Par Sa�d Sadi La saison estivale n�aura que tr�s mod�r�ment r�duit les irruptions m�diatiques engendr�es par la publication du livre Amirouche, une vie, deux morts, un testament. Si l�on veut �tre optimiste, on peut en conclure que la profusion des interventions t�moigne de la soif des Alg�riens de comprendre un pass� dont ils ont �t� d�poss�d�s et par lequel on les a soumis. Si l�on s�en tient � la nature de la grande majorit� des productions, force est de constater que la plupart des auteurs se sont saisis de la parution du livre qui pour r�gler des comptes, qui pour jeter l�anath�me sur mon initiative en vue de maintenir, d�une mani�re ou d�une autre, la chape de plomb sur la m�moire alg�rienne. Il est pourtant utile de reprendre quelques-unes des derni�res sorties car, si elles ne traitent pas de l�objet auquel invite l�ouvrage, elles d�voilent des ressentiments ou des insinuations voire, pour certaines, des aveux qui sont autant d�indices sur l��tat de sant� morale et politique d�une partie de notre soci�t�. J�ai retenu trois commentaires et deux r�actions de quotidiens dont l�analyse constitue un �clairage de l��tat d�esprit qui anime certaines de nos �lites : il s�agit de la querelle lanc�e par M. Addi Lahouari autour du contrat de Rome, de la plaidoirie de M. T�guia sur le bilan de Boumedi�ne et, par extension, de ses soutiens, de la mont�e au cr�neau d�un professeur de m�decine � Oran, M. Farouk Mohamed-Brahim et, enfin, des positions des journaux Ech Chourouk et le Quotidien d�Oran. Le boumedi�nisme monomaniaque de M. Mabroukine n�est pas, en d�pit des apparences, ce qu�il y a de plus ubuesque dans cette effervescence politicom�diatique. En d�clarant que l�homme du 19 juin �tait trop grand pour le peuple alg�rien, qu�il �tait fond� � se doter d�une arm�e des fronti�res pour s�imposer dans l�apr�s-guerre et que cette arm�e �tait plus l�gitime que le GPRA dont elle �tait suppos�e d�pendre, en d�cr�tant qu�il n�a commis ni coup d�Etat, ni crime, ni abus et que Bencherif a s�questr� les d�pouilles des colonels Amirouche et Haou�s � l�insu de son idole, M. Mabroukine s�inscrit dans une d�marche irrationnelle qui n�a pas lieu d��tre appr�hend�e dans un d�bat politique. La ranc�ur comme raison de vivre Plus probl�matique est l�intervention de M. T�guia. Massive et compulsive comme le sont souvent les sorties des n�ocommunistes alg�riens, l��crit porte la marque d�un stalinisme �sp�cifique � qui cumule confusion calcul�e, brutalit� et ranc�ur. Ceux qui ont trouv� la force de suivre le feuilleton de M. T�guia en furent pour leurs frais. Beaucoup s�interrogent encore sur ses motivations, le sens de son message et ses objectifs. Pour avoir crois� les derniers adeptes du r�ve communiste en Alg�rie, je crois faire partie de ceux qui peuvent encore pr�tendre d�crypter un refoul� qui se r�v�le �pisodiquement chez ces nostalgiques dans des incursions qui prennent pr�texte sur ce que disent ou font les autres pour �viter d�avoir � se retourner sur leur pass�. Ils ne revendiquent pas, en tout cas ils ne l�assument pas clairement, l�h�ritage du Parti communiste alg�rien sur lequel je reviendrai. V�ritables autostoppeurs de l�Histoire (il n�y a rien de p�joratif dans mon propos), ils vivent d�occasions que peut offrir l�activit� d�un parti ou l�initiative d�un responsable (de pr�f�rence de l�opposition d�mocratique) pour se manifester, juger et, surtout, tenter de faire passer un discours qui ne trouve, par ailleurs, ni opportunit� pour se d�clarer, ni auditeurs pour s�y int�resser. Nous allons voir par la suite par quels proc�d�s ils op�rent. Mais essayons d�abord de saisir quelles sont les principales id�es que M. T�guia a voulu distiller. 1er) Il n�y a pas de place pour la critique ni m�me l��valuation du bilan de Boumedi�ne qui n�a commis, nous apprend M. T�guia, que de �minuscules erreurs�. Exit les putschs, les assassinats, la corruption d�Etat, encourag�e d�s lors que le pr�dateur renon�ait � l�action politique, ignor�es les fraudes �lectorales� 2e) L�Alg�rie qui n�a pas su �tre digne du MDS, du CCDR et de l�artifice des arouchs paiera ch�rement une telle d�sinvolture. 