Tunis, Mohamed Kettou Les deux chefs de l'Etat et du gouvernement continuent de tenir tête l'un à l'autre, bloquant la vie politique, économique et sociale en Tunisie. Hichem Mechichi n'entend pas retirer certains ministres nommés au cours du récent remaniement, et Kaïs Saïed n'a pas l'intention de reculer pour permettre à quatre ministres soupçonnés de corruption et de conflit d'intérêts de prêter serment. Du coup, le pays est à l'arrêt. Entre-temps, les commentaires foisonnent et les diverses interprétations de la Constitution font couler beaucoup d'encre et de salive. La crise latente qui s'est déclenchée la veille du passage du gouvernement Mechichi, en septembre dernier, devant le Parlement, s'est considérablement aggravée quand le chef du gouvernement a tourné le dos à celui qui l'avait désigné à ce poste et s'est mis à la recherche d'un «coussin» politique à l'Assemblée, coussin que ne peut gonfler que le parti islamiste qui se classe au premier rang au Parlement. Depuis, la mésentente s'est installée entre Mechichi et le président de la République qui ne voit Rached Ghannouchi (président d'Ennahdha et du Parlement) que d'un mauvais œil. Cependant, pour des experts en droit constitutionnel, le président de la République n'a pas le choix et ne bénéficie d'aucun refuge constitutionnel pour refuser de recevoir les ministres récemment nommés et, qui plus est, ont reçu l'aval des députés, pour prêter serment, quelles que soient les raisons. Les politiciens détracteurs du chef de l'Etat abondent dans le même sens. En revanche, d'autres analystes, constatant l'absence d'une cour constitutionnelle, accordent au chef de l'Etat le privilège de l'interprétation des lois. Aujourd'hui, une semaine après le vote de confiance au profit des onze nouveaux ministres, chaque partie campe sur ses positions et le blocage se voit alimenté davantage par des déclarations qui ne font qu'attiser le feu. Le principal «ennemi» du chef de l'Etat, Rached Ghannouchi, n'a-t-il pas déclaré, il y a deux jours, que le président de la République n'est qu'un symbole sans prérogatives. Comme réaction, Kaïs Saïed n'a pas trouvé mieux que de quitter son bureau, mardi, pour battre le pavé de la célèbre avenue Bourguiba, symbole de la révolution et de tous les évènements que connaît la Tunisie. Symbole ? Oui. Puisqu'il s'est offert un bain de foule, une foule n'exigeant pas moins que la dissolution du Parlement. Car, en fait, l'intervention de Ghannouchi ne pouvait être rien d'autre qu'une nouvelle déclaration de guerre lancée par un homme dont les ambitions n'ont pas de limites, quitte à multiplier les bourdes. N'avait-il pas lancé à celui qui voulait bien l'entendre qu'il était le Président de tous les Tunisiens ? C'était le jour où il est monté au perchoir de l'Assemblée comme président du Parlement. C'était suffisant pour provoquer la colère de Kaïs Saïed et installer la mésentente entre les palais de Carthage et du Bardo. Ainsi, cet état chaotique qui caractérise les relations entre ceux qui détiennent le pouvoir au sommet de l'Etat est de nature à bloquer tous les rouages à un moment critique. En effet, des dossiers qu'on ne peut plus compter attendent un traitement adéquat et des solutions urgentes. Il s'agit de l'activité économique paralysée, de l'année scolaire qui risque d'être déclarée «année blanche», de la détérioration du pouvoir d'achat et, cerise sur le gâteau, de la pandémie de Covid-19. A tous ces problèmes est venue se greffer l'affaire du colis «empoisonné» adressé à la présidence de la République, affaire qui a empoisonné la vie des citoyens et qui fait l'objet d'une enquête qui ne donne pas encore ses résultats. Nul ne sait si cette affaire est vraie ou si elle a été montée de toutes pièces. Cependant, il semble que parmi les têtes du pouvoir, seul Kaïs Saïed, en tant que spécialiste en droit constitutionnel, est en mesure de bien interpréter la Constitution qui, du reste, ne fait pas obligation au chef du gouvernement de demander la confiance du Parlement en cas de remaniement ministériel. En outre, en l'absence d'une cour constitutionnelle, le président de la République est en droit de s'y substituer pour donner son propre jugement. Certains lui contestent ce droit. Ne serait-ce que pour bloquer une situation déjà désastreuse. M. K.