Que signifiait au juste la victorieuse précision du président de l'Anie quand il insistait sur le fait que le raz-de-marée abstentionniste ne posera guère de problème juridique à la légitimité du petit «oui» quand bien même celui-ci n'a pu totaliser que 3,5 millions de voix alors que la grève du vote venait d'engranger une monumentale défection de 20 millions d'électeurs ? Voilà une curieuse assurance exprimée par le supposé arbitre d'un scrutin au moment où il était attendu qu'il posât à son tour la question concernant cette irrationnelle particularité allant à l'encontre de toute équité électorale. En d'autres termes, la presse aurait aimé qu'il reconnaisse le bien-fondé de cette injustice et qu'il admette que la législation algérienne est coupable d'imprécision en ne tenant pas compte d'un seuil qui valide ou annule un scrutin alors que ce genre de procédure était rigoureusement encadré dans la plupart des démocraties dès les années 60 du siècle dernier. En consacrant justement une thèse entière à «l'abstentionnisme électoral»,(1) un juriste français avait éclairé ce pourquoi ses effets ont été longtemps tenus pour négligeables. «C'est, écrit-il, parce qu'il ne semblait pas que des phénomènes par définition négatifs puissent faire l'objet d'une approche juridique positive». Autrement dit, le refus de vote était victime d'un préjugé de l'ordre d'une prétendue «morale civique». D'ailleurs, ce genre de posture a déjà eu l'occasion de paraître ici. Il suffit de se rappeler de l'agressivité des islamistes soutenus par la jurisprudence de Bouteflika lors du référendum consacré aux lois sur la réconciliation et l'amnistie. Traités de traîtres puis d'apostats dans les mosquées, les électeurs réfractaires à cette abdication allaient constater que leurs abstentions étaient gommées des PV des scrutins ! Or, l'abstention civique ne fonctionne en vérité que lorsque des certitudes sont établies qu'un vote serait vain puisque le bourrage des urnes fera automatiquement le reste pour la validation officielle. Par ailleurs, la même posture électorale s'impose parfois lorsque la compétition politique fait défaut ou du moins lorsque le fair-play du débat contradictoire est interdit comme cela vient d'être le cas lors de la récente campagne à sens unique. En effet, en récidivant à travers la réactivation des méthodes du passé, le nouveau régime ne pouvait que s'exposer aux plus désagréables des constats d'autant plus que le chef de l'Etat, dont la marge de confiance que lui ont attribuée les urnes était fragile (4 millions de voix), était impérativement appelé à «ne pas perdre de vue la nouvelle réalité induite par le Hirak (...). Cette majorité qui n'est plus silencieuse ou qui ne se contente plus du boycott passif des élections», comme l'écrivait dès le lendemain de la présidentielle notre confrère Mebarki dans les colonnes de l'Est Républicain. L'autre signe révélateur de la panique ayant prévalu tout au long de l'insipide campagne est notamment souligné par la ridicule langue de bois de ces tribuns de la « société civile », laquelle avait tout l'air d'une génération spontanée recrutée dans la plupart des wilayas mais qui ne manque pas de rappeler les messes rétribuées par le FLN au profit d'un Bouteflika impotent. Un spectacle qui n'avait pas manqué d'inspirer une partie de l'électorat remontée contre ces reliquats de la démagogie là où il y avait nécessité ou opportunité de débattre au sujet du contenu véritable de cette révision constitutionnelle. Face à tant d'obstacles, les réseaux sociaux allaient se réapproprier une certaine mobilisation en substituant au vote protestataire l'abstention pure et simple comme riposte après avoir eu la certitude que la seule inquiétude qui pouvait tarauder la démarche du pouvoir résidait dans la défection des électeurs. En définitive, cette stratégie basée sur «l'absence» de visibilité se muera en contre-morale citoyenne. D'ailleurs, une bonne partie de ceux qui avaient, par discipline de groupe, séché les urnes étaient certainement d'authentiques militants du Hirak. C'est-à-dire ceux à qui l'on avait promis une «Nouvelle République» encadrée par une Constitution «autre» et qui découvrent que l'amendement proposé a tout l'air d'un subterfuge. D'où l'étrange quiproquo tissé de toutes pièces en vue de siphonner la vigueur de la contestation encore perceptible dans les strates de la jeunesse. En somme, une mise en scène qui, dès le début du mandat présidentiel, prit les allures et les codes sémantiques d'un simple malentendu entre le palais et les échos de la rue. Or, trop d'inexactitudes ont déjà émaillé ce fameux dialogue de sourds. En effet, lorsque le pouvoir avait, dès février, rendu publics les termes désignant la question constitutionnelle, il ne manqua pas de faire usage du vocable «révision» alors que le vis-à-vis souhaitait que l'on insistât sur la formule idoine de «transition démocratique». Etonnamment donc, l'on ne parlait plus du même objectif. D'un côté, il s'agissait de «réviser» et de l'autre, il ne pouvait y avoir de sortie de crise sans une « transition » refondatrice qui signifierait le passage à un autre cadre juridique propice à l'accouchement d'une seconde république. À partir de ce tournant illustré par de sourdes fâcheries, le pays entra dans une dualité conflictuelle entre le primat d'une constituante, seule qualifiée pour jeter de nouvelles bases en remplacement à ce qu'étaient celles de l'Etat en opposition au dirigisme historique d'un système de pensée qui se contenterait de n'actualiser que les modalités de fonctionnement de l'Etat tout en préservant les vieux équilibres internes. Or, les institutions de l'Algérie ont plus que vieilli. Rongées par les pires maux de l'illégitimité des urnes, comment pouvaient-elles être en mesure de servir encore comme rouages à l'Etat ? Une seule réponse s'imposait à ce dilemme dont la présidence n'avait pas fait cas au lendemain de l'investiture. Celui d'engager au préalable une discussion avec des réseaux choisis et proches du Hirak au lieu de mobiliser des constitutionalistes, habilités à rédiger un projet et son contraire à partir d'une feuille de route en sept points. Un cheminement bureaucratique qui avait également «transité» par un Parlement sans crédit afin qu'il donne son «avis» pour ensuite récolter le fruit d'une adoption par le biais d'un référendum qui vous donne gagnant même lorsque vous perdez au tableau de marquage des voix... Il est vrai que le silence qu'observe l'électeur quand il refuse la politique du pire est considéré comme un acte anticivique. Telle est la morale d'une validation «hallal», selon le qualificatif du maître d'œuvre de ce référendum. Boubekeur Hamidechi (1) L'abstentionnisme électoral de Alain Lancelot in : Les cahiers de la fondation nationale des sciences politiques - Armand Colin éditeur, 1968.