3e) La solution � la crise alg�rienne est simple. Il suffit de concevoir un bon mercato politique qui ferait de l�arm�e une �quipe multipartisane o� le MDS trouverait une place, f�t-ce sur le banc des rempla�ants, pour que, du jour au lendemain, notre destin s�accomplisse enfin. 4e) Celui qui a priv� la nation de toutes ces lumineuses trouvailles n�est autre que le RCD qui n�a pas su appr�cier ni voulu appliquer des pr�ceptes aussi miraculeux. Fort heureusement pour les forces progressistes alg�riennes, il est arriv�, dans le pass�, au mouvement communiste d�avoir des id�es et des propositions un peu moins fantaisistes. Analysons maintenant la m�thode utilis�e pour se poser a priori comme un simple d�batteur concern� par un livre sur l�histoire contemporaine de notre pays avant de d�river vers une rumination c�l�brant son propre pan�gyrique par la disqualification de l�autre. En se d�marquant des attaques des agents du MALG, de trois historiens, de M. Addi Lahouari, de M. Kafi ou des autres hussards de la plume d�rang�s par le fant�me d�Amirouche, M. T�guia, quoi qu�il pr�tende au d�part, ne leur reproche ni leur sectarisme, ni leur volont� de garder leur monopole sur l�histoire ni m�me leur antikabylisme. En v�rit�, il leur en veut de l�avoir pr�c�d� dans la besogne et, accessoirement, d�avoir �t� par trop maladroits dans la charge. Avant lui et sur un autre registre, nous nous souvenons tous de la sortie de M. Bela�d Abdeslam, revenu comme chef du gouvernement, et qui, voulant neutraliser l�int�grisme dans les ann�es 1990, d�clarait : c�est nous qui r�aliserons la charia. Le probl�me n��tait donc pas le risque que faisait peser sur le pays la th�ocratie, d�nonc�e explicitement par le Congr�s de la Soummam dont il se r�clamait, mais de ne pas �tre devanc� dans la mise en �uvre du chantier. En l�occurrence, il e�t fallu selon M. T�guia, le laisser, lui, le n�ocommuniste, travailler l�affaire avec une approche �rigoureusement scientifique � avertit-il. En effet, il reprend � son compte tous les arguments de ses pr�d�cesseurs en les agr�mentant de citations d�auteurs et d�acteurs syst�matiquement tronqu�es ou isol�es de leur contexte, allant jusqu�� nous sugg�rer que Ben M�hidi �tait, en fait, un communiste qui s�ignorait. La confusion comme m�thode En d�plorant le fait que pas un intellectuel, pas un artiste pas un dirigeant politique, pas un homme de religion n�ait condamn� la s�questration des ossements d�Amirouche et de Haou�s, ce qui, au fond, est au c�ur de mon livre, je ne faisais rien d�autre que d��noncer une �vidence tout en estimant qu�une telle d�mission ne pouvait pas �tre signifiante d�une sant� politique qui prot�ge les soci�t�s des pires r�gressions. M. T�guia qui ne nie pas le fait se saisit de mon appr�hension pour entamer un interminable monologue o� il se pose des questions, donne ses r�ponses et, quand il n�en a pas assez, s�invente des s�narii pour assouvir ses fantasmes. A sa d�charge, M. Addi Lahouari ne fait rien d�autre en refusant de r�pondre aux sujets sur lesquels l�avait interpell� le d�put� H. Saheb. Mon livre recourt, entre autres, � de nombreux t�moins pour �tablir la biographie d�Amirouche. M. T�guia qui ne daigne rencontrer aucun d�entre eux s�interroge sentencieusement : �Qu�est-ce qui nous dit que ces t�moins ne nous mentent pas ?� sugg�re-t-il, avant d�en d�duire : �S�ils nous mentent, nous devons savoir pourquoi. � On ne peut qu�admirer le syllogisme. Avant d��tre radicalit� politique criminelle, le stalinisme assum� est d�abord une d�viance intellectuelle. Je ne r�siste pas � l�envie de rapporter ce t�moignage de Soljenitsyne o� M. T�guia pourrait se reconna�tre m�me si, on l�imagine sans peine, les ouvrages de l�auteur de �L�Archipel du Goulag� ne figurent pas parmi ses lectures pr�f�r�es. Un juge de l�Union sovi�tique s�adressant � un citoyen soup�onn� d�anticommunisme d�clare : �Nous n�avons pas de preuves contre vous. Si nous ne les avons pas trouv�es c�est que vous les avez cach�es. Si vous les avez cach�es c�est que vous �tes coupable.