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Espace de vie ordinaire en temps de pandémie
Publié dans Le Soir d'Algérie le 17 - 12 - 2020

Quelque part, du côté de Bouchaoui, l'endroit est un pan de route sans vocation, sans prétention mais depuis quelques mois, il est devenu le nouvel eldorado des fruits et légumes. On ne saura d'ailleurs jamais pourquoi mais tout ne s'explique pas dans la vie du village. Il y a des accidents de l'Histoire, des hasards de la géographie et des aberrations du marché. Rien ne destinait ce bout de chemin égaré entre un pâté de maisons en chantier chronique et une orangeraie en décomposition organique à cette nouvelle vocation. On sait comment commence ce genre de choses mais on ne sait jamais comment elles finissent. Quelqu'un a dû installer son étal d'oignons, d'oranges ou de pommes de terre. Futé, roublard ou désespéré, il est venu vendre quelque chose, tout ou n'importe quoi. Puis un autre a fait comme lui, puis un autre, jusqu'à ce que l'endroit prospère. Les étals ne sont pas vraiment différents de tous les autres qui essaiment partout où les véhicules peuvent s'arrêter et parfois là où c'est moins évident. Ceux qui font halte ici ne comparent pas forcément mais il paraît que les prix sont un vrai bonheur pour la bourse. Alors on y vient. Ici, il n'y a pas de bousculade parce que ce n'est pas vraiment la foule. Aucun bus ne s'y arrête et c'est trop isolé pour ceux qui n'ont que leurs pieds pour se mouvoir. Ici, tout le monde ou presque porte une bavette. À première vue, il n'y a pas de mystère: tout le monde descend de voiture et en voiture, on fait désormais attention. Pour se protéger du Covid-19 ou de l'amende ? Un peu les deux, histoire de sauter sur la réponse facile. Pas si facile que ça, ici on porte la bavette pour remplir son couffin mais on n'est pas dérangé par les vendeurs qui n'en portent pas. Parce qu'ici, aucun vendeur ne porte la bavette et la distanciation physique est une vue de l'esprit. Encore heureux qu'on soit en plein air ! Ici, on est étrangement - et un peu dangereusement quand même - décontracté. Certains ont le masque sur le menton ou sous le nez, d'autres se rapprochent plus que de raison mais on cède la place aux femmes et aux vieux devant l'étal et personne ne se bagarre pour une place de stationnement. Il y a des endroits comme ça. On sait comment ils naissent, on les voit grandir mais personne ne sait comment ils vont disparaître. Sans doute parce qu'ils disparaissent vite, plus vite qu'ils ont apparu. Le Covid-19 n'y est pour rien, ce sont les femmes et les hommes qui font les accidents de l'Histoire, les hasards de la géographie et les aberrations du marché.
S. L.

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