De Tunis, Mohamed Kettou Ceux qui avaient des doutes sur l'isolement de Kaïs Saïed ont fini par être convaincus lundi soir par le président de la République en personne. En présidant une réunion du Conseil de la sécurité nationale, Kaïs Saïed n'a pas mâché ses mots en s'attaquant au chef du gouvernement qui venait d'opérer un remaniement ministériel, en «violation de la Constitution», a-t-il dit. «ça suffit... Ça suffit... Ça suffit, s'est écrié Kaïs Saïed à l'adresse des participants, réaffirmant sa détermination à protéger la Constitution et à défendre le peuple et la Révolution. Prévue pour discuter de la situation sanitaire, la réunion, tenue la veille du passage des ministres proposés devant le Parlement, a été transformée en un réquisitoire contre Mechichi et Ghannouchi. A ce propos, il a fait remarquer, à l'adresse de Mechichi, que trois ministres sur les onze proposés font l'objet de soupçons de corruption ou de conflit d'intérêts et ne devraient pas, par conséquent, être ministrables. Il a même menacé de ne pas accepter qu'ils prêtent serment devant lui. Ainsi, entre Kaïs Saïed et Mechichi, la lune de miel a été de courte durée. Les deux hommes ont, en fait, dégainé déjà leurs armes avant que Mechichi ne s'installe au Palais du gouvernement en septembre dernier. Pourtant, c'est lui-même qui l'avait choisi, un mois auparavant pour former le gouvernement. S'adressant, indirectement, à Ghannouchi, il a rappelé que seul l'Etat détient le monopole de la sécurité, en allusion à l'appel lancé par le parti islamiste à ses bases de se constituer en comités de soutien aux efforts des forces de sécurité dans la lutte contre les manifestations nocturnes organisées la semaine dernière. N'empêche que les ministres proposés ont été choisis et encore mieux, ils ont été admis par le Parlement qui leur a accordé sa confiance. Ainsi, des trois têtes du pouvoir, Mechichi et Ghannouchi se sont mis la main dans la main pour déstabiliser le locataire du palais de Carthage. D'ailleurs, le vote s'est déroulé dans un contexte de crise politique, économique, sociale et sanitaire tendu. Si au plan politique, les horizons sont bloqués par la mésentente qui caractérise les relations entre le chef de l'Etat et les chefs du gouvernement et du Parlement, la crise économique et les conditions de la vie quotidienne ne font qu'exaspérer une jeunesse qui ne voit pas le bout de tunnel. D'autant plus que la pandémie de coronavirus et son expansion, d'une manière exponentielle, ne laissent aucun espoir pointer à l'horizon. Car, en fait, le chef du gouvernement cède du terrain au parti islamiste qui, fort du nombre de ses députés, a fini par lui imposer le remaniement ministériel qui lui assure de rester au pouvoir, et qui a fait sortir le Président Saïed de ses gonds. Dehors, face au siège du Parlement, une imposante manifestation appelait au départ de Ghannouchi. «Ghannouchi dégage», scandait la foule empêchée de s'approcher de la porte de l'Assemblée, bien gardée qu'elle était par une ceinture de sécurité, rarement vue, lors des travaux des députés. C'était une journée harassante pour clore les travaux qui ont duré plus de 12 heures. Depuis le départ de feu Ben Ali en 2011, la Tunisie a connu 12 gouvernements composés de 467 ministres. Rien n'a changé, sinon le pourrissement de la situation économique et sociale. Sinon comment expliquer le recours aux bailleurs de fonds étrangers pour financer le budget ou comment expliquer l'augmentation, sans cesse, du taux du chômage ? Sans parler de la parité du dinar qui, en dix ans, s'est divisée en deux face aux monnaies européenne et américaine. La conclusion, nous l'empruntons à un hebdomadaire tunisien qui a écrit, lundi : «Ce qui est certain, c'est que ce gouvernement, ou aucun autre, dans les circonstances actuelles, sans aucune vision sinon de s'incliner face aux lobbies, ne sortira le pays du marasme.» M. K.