� Connaissant de longue date le conditionnement de nos intellectuels organiques, j�ai veill�, et je l�ai annonc� dans l�avertissement de mon livre, que je n�ai gard� que les t�moignages des personnes encore en vie. Au lieu de se rapprocher de ces acteurs pour v�rifier la teneur de leur propos, M. T�guia s�occupe de savoir pourquoi ils nous mentent ! Plus de trois cents titres de la presse couvrant la p�riode 1950- 1959 consult�s, des documents in�dits accablants ses mentors n�ont pas �branl� un seul instant un T�guia mur� dans ses certitudes et qui d�cide que le livre est insuffisamment document� ! �Qu�est-ce qui nous garantit, ass�ne-t-il, que ces documents ne sont pas des faux ?� Il suffisait pourtant d�aller aux sources o� ils sont toujours disponibles. Trop simple. Le but n�est ni de v�rifier, ni de compl�ter une information. Il s�agit de fausser le d�bat pour d�livrer son message. Bard� de son lexique de citations, M. T�guia nous explique qu�il est �scientifiquement� inexact d�accuser de quoi que ce soit Boussouf et Boumedi�ne car devant la marche de l�histoire, qu�en bon marxiste il nous invite � appr�hender dans la globalit�, la responsabilit� des individus n�a pas lieu d��tre �voqu�e. Outre qu�un tel prisme r�duit la vision marxiste des choses, M. T�guia ne se g�ne pas pour tordre le coup � son sacro-saint principe quand il faut se faire plaisir. Dans la foul�e du livre sur Amirouche, M. Djeghaba, ancien responsable du FLN, ayant soutenu le devoir de tout Alg�rien de t�moigner, se fait reprendre s�chement par notre critique qui lui impute le �funeste article 120� sommant, on s�en souvient, les militants communistes d�adh�rer au FLN s�il voulait postuler � des postes de direction. Quand les camarades sont touch�s, la responsabilit� personnelle, au demeurant toute relative de M. Djeghaba � l��poque, est d�nonc�e sans nuance et au diable �la marche de l�histoire� qui entra�ne les individus au-del� de leur volont�. M. Djeghaba, qui a eu l�honn�tet� de dire avoir pris du recul sur la vie politique alg�rienne et m�me sur son propre parcours, a estim� que la restitution du FLN � la m�moire collective lui apparaissait comme un premier pas pour l��tablissement d�une vie publique cr�dible et apais�e. Beaucoup d�Alg�riens, parmi lesquels le pr�sident Boudiaf auquel s�agrippe M. T�guia, ont dit la m�me chose que M. Djeghaba. Mais ce dernier a commis l�irr�parable. Il a os� soutenir que le citoyen que j��tais avait le droit et m�me le devoir de parler. Or, pour notre n�ocommuniste, l�histoire n�est pas un espace commun soumis � �clairage et d�bat ; c�est un levier que l�on actionne pour essayer de faire basculer des situations contraires. Et les droits et devoirs ne sont �nonc�s et octroy�s que par les d�tenteurs autoproclam�s de la �pens�e scientifique�. On observera au passage que ledit article 120 ne fut d�clar� �funeste� qu�� partir du moment o� il mettait au pas les communistes. Jusque-l�, les adh�rents du PRS, du FFS du MDRA et, plus tard, du MCB �taient marginalis�s et broy�s sans que les �compagnons de route� du FLN n�aient rien trouv� � redire. Stalinisme et d�ni de r�alit� Je dois cependant � la v�rit� de rappeler que d�authentiques communistes avaient, � l��poque, essay�, en vain, d�attirer l�attention de leurs jeunes camarades, r�cemment convertis, sur une compromission qui �tait moralement inadmissible et, m�me, tactiquement dangereuse. Voil� donc Boussouf et Boumedi�ne exon�r�s de l��tranglement d�Abane, des ex�cutions des colonels des Aur�s, du capitaine Zoubir et du colonel Chabani, des assassinats de Krim Belkacem et de Khider pour ne parler que des crimes les plus connus ; crimes donn�s par M. T�guia comme �d�insignifiants d�tails� justifi�s par la �marche de l�histoire�. Parall�lement, M. Djeghaba est clou� au pilori en tant qu�auteur de l�article 120. J�insiste � dessein sur le propos de M. T�guia car, plus que d�autres, il montre comment, m�me � froid, la ranc�ur et l�aveuglement politiques peuvent amener un homme � couvrir, voire justifier le crime. Il convient de dire, cependant, que cet �crit n�est pas le plus p�joratif pour ce qui est de l�avenir national ; je dirai plus loin pourquoi et reviendrai sur les signaux les plus dangereux pour la perspective alg�rienne apparus dans cette tornade. Je sais que je n�arriverai pas � amener M. T�guia � prendre de la distance par rapport � tout ce qu�il revendique, explicitement ou implicitement, de l��poque de Boumedi�ne. Mais qu�il accepte seulement d�entendre lui, le f�ru de citations ampoul�es, ces propos d�un