De Tunis, Mohamed Kettou Plus d'une semaine après sa décision de concentrer tous les pouvoirs, le Président Kaïs Saïed entretient le suspense quant à ses futures décisions. Le chef du gouvernement, plutôt, le Premier ministre (puisque celui qui aura la charge de la primature sera responsable devant le président de la République), n'est pas encore connu. Bien malin celui qui pourrait avoir une idée de son identité quoiqu'on avance les noms de Marouane Abbassi, gouverneur de la Banque centrale, et Ghazi Jribi, ancien ministre de la Défense et de la Justice. Toujours est-il qu'à Carthage, c'est le mutisme et l'on cantonne dans la discrétion. Cependant, le chef de l'Etat multiplie les bains de foule pour montrer à ses adversaires et détracteurs, s'ils doutent encore, le degré de sa popularité. En face, le parti islamiste Ennahdha et, particulièrement son chef, Rached Ghannouchi, bien que muselé, n'entendent pas rendre les armes. Pourtant, des ténors parmi ses dirigeants, tels Samir Dilou ou Abdellatif El Mekki, tentent de convaincre leur chef de se retirer de la scène politique. En vain. Ghannouchi reste insensible à leur appel tout comme à celui émanant d'une bonne partie de la base. Aux partisans d'Ennahdha, Dilou les appelle à prendre en considération la réalité. «Aujourd'hui, il nous faut prendre conscience de la taille et du poids réels de notre parti sur la scène politique», a-t-il déclaré à une radio locale s'interrogeant sur «les raisons des attaques lancées par les manifestants contre nos sièges uniquement». C'est plein de sens, a-t-il dit. Dans cette ambiance peu rassurante, voire morose, les commentaires sont, généralement, favorables au président de la République. L'un des dirigeants du parti Attayar dimocrati (courant démocratique), Hichem Ajbouni, a attiré l'attention sur ce qu'il appelle «le double jeu» du parti islamiste. «En acceptant de consentir des concessions, Ennahdha fait une manœuvre pour se remettre en selle», a-t-il dit. De son côté, le juriste Sadek Chaabane, ancien ministre de Ben Ali, appelle la population à soutenir Kaïs Saïed «pour son initiative tendant à remettre le pays sur la bonne voie». Deux députés en prison, enquêtes en cours Cependant, ce à quoi s'attendait l'opinion publique commence à se dessiner. Avec la perte de l'immunité parlementaire, deux députés sont, déjà, en prison. L'un, Yassine Ayari pour purger une peine de deux ans pour laquelle il avait été condamné en 2018 par la justice militaire pour atteinte au moral de l'armée et l'autre, soupçonné de liens avec des assassinats politiques. Les deux ne font pas partie du bloc du parti islamiste. En outre, un magistrat, répondant au nom de Béchir Akremi, est en résidence surveillée pour 40 jours renouvelables. Dans la même lancée, des enquêtes judiciaires sont ouvertes contre d'autres députés dont un ancien ministre des Domaines de l'Etat, Mabrouk Kourchid. Au moment où l'élite se focalise sur la légalité ou non des décisions présidentielles, les masses populaires qui soutiennent le chef de l'Etat n'ont d'yeux que pour les décisions qu'il prendrait pour améliorer leurs conditions de vie. Conditions qui ont connu une dégradation devenue insupportable. Les chiffres l'attestent, la classe moyenne qui représentait plus de 70% en 2010 a chuté, aujourd'hui, à 50%. Le Président Kaïs Saïed, qui multiplie les appels en faveur des personnes démunies, a été entendu par les grandes surfaces qui ont consenti une baisse des prix. Aux banques, il a demandé que les taux d'intérêt soient réduits. Reste que Kaïs Saïed demeure imprévisible. De nouvelles mesures seront prises prochainement. Quelle en sera leur nature ? Lui seul le sait. Cependant, il ne rate aucune occasion pour démentir ceux qui craignent le retour à la dictature. Ainsi, il ne cesse de répéter : «Nous sommes avec le peuple et nous sommes engagés à défendre sa dignité et à protéger ses droits et ses libertés.» M. K.