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«Un accompagnement psychologique est nécessaire pour les malades et leurs proches» Jugurtha Abbou, spécialiste en Psychologie Sociale, au Soir d'Algérie :
Propos recueillis par Leila Zaimi L'accompagnement et le soutien psychologiques des malades, leurs familles ainsi que le personnel soignant sont plus qu'importants, notamment en ces temps de crise et de contamination massive. Il est à rappeler que l'OMS, et dès les premiers instants de la pandémie, a tiré la sonnette d'alarme quant aux répercussions de la Covid-19 sur la santé mentale et a appelé à la nécessité d'une prise en charge psychologique adéquate des patients. Dans cet entretien, notre interlocuteur, spécialiste en psychologie sociale, livre des explications sur les conséquences de la Covid-19 sur la santé mentale des malades ainsi que leur entourage. Verbatim. Le Soir d'Algérie : Craintes, inquiétudes et préoccupations sont, entre autres, les conséquences du coronavirus sur le moral des individus (malades et sains). En plus de l'atteinte physique, la pandémie touche également la santé morale. Pourriez-vous nous parler de l'impact psychologique de la Covid-19 sur les patients ainsi que sur leurs proches ? Jugurtha Abbou : Effectivement, la maladie n'est pas sans conséquences sur le moral des humains, qui, outre la perte des repères quotidiens, sont envahis par une angoisse multidimensionnelle. Les personnes atteintes vivent dans l'angoisse, la confusion, et le sentiment de culpabilité. En plus de la peur de contaminer les proches, notamment les personnes âgées et les personnes vulnérables, il y a la crainte de mourir, voire la crainte de mourir dans la solitude, sans que le deuil soit fait de manière habituelle. Cette situation peut se transformer en crise de psychologie, qui se traduit par un état d'effondrement, dû à l'incapacité de s'adapter à la situation, notamment par les personnes atteintes de la Covid-19. Les problèmes respiratoires, la confrontation aux services hospitaliers en ébullition, la vision d'autres malades en détresse, l'annonce de décès, les soins intensifs, la mise en quarantaine, les symptômes physiques qui persistent, le sentiment de ne plus contrôler sa santé et son corps... Tout cela crée un climat d'angoisse et d'incertitude appelé à être régulé par l'accompagnement psychologique. Bien sûr, les proches subissent aussi les effets mentaux de la Covid-19. L'incapacité de rester aux côtés du malade, de le toucher, de le caresser, de le rassurer, et de comprendre ce qu'il ressent ou ce dont il a besoin. Les proches sont également confrontés à la peur de l'inconnu, une peur provoquée par le manque ou l'absence d'informations, et l'incapacité de prévenir l'évolution de la maladie. Un accompagnement psychologique est aussi nécessaire pour les proches du malade afin de les aider à mettre à distance les pensées négatives tout en restant malgré tout vigilants et alertes, et de les aider à continuer à vivre, malgré la maladie de leur proche parent. Comment est-ce-que les malades du Covid-19 doivent être pris en chargepsychologiquement ? Et à quel moment au juste ? Pendant ou après la maladie ? Le monde est traversé par une crise sanitaire dévastatrice. La pandémie a mis la moitié du monde en quarantaine. Elle a privé les individus de nombreuses habitudes, la vie sociale et professionnelle s'est retrouvée limitée. Dès les premiers instants de la crise sanitaire, l'OMS a tiré la sonnette d'alarme quant aux répercussions de la pandémie sur la santé mentale et a appelé à la nécessité d'une prise en charge psychologique adéquate des patients, de leur entourage, mais aussi du personnel soignant, et de toute personne qui en aurait besoin. Le travail du psychologue dans la lutte contre la Covid-19 consiste à écouter, à donner de l'assurance, à dédramatiser la situation, à soutenir psychologiquement le malade et l'aider à résoudre les problèmes liés à la gestion de la situation, à la gestion du stress, en améliorant ses capacités d'adaptation. Il s'agit de reconnaître les préoccupations et les incertitudes du patient, de partager des connaissances médicales précises avec eux, et de