Alg�rien mort pour avoir voulu vivre en tant qu�intellectuel rigoureux et autonome. C��tait pendant l��t� 1992. Le pays �tait sous le choc de l�assassinat du pr�sident Boudiaf. Nous �tions attabl�s � quatre sur une terrasse d�un caf� d�Azzefoun. Il y avait avec nous le com�dien Fellag qui n�avait pas encore atteint la notori�t� internationale qu�on lui conna�t aujourd�hui et nous devisions sur ce qui avait pu mener un pays comme l�Alg�rie � un tel cataclysme. Puis � un moment, de sa voix douce et mesur�e, Tahar Djaout, puisque c�est de lui dont il s�agit, rest� longtemps silencieux, l�cha : �On peut prendre l�affaire sous tous les angles, on arrivera � la m�me conclusion : c�est Boumedi�ne qui a min� le terrain. Dans les pays liberticides quand l��cole est abandonn�e � l�int�grisme, la suite est in�vitable. � M. T�guia pourra v�rifier ce t�moignage aupr�s de Fellag ou de la quatri�me personne, A. T., un enseignant, aujourd�hui conseiller au minist�re de l�Education. Mais n��tant pas de sa secte politique, Tahar Djaout, naturellement, ne saurait avoir un avis �scientifique�. S�r de son fait, M. T�guia me fait le reproche d�avoir rapport� en quoi et comment Bourguiba avait pris ses distances avec un Nasser h�g�monique, pr�f�rant inscrire sa r�flexion et son action dans un cadre nord-africain qu�il savait plus homog�ne historiquement et, estimait-il, plus fiable politiquement. L� encore, M. T�guia ne nie pas les faits. Il m�interdit de les analyser, moi �le social-d�mocrate, anti-sovi�tique et antiarabe � vendu aux Am�ricains. Je vais vous aider dans vos r�criminations M. T�guia : Bourguiba, en d�pit de sa fin de r�gne d�l�t�re, �tait un homme d�Etat et Boum�diene �aujourd�hui, m�me ceux qui l�ont suivi et redout� le confessent � ne fut qu�un homme de pouvoir. J�ai essay� de d�montrer dans mon livre en quoi les deux statuts �taient diff�rents et m�me opposables. Pendant que Boumedi�ne pr�parait l�arm�e des fronti�res pour soumettre le pays apr�s l�ind�pendance, Bourguiba pensait � l��cole et au statut de la femme. Communisme alg�rien : un patrimoine � pr�server Nous ne cultivons pas les m�mes valeurs, nous ne partageons pas les m�mes opinions, nous n�avons pas le m�me v�cu et n�aspirons pas au m�me avenir. Vous me reprochez de vouloir �moraliser la politique�. Je plaide coupable. D�fendez vos id�es et acceptez que j�en fasse autant. En quoi de consacrer l�essentiel de votre �nergie � vitup�rer contre les uns et les autres ferait-il avancer vos positions dans le pays. Comment osez-vous, aujourd�hui encore, essayer de vous convaincre que �le r�alisme du RCD l�a souvent amen� � rejoindre, en retard, les solutions utopistes du MDS et du courant qu�il incarne.� Quand un acteur politique en vient � se mentir � lui-m�me aussi effront�ment, c�est qu�il a quitt� le royaume de la raison. Au moment o� le RCD et �le courant qu�il incarne� se battait pour le pluralisme politique, vous faisiez partie de ceux qui disaient que le multipartisme �tait �une man�uvre de la r�action qui menace la r�volution�. Quand nous �tions licenci�s, emprisonn�s et tortur�s pour avoir dit que l�honneur de notre pays c��tait d�assumer son identit� pleine et enti�re, vous demandiez �un ch�timent exemplaire contre les diviseurs de la nation, r�actionnaires et alli�s de l�imp�rialisme�. Quand nous revendiquions la la�cit� comme unique bouclier contre la d�rive int�griste, vous nous d�nonciez en tant que provocateurs qui n�ont pas compris que le FIS �exprimait l�Islam des pauvres�. Il n�y a pas de plaisir � le dire mais il faut chercher longtemps dans le catalogue politique alg�rien pour trouver un parti qui s�est autant fourvoy�. En politique, le probl�me n�est pas dans l�erreur, il est dans l��garement. Fort heureusement, les militants et les cadres de l�ex-Pags ont, pour leur grande majorit�, tir� des enseignements plus lucides de leur exp�rience. Aujourd�hui, le dialogue avec eux est intelligible, loyal et f�cond. Auparavant, j�avais eu le plaisir d�avoir rencontr� des Alg�riens, militants communistes convaincus et assum�s, dont le back-ground s�exprimait par autre chose que les raccourcis, les d�clamations sentencieuses et autres chim�res auxquelles s�abreuve M. T�guia. Ils ont pour nom Bachir Hadj