De Tunis, Mohamed Kettou Le 23 octobre, Kaïs Saïed aura bouclé une année de sa vie comme président de la République suite à son élection, au suffrage universel, par un score fleuve de 72,71%. L'événement était précédé d'une campagne électorale modeste animée par des jeunes intellectuels convaincus des principes énoncés par leur candidat à la présidence. Homme probe et intègre, Kaïs Saïed n'a promis que la lutte contre le terrorisme et la corruption ainsi que la consolidation des acquis de la femme. En fait, il ne pouvait pas aller plus loin dans un système politique qui ne lui laisse la liberté de manœuvre que dans deux secteurs seulement, à savoir les affaires étrangères et la défense nationale, le reste relevant des prérogatives du chef du gouvernement. Cependant, son manque d'expérience politique lui a joué de sales tours au point d'aller violer la Constitution dont il est, pourtant, le garant. Pas besoin de retourner jusqu'aux premiers jours de son règne pour le prouver. Après deux nominations de chefs de gouvernement dont l'un n'a pas obtenu la confiance du Parlement, Saïed opte, encore une fois, pour un novice en la personne de Mechichi dont la carrière politique est aussi courte que la sienne. Celui-ci avait été conseiller à la présidence avant d'occuper le poste de ministre de l'Intérieur sur insistance du chef de l'Etat. C'était pour Kaïs Saïed un moyen de s'assurer sa loyauté. En vain. D'aucuns estiment que ce choix n'était pas fortuit et que le président de la République, en mauvais termes avec le Parlement et en particulier son président, Rached Ghannouchi, cherchait un chef de gouvernement dont il ferait un «Premier ministre» contrairement aux termes de la Constitution sans, toutefois, prévoir la réaction de celui qu'il croyait «son» homme. Avec la rapidité d'un éclair, les relations ont pris un virage dangereux (pour le pays) bien avant l'obtention de la confiance du Parlement par Mechichi et son équipe d'indépendants. En témoigne le limogeage, sitôt nommé au poste des Affaires culturelles, d'un universitaire non content de cette affectation. L'occasion était propice pour le président de la République de s'immiscer dans les affaires du chef du gouvernement pour imposer son «protégé». Premier couac. Cette intervention mal calculée a sonné le glas au niveau des relations entre les deux têtes de l'exécutif. Le chef de l'Etat, poursuivant son offensive, n'a pas hésité à humilier Mechichi pour avoir choisi deux anciens ministres de feu Ben Ali, comme conseillers économiques. La scène rendue publique a été fort critiquée par la quasi-totalité de la population qui attendait une réplique de la part de Mechichi. Celui-ci a rendu la balle à son Président en interdisant à tous les ministres tout contact avec le chef de l'Etat sans qu'il en soit informé à l'avance avec obligation de lui soumettre un compte-rendu de la teneur de l'audience. C'était une flèche lancée vers le palais présidentiel. Et comme la vengeance est un repas qui se mange froid, Mechichi a saisi la première erreur commise par le ministre imposé par Kaïs Saïed pour le limoger. C'était une deuxième flèche. Et pour enfoncer le clou et monter d'un cran dans ce bras de fer nuisible pour un pays dont la situation politique, économique et sociale est précaire, Mechichi ne cesse de multiplier les contacts avec ceux considérés comme «ennemis» par le Président Kaïs Saïed. Les représentants d'Ennahdha et de Qalb Tounès sont reçus au palais du gouvernement dans le cadre de la recherche d'une ceinture politique qui soutiendrait son gouvernement d'indépendants. Cependant, d'aucuns n'excluent pas le recours du chef de l'Etat à présider en personne, comme l'y autorise la Constitution, les réunions du Conseil des ministres en soutien aux ministres qu'il avait imposés à Mechichi et que celui-ci aurait dans son collimateur. Le plus en vue serait le ministre de l'Intérieur qui avait orchestré la campagne électorale de Kaïs Saïed. Dans ce climat délétère, les observateurs s'interrogent sur les délais fixés par les deux parties pour enterrer la hache de guerre dans un pays qui ne sait plus à quel saint se vouer. Le pays souffre d'une crise économique et croule sous des dettes qui ont atteint un taux très élevé par rapport au PIB. C'est une situation annonciatrice de bouleversements que pourrait précipiter la gestion approximative de la pandémie créée par cet ennemi aussi nuisible qu'invisible, le coronavirus. Un virus qui fait des ravages ces derniers jours comme l'attestent les chiffres qui, le 9 octobre, ont dépassé les 1 500 cas positifs. M. K.