les aider à identifier les mesures à prendre pour réduire la détresse. Il s'agit aussi de prévenir les répercussions néfastes de la maladie sur la santé mentale, en évitant de se projeter sur les scénarios négatifs, et d'améliorer le fonctionnement psychologique adaptatif. Le sourire, la réceptivité, l'attention sont essentiels. L'autre facteur non négligeable consiste en le maintien du contact avec le malade, grâce aux technologies de communication notamment. Il faut à tout prix préserver les liens humains. L'accompagnement psychologique se fait aussi par la sensibilisation sur la nécessité de suivre le traitement à la lettre, et d'adopter une bonne alimentation, ainsi que les mesures d'hygiène. L'après-Covid s'annonce difficile pour certains guéris, notamment sur le plan psychique. Comment gérer le stress post-traumatique ? Quels sont vos conseils pour la convalescence ? L'accompagnement psychologique ne se réduit pas au moment de la maladie, mais même après. Plusieurs patients signalent la persistance ou la résurgence de certains symptômes, accompagnés de troubles psychologiques, s'apparentant au syndrome de stress post-traumatique, ce qui requiert une attention particulière. L'image du soi altérée par la maladie doit être remise en relief, de même que les interactions sociales, longtemps atténuées avec, toutefois, une sensibilisation sur l'obligation de maintenir les gestes barrières. Le nombre de contaminés ne cesse d'augmenter, le nombre de morts également. Sans oublier le manque d'oxygène enregistré. Tout ce climat joue sur le moral collectif des personnes malades mais aussi saines. Comment faire pour l'éviter, selon vous ? Le travail de sensibilisation est très important, les médias jouent un rôle de premier rang, non en dramatisant la situation, mais en insistant sur les mesures à prendre et les gestes barrières. La société civile, qui fait un travail impressionnant dans la quête de l'oxygène au profit des établissements de santé, doit s'impliquer largement dans la sensibilisation et la prévention. Les médecins, les personnalités publiques, les artistes sont appelés à se mettre en première ligne dans ces campagnes de mobilisation contre la propagation de la pandémie. Quid du soutien psychologique du personnel de la santé, exposé tout le temps au danger de contamination et à de fortes pressions mentales ? Il y a lieu de souligner l'importance de l'accompagnement psychologique des travailleurs du secteur sanitaire. Ces derniers sont soumis à une pression terrible, due, premièrement, aux attentes des malades et de leurs proches, et aussi à la peur d'être contaminé et de contaminer les proches par la suite. À cela s'ajoutent les problèmes systémiques, l'accès aux places disponibles, la crise d'oxygène et le manque de moyens de travail. La fatigue cumulée provoque dans plusieurs cas des situations de détresse, exprimées par des cris de panique et d'anxiété. Il y a lieu de se pencher sérieusement sur la qualité du sommeil, de l'alimentation et de l'hygiène du personnel soignant durant cette période de crise. À mon humble avis, le personnel soignant a besoin de reconnaissance et d'égards, vu les efforts incommensurables qu'il fournit, et cela n'est pas à négliger, bien au contraire. Il est aussi recommandé de veiller à une communication régulière et précise d'informations identiques pour tous, de mettre en place un système d'alternance des fonctions les plus stressantes, et de veiller, avant tout, à la bonne santé du personnel. Un mot sur la réalité du soutien et de l'accompagnement psychologiques en Algérie... Malheureusement, et contrairement au discours officiel, le psychologue se trouve être le maillon faible de l'échelle sanitaire. Pire encore, et les médias lourds endossent une grande part de responsabilité, on préfère résoudre certains troubles psychiques par le charlatanisme et la sorcellerie. Ce sont pourtant les psychologues qui ont joué un rôle dans les différents traumatismes vécus par notre pays, entre autres la décennie noire, les inondations et les séismes. Espérons que la décision d'associer les psychologues à la gestion de la crise sanitaire ne sera pas que de vaines paroles. L. Z.