Ali, Abdelhamid Benzine ou Sadek Hadjeres. Ils ont lutt� courageusement contre le colonialisme et souffert de l�intol�rance de leurs fr�res. Ils furent � l�origine de belles r�alisations comme Alger r�publicain. Ils eurent un comportement digne et surent, la mort dans l��me, admettre les limites de leur engagement et de l�impact de leur doctrine en Alg�rie. Pour autant, ils n�ont jamais c�d� � la ranc�ur qui vous envahit, M. T�guia. Dignes et humbles, ils ont demand�, souvent en vain, � exister et �tre entendus. Ils ont fait l�inverse de ce que vous commettez : vouloir se consoler en accablant les autres de ses �checs. La longue diatribe de M. T�guia a pourtant un m�rite. L�histoire du communisme en Alg�rie doit �tre �crite par celles et ceux qui y ont cru et s�y sont donn�s avec d�vouement et sinc�rit�. Faute de quoi, elle risque de conna�tre le sort de l�histoire nationale en g�n�ral : �tre confisqu�e par des n�ophytes, voire des charlatans, privant le pays d�une partie de sa m�moire politique. Il y a quelques ann�es de cela, je rencontrai Sadek Hadjres en France. Il m�a affirm� vouloir s�employer � �crire ses m�moires et m�me continuer � donner son avis sur l��volution nationale. J�esp�re que la sant� ne le trahira pas avant qu�il ait accompli cette ultime et belle t�che. Aveuglement suicidaire Oppos�es en apparence, les attaques de M. Addi Lahouari et celles de M. T�guia sont intellectuellement sym�triques. Le premier me d�nonce pour ne pas m��tre ralli� � Sant�Egidio, le second me condamne sans appel pour avoir g�ch� sa jubilation devant le bilan de Boumedi�ne. M. Addi nous explique que la connaissance de notre peuple est directement proportionnelle � la distance qui vous s�pare de lui : plus on s�en �loigne, mieux on le comprend ; M. T�guia annonce que plus on �choue plus on a raison. Tout cela, apr�s la publication d�un livre sur Amirouche ! Dire qu�un autre chemin est possible et refuser d�hiberner dans des niches v�cues, � un moment ou un autre de notre histoire ( contrat de Rome pour l�un et charte nationale pour l�autre ), comme �une option irr�versible� est en soi inadmissible pour les deux �scientifiques�. L�aventure romaine et le pouvoir de Boumedi�ne rel�vent d�j� du jugement de l�Histoire. Essayer de justifier son engagement pour l�un ou l�autre de ces sujets peut s�entendre. En maquiller les m�faits rel�verait d�un jeu compr�hensible. Vouloir interdire aux autres, en 2010, d��mettre leur opinion sur ces deux dossiers a quelque chose de path�tique. Salafisme d�Etat N�avoir que le RCD � cibler apr�s la publication d�un livre sur le colonel Amirouche t�moigne d�une rupture d�intelligence. Au m�me moment, un d�bat vital s�engage dans nos villages pour r�habiliter une vie religieuse faite de tol�rance et d�humilit� et d�livrer la collectivit� d�un salafisme n�gateur de l�homme, de la nation et de la patrie. Comme d�habitude, il faudra attendre encore quelques ann�es de lutte avant de voir MM. T�guia et Addi Lahouari d�couvrir les vertus de l�Islam populaire et se poser ensuite en avant-gardes des grandes luttes engageant les questions soci�tales. La pr�cipitation des �v�nements � Aghribs � qui n�est pas sans liaisons avec la sortie du livre � o� dix-sept (17) activistes, puissamment financ�s d�on ne sait o�, ont voulu imposer � 3 500 citoyens une caserne salafiste, a finalement r�v�l�, que pour la seule Kabylie, plus de 110 villages vivent la m�me provocation. Des informations cr�dibles font �tat d�incursions identiques aux Aur�s. Il est fort probable que d�autres contr�es d�Alg�rie sont touch�es � des degr�s divers. Fort de l�exp�rience de leurs concitoyens d�Aghribs, les hameaux se regroupent, se concertent et organisent la riposte. L�internationale islamiste qui, elle, sait qu�elle joue � cette occasion une partie d�cisive a mobilis� toutes ses structures et annexes : journaux et partis en Alg�rie et relais � l��tranger o� les cha�nes satellitaires comme Al Jazeera ont orchestr� la d�sinformation. Mais dans cette affaire, le plus d�rangeant est ailleurs. Pendant deux ans, les pouvoirs publics, alert�s par pas moins de 78 plaintes, n�ont pas r�agi. Quand on conna�t comment, par qui et pourquoi a �t� cr�� le journal Ech-Chourouk qui s�ab�me dans une propagande digne