. La diplomatie algérienne ne désarme pas pour autant, preuve s'il en est les déplacements du diplomate algérien à Tripoli et à Benghazi au plus fort des tensions entre les camps rivaux. Sabri Boukadoum n'ignore pas la complexité du problème libyen du fait surtout des multiples ingérences étrangères. En dépit de ce parasitage, la persévérance dans la recherche d'une solution politique qui agrée les deux parties libyennes reste de mise. Les réunir à une même table semble une entreprise vouée à l'échec, du fait des rapports de force fluctuants et surtout défavorables à une paix que décideront les Libyens par eux-mêmes. Mais le concours de l'Algérie demeure à leurs yeux une carte précieuse. Les échos de la grave situation en Libye se sont fait entendre à la 33e session ordinaire des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union africaine (UA), tenue à Addis-Abeba (Ethiopie), début février dernier et qui confortent la diplomatie algérienne puisque le slogan retenu pour ce sommet panafricain a été : «Faire taire les armes.» C'était aussi pour le Président algérien, dont c'est la première participation en sa qualité de chef d'Etat, de rappeler dans son discours que «l'engagement de l'Algérie tire son essence de la profondeur de son enracinement dans la dimension africaine, partant de sa situation géographique et découlant de son histoire séculaire». Place forte des mouvements de libération en Afrique, les Panafricains se rappelleront l'aide diplomatique et matérielle fournie à des pays aujourd'hui indépendants. Les entretiens menés par Abdelmadjid Tebboune mettent en relief la contribution attendue de l'Algérie. Nous relèverons, à ce propos, l'inauguration d'une nouvelle ère d'échanges et de concertations entre les présidents algérien et français, après une période de froid, depuis le sommet de Berlin. Libye, Mali et sécurité ont été les sujets abordés. Emmanuel Macron signifie, par là, le caractère incontournable de l'Algérie sur les questions africaines dont celle d'une grande acuité : le Sahel. Jeudi 27 août, c'est le coup d'Etat au Mali qui a poussé le Président français à appeler Abdelmadjid Tebboune. La situation inédite créée par le colonel Assimi Goïta et ses compagnons a été un coup de tonnerre dans les chancelleries, aussi bien africaines qu'occidentales. Ancienne puissance coloniale et qui plus est engagée militairement au Mali avec l'opération Barkhane, la France craint de perdre pied dans cette région stratégique pour son influence et ses intérêts économiques (exploitation de l'uranium au Niger voisin). Emmanuel Macron ne peut faire l'impasse sur l'expérience de l'Algérie dans la lutte contre le terrorisme et que l'armée algérienne aux frontières décourage les trafics transfrontaliers des groupes criminels. D'autre part, avec le Mali, l'Algérie entretient des relations de solidarité et de soutien mutuels. Il en est ainsi de l'Accord d'Alger. À travers une déclaration rendue publique par son département, le chef de la diplomatie algérienne a réitéré l'importance cruciale du Mali. Le niveau de confiance bilatéral algéro-malien n'est nullement altéré par la conjoncture, fût-elle un bouleversement politique. Sabri Boukadoum n'hésitera pas à faire le long voyage de Bamako où il fut promptement reçu par les auteurs du coup d'Etat. Ce fut d'ailleurs l'occasion pour le diplomate d'échanger avec le chef de la Minusma (Mission intégrée multidimensionnelle des Nations-Unies pour la stabilisation du Mali) ainsi que le chef de la Mission de l'Union africaine pour le Sahel. Par ailleurs, l'Algérie veut imprimer à sa vocation africaine une volonté de coopération concrète, avec la création d'une Agence de coopération internationale pour la solidarité et le développement (Aldec). Cela implique-t-il une diplomatie commerciale couplée à la diplomatie conduite par le ministre des Affaires étrangères ? Brahim Taouchichet