Les extensions et les mutations sémantiques nous surprendront toujours quels que soient nos vigilances, nos puritanismes et il faut quand même le dire, nos ringardises. Tenez, on pensait par exemple que les « zones d'ombre » signifiaient... ce qu'elles signifiaient, la formule étant accessible à tout le monde et qu'on ne peut pas vraiment ranger dans la catégorie des mots et expressions « difficiles » qui ont leurs passionnés, nombreux mais différents, selon les motivations de chacun. On pensait donc que les zones d'ombre désignaient ces choses pas assez ou pas du tout claires dans un fait, une histoire... Les plus intelligents d'entre nous savaient juste que l'origine de l'expression était tout autre. Pour ceux qui adorent étaler ce genre de « nuances » qu'ils pensent être les seuls à savoir, ça tombait bien, puisque la « genèse » est d'ordre scientifique, donc forcément... savante ! Les zones d'ombre sont donc des espaces territoriaux où aucune installation ne peut détecter les ondes d'un tremblement de terre. Puis, par « extension » à des situations comme des rapports imprécis, des enquêtes dont le doute est permis quant à leurs conclusions et plein d'autres encore. Il se peut même qu'il y en ait qu'on n'a pas encore découvertes, tellement les choses vont vite en la matière. Histoire de rester dans l'actualité la plus fraîche, nous venons de découvrir par exemple que les zones d'ombre pouvaient avoir un sens que très peu ont dû...soupçonner, du fait qu'il ne vienne pas vraiment à l'esprit à l'évocation des trois mots. Il n'est en effet ni spontané ni naturel, donc pas du tout évident d'imaginer un seul instant qu'une zone d'ombre puisse être ces hameaux perdus au milieu de nulle part ailleurs de notre vaste et beau pays. Ces endroits oubliés de Dieu et surtout de ses hommes, qui survivent vaille que vaille. Ils n'ont, le plus souvent, pas de route et c'est d'abord ça qui les tient à l'écart du reste du monde. Ils n'ont pas d'électricité ce qui ajoute du sombre à l'ombre. Ils n'ont pas d'eau, c'est le plus grave mais ils ont des jerricans de survie et parfois un âne, le must plus ultra. Il y en a qui n'ont parfois pas de centre de santé, d'autres pas d'école et pas de gaz en dehors des bonbonnes de butane qu'ils obtiennent par miracle. L'« événement », ce n'est pas seulement le fait que ces territoires abandonnés soient découverts dans leur appellation « new way ». Evidemment, « zones d'ombre » c'est plus fashion, voire plus sexy que zones enclavées, déshéritées, pauvres, sous-développées, abandonnées... L'événement est qu'on s'y intéresse depuis quelque temps. Mieux vaut tard que jamais ? Certainement, sauf que ce n'est pas évident que ce soit vraiment une question de timing. Déjà des engagements tout récents et non tenus. Pire, des compteurs d'électricité et de gaz installés pour les... caméras et récupérés le lendemain. C'est quoi une zone d'ombre, en fait ? S. L.