de l��poque coloniale dans cette op�ration, on ne peut que v�rifier la r�alit� d�un salafisme d�Etat qui surfe sur les incursions int�gristes internationales, s�en accommode, les encourage pour r�duire l�influence des partis ou des espaces porteurs d�alternative d�mocratique, croyant pouvoir intervenir quand les int�r�ts du pouvoir seront directement menac�s. On sait d�j� o� nous a men�s ce genre de calcul. Une fois de plus, c�est le village, le quartier ou, accessoirement, l��migration qui anticipent et se battent sur un chantier capital face � une d�mission de ceux qui sont suppos�s voir et pr�venir les p�rils. J�ai eu l�occasion de dire que nous vivons dans un pays o� le niveau du citoyen est sup�rieur � celui du dirigeant. On peut s�en d�soler ou s�en r�jouir mais l�histoire vient encore de confirmer le constat. Pas un intellectuel, pas une ONG, exception faite du robinet d�eau ti�de ouvert par M. Ksentini. (Il m�a cependant certifi� au t�l�phone n�avoir pas tenu les propos que lui a pr�t�s le quotidien Libert�), n�a cru utile, ne serait-ce que par curiosit�, de s�int�resser � ce qui est pourtant un enjeu vital pour le pays ; car ce qui s�est pass� � Aghribs n�est que l�infime partie de l�iceberg salafiste. J�imagine qu�en d�plorant ce silence, M. T�guia relancera sa rengaine en me refaisant le proc�s de celui qui d�teste les intellectuels. Une contamination d�Amirouche, sans doute. Si au lieu de ruminer pendant trois mois contre le combat du RCD, MM. T�guia et Addi Lahouari �taient all�s sur le terrain pour voir comment vit, agit et r�agit leur peuple, ils auraient pu d�couvrir, analyser et comprendre ce � quoi aspirent leurs concitoyens et ce qui les menace. En l�espace de trois mois, le RCD a mis sur la place publique le traitement de l�histoire dans notre pays, la d�licate question des traditions religieuses et de leur place dans la cit� et lanc� l�id�e de la cr�ation de sites de partage et d��change �conomiques et culturels solidaires pour recr�er de la convivialit� dans une soci�t� rong�e par l�arbitraire, la censure et l�isolement, g�n�rateurs de tant de violence et de r�gression. L�administration, si laxiste devant les appels au meurtre des salafistes, a tout fait pour emp�cher, censurer ou perturber les initiatives du Rassemblement. Quand un parti joue son r�le dans un climat politique o� le pouvoir ostracise toute initiative de l�opposition, on est en droit d�attendre de ceux dont c�est la mission d�anticiper et de d�fricher les chemins par leur audace et leur savoir de ne pas toujours se tromper de cible. Nation alg�rienne : un projet hypoth�qu� Les �garements si fr�quents de nos �lites expriment avant tout une impuissance. Il convient de les identifier, de les d�coder mais ils ne devraient pas nous pr�occuper outre mesure. Ils r�v�lent la lassitude, le d�pit ou l�isolement d�une pens�e exil�e ou enkyst�e. Faute de revendiquer leur r�le de prospecteur des causes et des responsabilit�s de l�impasse nationale, ils se d�faussent sur ceux qui se battent et qui, de toute fa�on, ne risquent pas de leur nuire. Plus g�n�ralement, ils pr�f�rent se r�fugier dans des g�n�alogies �th�r�es ou des causes consensuelles. Il est plus facile de se d�finir comme arabe que de s�assumer en tant qu�Alg�rien et il est plus commode de se positionner autour des dossiers irakiens ou palestiniens que de s�immerger dans la complexit� alg�rienne. Encore que pour ce qui concerne la question palestinienne, leur relation avec le Fatah est de plus en plus ambigu� pour ne pas indisposer le Hamas. Pendant la crise de Ghaza, je fus le seul responsable � avoir re�u le d�l�gu� de l�Autorit� palestinienne � Alger et le pr�sident Mahmoud Abbas a attendu, en vain, un appel de la pr�sidence alg�rienne. Cette fuite qui a ses conforts, porte en elle-m�me ses limites. A qui et � combien peuvent, en effet, parler les diversions pol�miques de MM. Addi et T�guia dans une Alg�rie jeune, fascin�e par l�exil et inond�e par les cha�nes moyenorientales, v�ritables fl�aux pour une Afrique du Nord � la d�rive ? Le traitement de ces deux interventions n�a, en v�rit�, pas d�autre objectif que de rappeler le d�phasage des rares observateurs nationaux qui traitent encore de leur soci�t�. Ce prurit intellectuel qui