Ils n'ont pas réfléchi deux fois. Dès l'annonce par le ministre des Ressources en eau du nouveau programme de distribution de ce précieux liquide dédié à la capitale, les Algérois, pris de panique, ont investi les points de vente des citernes. Qu'ils habitent au 1er ou au 16e étage, l'installation de ce réservoir est pour eux vitale. Il ne faut surtout pas perdre de temps, de peur de voir le produit disparaître et vivre une pénurie qui nous rappelle le triste souvenir de la crise de la semoule ou celle de l'huile. Les commerces ont tout d'un coup été pris d'assaut. En quelques heures, leurs stocks sont rompus. Les engins transportant ces énormes cuves en plastique colorées ou en fer sillonnent de nouveau les routes du Grand Alger. L'arrivée de ces capteurs d'eau dans les cités provoque l'excitation chez les habitants. Les voisins s'agglutinent autour du fût, que l'on scrute, jauge avec des yeux écarquillés, et les commentaires vont bon train. Par un geste spontané de solidarité, on aide l'heureux acquéreur à charrier sa citerne, en priant Dieu que demain sera notre tour. «Quand je suis arrivé chez le droguiste, il venait de vendre la dernière. Il en avait 8, c'est le quota qu'il a l'habitude de commander. Il a juré qu'il les a liquidées en une matinée. Il n'en revenait pas.» Le quartier est en effervescence, les ballasts flambant neuf ne cessent d'affluer. Les acheminer vers les étages supérieurs n'est pas une mince affaire. On se serre les coudes pour la bonne cause. Chacun vante son produit et même sa provenance, et tout le monde en devient le spécialiste. Une aubaine pour les fabricants, les revendeurs, les transporteurs, et, en bout de chaîne, les plombiers. Même les réseaux sociaux se sont mis de la partie, et les achats en ligne s'enflamment : «On livre en un temps record et on installe.» On casse la tirelire, on vent les bijoux de l'épouse, on se serre la ceinture, mais pitié, on ne veut surtout pas revivre l'ère de Dja alma noud ettâmer, et ne surtout pas être à la merci de ceux qui ne respectent pas les horaires d'ouverture des vannes, ou pire, les jours de distribution décidés par nos responsables. «Nous préférons prendre les devants.» Les palabres tournent autour de la vedette, sa contenance, ses couches, sa solidité. «Ça y est, elle est là, mabrouk», «j'attends le plombier, il est dépassé, il ne sera libre qu'à partir de 19h», «je te conseille la 500». Comme qui dirait, le temps s'est arrêté et plus rien n'a aucune espèce d'importance sauf elle. Grâce à elle, l'eau coulera dans nos robinets 24h sur 24. Un peu comme cette parabole qui, il y a quelques années, représentait, pour bon nombre d'Algériens, l'oxygène qu'ils respirent. Désormais, la citerne ornera de plus en plus balcons, terrasses et même les paliers des bâtiments. Et c'est avec beaucoup de fierté que l'on dira à celui qui ne l'a pas acquise, par souci d'économie de cette denrée, devenue rare, ou pour toute autre raison «On est tranquille, on a de l'eau tous les jours.» N. Y.