Par Abdelkirim Kacimi Dans le domaine de la commercialisation des produits de la pêche, il y a un tel chantier commercial et humain à entamer que la tâche, du coup, s'avère ardue. Elle est ardue, mais également complexe, disent les experts du secteur, car elle procède d'une neutralisation de toutes les pratiques informelles installées depuis des lustres sur la place, des pratiques tellement ancrées qu'elles ont fini par acquérir, dans le milieu (c'est le cas de le dire), une certaine légitimité, comme si elles étaient la seule condition du marché. Ces mêmes experts, toutefois, mettent en garde, en même temps, contre de faux-semblants tels que le fait de croire que la pêche fait le bonheur et la fortune de tout le monde. Certes, les pratiques commerciales doivent être structurées et régulées, mais les effets de spéculation qu'elles induisent ne sont pas seuls responsables de la hausse des prix des produits halieutiques. Il faut, également, intégrer, dans ce calcul, la donne essentielle, à savoir : les déséquilibres occasionnés entre l'offre et la demande lorsque la période creuse de repos biologique provoque une raréfaction des produits de la pêche. Ceci pour nous dire que la régulation de la commercialisation des produits de la pêche n'a pas de cible à incriminer, ni de coupable à pointer du doigt, elle est, dans sa finalité, un instrument contre le désordre qui finit par porter préjudice à tout le monde, professionnels de la pêche, commerçants et consommateurs confondus ; ne profitant, en définitive, qu'à quelques spéculateurs qui tirent, dans l'ombre, les ficelles des prix et en retirent seuls des bénéfices substantiels. Sur la question de la régulation en tant que mécanisme à mettre en place, on nous explique, au ministère la Pêche et des Productions halieutiques (MPPH), que la régulation a un coût, car elle procède de la mobilisation et de l'activation d'instruments lourds qui agissent directement sur l'offre pour induire un rééquilibrage garantissant la disponibilité ou, du moins, un effet de plafonnement des prix... C'est dire que, sans un financement conséquent, qui donne à cette politique les moyens dont elle a besoin, l'acte de régulation ne saurait valoir l'efficacité qu'on en attend. «On ne saurait laisser le marché à la seule loi de l'offre et de la demande.» Cette sentence revient souvent dans les propos des hauts responsables et le ministre de la Pêche et des Productions halieutiques n'a pas fait exception en la matière, lui qui semble conscient que la réussite du plan d'action qu'il met en œuvre pour le gouvernement depuis 2020, dans la perspective de dynamiser le secteur sur les plans professionnel et industriel, demeure tributaire «de la stabilité des marchés, de leur transparence» de manière à préserver professionnels et consommateurs. Réguler ne répond pas seulement à cet aspect lié à l'offre et à la demande. L'acte de régulation, nous dit-on, s'étend également à la question primordiale de la durabilité, car il est impératif d'agir pour préserver les stocks pêchables sur le littoral algérien. L'enjeu, protéger une richesse alimentaire pour les décennies à venir, de la surpêche et de la pêche sauvage, voire la développer davantage, mais également préserver les revenus des ménages des gens de la mer qui représentent au jour d'aujourd'hui pas moins de 110 000 emplois directs et indirects. La baisse observable des stocks pêchables en Algérie durant ces dix dernières années, note gravement un de nos interlocuteurs, est plus qu'inquiétante. Elle est de l'ordre de 30%, passant sur les cinq dernières années à un global de 100 000 tonnes/an, après avoir été de 140 000 tonnes, selon des données du quinquennat 2003-2007. Cette tendance halieutique bien méditerranéenne ne peut être endiguée (inversée ?) sans un acte de régulation adapté et rigoureusement mis en œuvre. Cette réalité des stocks pêchables a affecté directement les niveaux de débarquement (entendre par là les quantités de poisson pêchées), alors que la demande en produits halieutiques ne cesse de croître du fait de la démographie, mais également du fait d'un changement positif des habitudes alimentaires des Algériens au nord comme au sud, qui entendent profiter des bienfaits de la protéine marine. Il semble bien, d'après toutes ces explications, que le MPPH doive faire face, à travers cet acte de régulation à venir, à deux menaces. D'une part, empêcher les stocks pêchables de diminuer davantage pour préserver la richesse halieutique sur le long cours et, d'autre part, empêcher le marché de se laisser emporter par la diminution de la ressource, vers des niveaux de prix spéculatifs qui rendent les produits de la mer inaccessibles aux revenus modestes. Dans cet objectif, les différents acteurs de la sphère halieutique au niveau local ont été mobilisés pour remonter un diagnostic et des propositions d'actes de régulation qui devraient permettre la concertation la plus large, explique-t-on, afin de faire en sorte que les préconisations retenues soient réalisables et adaptées à la réalité du terrain. A. K.