prive le pays de d�bats � la mesure des enjeux n�est malheureusement pas ce qu�il y a de pire pour l�avenir. Des discours autrement plus toxiques, �manant de cadres qui s�expriment sans contraintes ou des positions de m�dias cr��s et/ ou sponsoris�s par divers clans du r�gime posent crument la probl�matique de la r�alit� et de la viabilit� du projet national alg�rien. Il en est ainsi de l�intervention livr�e par le Quotidien d�Oran le 5 juin, sous la plume de M. Farouk Mohamed-Brahim, professeur de m�decine exer�ant dans la capitale de l�Ouest. Son texte est une sorte de concentr� des travers de tous les autres. Il se r�sume � deux choses : un antikabylisme pathologique et une injonction me sommant de rester dans le sillon du combat et de laisser les projections et la gestion du destin alg�rien � ceux dont le pouvoir est la fonction naturelle. Le professeur Farouk Mohamed-Brahim me reproche d�avoir trop parl� de la Kabylie en traitant de la Wilaya III ! J�ai, selon lui, aggrav� mon cas en donnant des citations en Kabyle dans mon livre; Amirouche, tout le monde le sait, parlant en javanais antique dans sa wilaya. Pire que tout, note mon censeur, il m�est arriv� de parler de �chef kabyle� en nommant le colonel Amirouche. Auparavant, j�avais �voqu� le �chef aur�sien� s�agissant de Ben Boula�d, le �responsable constantinois� pour Zighout sans que ces termes n�aient choqu� mon honorable confr�re. Il y a une terrifiante logique dans cette fixation. Pour M. Farouk Mohamed- Brahim, les mots Kabyle ou Kabylie ne d�signent pas un habitant ou une r�gion de son pays. Chez lui, ces termes n�ont qu�une seule et unique r�sonance et elle est anti-arabe. D�s lors qu�il s�estime menac�, il doit se d�fendre et, face � l�ennemi, toutes les �contre-attaques� sont l�gitimes. C�est bien connu, le racisme le plus gr�gaire puise sa violence dans la peur de l�autre. Et pour corser le tout, Le quotidien d�Oran qui avait publi� une douzaine d�interventions, toutes hostiles au livre, refusa le point de vue d�un journaliste, S. Chekri, qui, ne voulant pas abuser des colonnes de son journal, adressa une r�ponse o� il soulevait les contradictions et les aberrations d�un homme qui officiait comme enseignant hospitalouniversitaire. Le journal justifia son rejet, arguant qu�il revenait � celui qui avait �t� cibl� de r�agir. On ne saisit pas, selon cette logique, pourquoi M. Farouk Mohamed- Brahim, volant au secours de Ben Bella ou d�autres, avait �t� publi�. Ce titre ne peut pourtant pas �tre tenu pour un organe fondamentaliste. Mais le code r�gionaliste crypte les pens�es les plus audacieuses. Et cette donn�e, mille et une fois v�rifi�e, pose une vraie question : que signifie et que repr�sente aujourd�hui, pour ces �lites, l�id�e de conscience nationale ? De toutes les agressions, de toutes les outrances qui ont suivi mon livre, le contenu de l��crit de M. Farouk Mohamed- Brahim et les r�actions du Quotidien d�Oran et de Ech- Chourouk furent les �v�nements qui interpellent le plus, s�agissant de notre avenir collectif. Pour ce titre francophone, les courageuses tribunes de Kamel Daoud ne suffisent h�las pas � rattraper les d�rives chroniques du journal de l�Ouest alg�rien. Les furies r�currentes du quotidien arabophone, qui ne manque jamais de stigmatiser la Kabylie en y amplifiant, et � l�occasion en y inventant, des sujets d�signant cette r�gion comme un danger national imminent, participent de cette intime conviction que combattre �le p�ril kabyle� serait � la fois une urgence, une n�cessit� et un devoir. Qu�un jeune Kabyle rompe le car�me et c�est l�alerte. Que d�autres jeunes br�lent le Coran ou le drapeau ailleurs, Ech- Chourouk, qui tout d�un coup ne voit plus rien, ne peut s�interroger sur les raisons qui ont pouss� des Alg�riens � se rebeller contre des symboles d�une matrice � laquelle ils rattachent tous leurs malheurs. Et pourtant. Dans un cas, nous avons � faire � un universitaire, dans un autre � deux m�dias cr��s avec la b�n�diction des �d�cideurs�. Aujourd�hui, il serait irresponsable de continuer � faire l�autruche et d�ignorer que l�id�e nationale est sujette � caution. Une fois de plus la jeunesse Dans cette avalanche de d�foulement et de haine sur fond de conservatisme, il y eut des