Par Yazid Ben Hounet La nausée. La colère succède à la honte qui elle-même laisse place à la tristesse. Depuis jeudi, l'histoire de la fin dramatique de Djamel Bensmaïl me hante et me démoralise. N'eût été l'incroyable dignité de son père et de sa famille. Elle nous porte et nous oblige à être à la hauteur. Comment ? En étant lucide sur les raisons de cet acte barbare et en œuvrant pour que cette folie meurtrière ne se reproduise plus jamais. Contrairement aux incendiaires qui véhiculent encore et toujours des explications complotistes, les questions qui me taraudent ne sont pas tant de savoir qui a tué Djamel et s'il a été victime d'un piège. La justice apportera en son temps les informations sur le déroulé exact et les culpabilités dans son lynchage et sa mise au bûcher. Les questions qui me taraudent annulent toutes les fausses questions, en même temps qu'elles sont essentielles pour nous, en tant que citoyens algériens : pourquoi Djamel Bensmaïl est mort de cette façon-là ? Je veux dire, comment se fait-il qu'il n'y ait pas eu une majorité de personnes pour s'opposer au lynchage ? Pourquoi il n'y a pas eu davantage d'habitants pour interdire que l'on déplace sa dépouille — comme celle d'un animal (voire pire encore) — de la cour du commissariat à la place publique Abane-Ramdane ? Pourquoi n'y a-t-il pas eu une majorité de personnes pour s'opposer à ce que l'on brûle sa dépouille ? Pas simplement par respect du corps de la victime, mais pour la simple raison que cela est sacrilège en Algérie, que cela est totalement contraire à nos propres coutumes. Pourquoi, enfin, tant d'individus se sont-ils amassés autour de cet horrible spectacle pour prendre des photos et des selfies ? Non, définitivement, les explications complotistes qui pullulent sur la Toile et qui voient la main du DRS ou des RG partout ne permettent nullement de répondre à ces questions pourtant fondamentales. Dans les vidéos qui circulent, je n'ai vu ni le DRS, ni les RG, ni Tebboune, ni Chanegriha, ni l'Etat. J'y ai vu une foule fanatisée criant «pouvoir assassin !», «ulac smah ulac!» (pas de pardon) ou encore «les Arabes, les animaux !». J'y ai vu une foule haineuse vampirisée par les idéaux mortifères du MAK. Elle ne criait pas «pyromane assassin !». Non, «pouvoir assassin !» avec la certitude aveugle d'avoir entre ses mains un criminel envoyé par le «pouvoir» pour brûler les forêts de Kabylie. Or, qui véhicule cette tromperie et cette haine de l'Etat ? Parmi ces incendiaires : le néo-harki, fondateur du MAK, accueilli en grande pompe en Israël et au Maroc, bénéficiant de l'attention des médias de ces pays. Il écrivait le 12 août, à propos de Djamel Bensmaïl : «son occupant aurait reconnu faire partie d'un groupe de trente prisonniers libérés à condition d'aller allumer des incendies en Kabylie.» Le lendemain, quand il s'est avéré que l'occupant était un jeune Algérien, originaire de Miliana, un amoureux de l'Algérie et de la Kabylie, venu aider à combattre le feu, c'est la thèse d'un piège orchestré par le DRS qui était mise en avant par ce séparatiste. C'est toujours cette histoire farfelue qui est propagée par des mercenaires et des comptes à la solde de puissances étrangères. Dès lors que l'on se pose la question de savoir «pourquoi Djamel Bensmaïl est mort de cette façon-là», et pour peu que l'on regarde les vidéos avec sincérité, une réponse paraît évidente : trop d'individus adhèrent aveuglement à ces thèses incendiaires, trop de cœurs sont consumés par la haine distillée par le MAK, mais aussi par tous ces complotistes qui opposent la société contre l'Etat, qui propagent cette idée mortifère d'un Etat délibérément contre son peuple. Que faire ? Être vigilant face à ces discours. Car ils incendient nos cœurs et notre pays. L'affaire Pegasus comme cet horrible assassinat nous enjoignent de ne pas écouter ces appels, parfois subtiles, à la détestation de nos autorités politiques, de notre Etat (et de ses institutions) et, plus encore, de notre pays. Il nous faut éviter d'opposer la société contre l'Etat, mais contribuer à l'améliorer pour le bien de tous. Il nous faut suivre la voie de Djamel : aimer son pays, malgré ses imperfections. Aider nos compatriotes, et fraterniser avec eux, quelle que soit leur région. Respecter notre nature et en prendre soin — car si les feux se propagent autant, c'est aussi, comme l'écrivait Maâmar Farah(1), parce que nos forêts sont jonchées d'innombrables verres jetés par trop de concitoyens irrespectueux et négligents. Il est trop facile de blâmer l'Etat pour les misères qui nous accablent et dont nous portons nous aussi une part de responsabilité. En dépit des difficultés de la vie quotidienne, il faut essayer, comme le faisait Djamel, de s'épanouir dans des plaisirs simples mais qui font la grandeur des nations et le sel de la vie : les arts, le respect de la nature et de l'environnement, la convivialité, la fraternité, l'amour du pays. Il nous faut définitivement arrêter ces critiques destructrices (pas celles constructives) qui embrasent nos âmes et abîment notre patrie. Y. B. H.