voix de braves qui se sont �lev�es. Elles sont, le plus souvent, venues d�hommes qui ont connu et servi sous les ordres du colonel Amirouche. Ils ont parl� pour essayer de dissoudre un demi-si�cle d�opprobre d�vers� sur celui qui les avait prot�g�s, guid�s et souvent pr�c�d�s devant les risques et les privations. Ils ont surtout dit leur douleur et leur indignation face � une forfaiture qu�aucun autre dirigeant alg�rien � et beaucoup ne furent pas, loin s�en faut, des enfants de ch�ur � n�a os� commettre : la s�questration des restes de deux h�ros. Ces r�actions, pour g�n�reuses, dignes et salutaires qu�elles soient, ne furent pas les seules. Les jeunes dont on pouvait estimer qu�ils sont d�finitivement ali�n�s par une �ducation nationale r�trograde, la censure et la d�sinformation ont manifest�, dans ce d�bat, un int�r�t, une �nergie et une intelligence qui sont � la fois l�espoir de l�Alg�rie et l��chec le plus patent du r�gime. J�ai re�u des mails laborieusement �crits qui appellent � plus de courage, plus de lumi�re et plus d��changes. J�ai discut� avec des jeunes tent�s ou revenus de la harga. Ils vivent leur aventure non pas, comme on le dit souvent, une initiative de d�sespoir mais un refus d�abdiquer et une volont� de vivre dans des normes et des valeurs de leur temps. Au mois de juillet, j�ai assist� � Tigzirt � deux regroupements rassemblant des �tudiants du RCD originaires de 22 universit�s. Gar�ons et filles �taient venus pour se rencontrer, se conna�tre et s�appr�cier malgr� un enseignement qui les avait enferm�s dans le sectarisme, la bigoterie et l�obscurantisme. Quand certains m�ont demand� de leur d�dicacer mon livre, j�ai voulu m�enqu�rir sur leur capacit� � lire et comprendre un ouvrage �crit en fran�ais, sachant que la plupart de nos �tudiants entament leur cursus universitaire sans vraiment ma�triser cette langue. J�ai appris que des groupes se sont form�s en dehors des ateliers pour faire des lectures collectives afin de mieux saisir le sens du r�cit. Que ces artisans de l�esp�rance se rassurent, la traduction du livre en arabe devrait �tre disponible avant le premier novembre. Pendant que le quotidien Ech- Chourouk et Al Jazeera s�adonnaient aux appels au meurtre contre les �ennemis de Dieu� dans l�affaire de la mosqu�e d�Aghribs, j�ai vu, dans ce village, 600 jeunes, ch�meurs pour la plupart, rev�tus d�un t-shirt frapp� du nom du saint de leur localit�, accueillir et servir le repas de bienvenue � 16 000 fid�les venus des quatre coins du pays assister � l�inauguration de la mosqu�e restaur�e de leurs anc�tres. �C�est notre mani�re de r�pondre au journal Ech- Chourouk�, criera � la foule Mohand, un commer�ant de 26 ans. Dans la pol�mique men�e par l�internationale islamiste et ses relais alg�riens apr�s l�inauguration de cette mosqu�e, ce sont les jeunes qui ont spontan�ment investi la toile pour d�noncer la d�sinformation et, images � l�appui, offrir aux observateurs du monde entier la ferveur populaire et l�adh�sion de milliers de villageois � l�initiative de r�habilitation de leur culte. Nous nous rappelons tous de la formidable mobilisation des jeunes dans la rue et sur le net qui a suivi l�agression de l��quipe nationale de football au Caire pendant que le pouvoir et sa diplomatie, escomptant un miracle sportif, s�employaient � conditionner les esprits pour aligner la nation derri�re �le petit p�re des peuples�. C�est bien la jeunesse, segment social le plus cibl� par les instruments de d�culturation du r�gime, qui s�av�re y �tre la plus r�fractaire et qui se mobilise pour se tracer des perspectives en dehors et, bien souvent, contre le syst�me. �Mettez la r�volution dans la rue et vous la verrez reprise par tout le peuple alg�rien. � C�est au moment o� tout semblait perdu que, miraculeusement, la proph�tie de Ben M�hidi se perp�tue � travers le groupe social le plus fragilis�. De m�me qu�Amirouche, issu des cat�gories historiquement d�class�es, orphelin et priv� de grandes �tudes, s�est av�r� �tre un dirigeant d�exception, il se v�rifie, une fois de plus dans l�histoire de notre pays, que ce sont les jeunes, exclus socialement et d�clar�s in�ligibles aux d�bats, qui ouvrent la voie � l�espoir et� aux �lites. Oui, il y a bien un miracle alg�rien.