Une grosse émotion étreint la famille, le comité de soutien et les avocats à l'arrivée du fourgon cellulaire au tribunal de Dar-el-Beïda. Ali Ghediri comparaît ce mercredi. Face au juge, il maintient ses positions, son opinion, celle qui l'a conduite en prison, il y a vingt-huit mois. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Ce procès très attendu n'est cependant pas seulement celui de Ali Ghediri. Gouasmia Hocine, de son vrai nom Gasmi Hocine, est également là et il sera également jugé. Gasmi est son véritable nom de famille transformé en Gouasmia par une opération de falsification qui lui a permis de s'infiltrer dans les cercles les plus restreints, les plus puissants du régime. C'est à lui que Ghediri « doit » le chef d'inculpation le plus grave retenu à son encontre : « Intelligence avec l'ennemi et transmission de documents de nature à porter atteinte à la Nation .» Le grief est tombé une année après son incarcération, mais l'affaire de Gasmi arrêté en même temps que l'ancien candidat à la présidentielle est jugée le même jour, car elle constitue une partie du dossier entre les mains de la justice. Son audition par le président du tribunal démarre à la mi-journée et ne s'achève que vers 13h. Deux heures trente de questions-réponses durant lesquelles le prévenu tente d'éviter de tomber dans les pièges que lui tend le tribunal, s'emmêle les pinceaux ou finit par reconnaître ses fautes. Son histoire fait de lui un intrigant digne des romans anciens. Lorsqu'il est appelé à la barre, il s'avance à pas très lents, mains à l'arrière comme pour soutenir un dos douloureux. Vêtu d'une veste sportive aux couleurs de l'Algérie, lunettes sur le nez, il incarne Monsieur tout-le-monde, ému de faire face à un juge, souffrant aussi au point de nécessiter une position assise pour subir un procès. Le juge lui fait apporter une chaise et lance sa première question : « La police a entre les mains deux documents officiels, une carte d'identité et un permis de conduire avec votre photo et portant le nom de Gouasmia, vous avez fait un faux et payé 80 000 DA à Annaba contre cette falsification ». Le prévenu acquiesce. Le juge poursuit : « Vous avez tenté de constituer un parti politique mais vous aviez des antécédents judiciaires et cela vous a été refusé, alors vous avez falsifié vos papiers d'identité pour pouvoir obtenir un agrément, et Gasmi s'est transformé en Gouasmia.» Le mis en cause reconnaît les faits et ne nie pas non plus avoir monté... 25 entreprises. « Elles sont à l'arrêt », précise cependant le concerné. Il reconnaît également que son parti, Minbar Djazaïr El Ghad, lui a permis de « se rendre à la présidence en 2015 pour participer aux consultations en prévision de la révision de la Constitution.» Les études de Gasmi Hocine ont pris fin en troisième année primaire. L'assistance est sonnée. Des avocats se lancent des regards qui en disent long. Son audition révèle qu'il avait des entrées, qu'il côtoyait toutes les personnalités influentes du système. Son bureau contient une chambre où sont accrochées des dizaines de photos de lui en compagnie des plus hauts responsables du pays. Le président du tribunal l'interroge sur ses liens avec de nombreuses ambassades, il met particulièrement l'accent sur ses entrevues, en France, avec une diplomate d'origine israélienne. Le prévenu s'embrouille dans ses réponses. Il affirme ne pas savoir qu'elle était d'origine israélienne mais le juge s'étonne qu'il n'ait pas prêté attention au nom Cohen. « Les ambassades m'invitaient pour discuter d'investissements, on ne parlait pas politique .» Un avocat sollicite un moment pour poser une question : « Sachant que les déplacements de ces personnes qui venaient à votre bureau étaient soumis à un protocole sécuritaire, dites-nous qui assurait leur sécurité .» Gasmi est mal à l'aise : « L'Etat .» Nouvelle question : « Vous avez effectué trente-trois voyages en trois ans. Pour quelles raisons ? » « Pour l'investissement », répond-il sans pour autant réagir à la remarque du juge qui lui rappelle ses propos au sujet de ses vingt-cinq entreprises à l'arrêt. L'audition en arrive à l'affaire Ghediri. « Quels sont vos liens ? » « Je l'ai rencontré par hasard dans un restaurant au monument des Martyrs. Nous nous sommes vus plusieurs fois, il est venu à mon bureau, nous parlions des élections.» Le juge : «Tu rencontrais des personnalités sous une fausse identité.» «Oui », répond-il. Nouvelle question dans laquelle il est rappelé à Gasmi qu'il s'est déplacé avec Ali Ghediri pour rencontrer une ancienne personnalité. Il cite le nom de Zerhouni. «C'est cette rencontre qui nous a attiré des ennuis, elle a allumé le feu, dit-il. Gaïd Salah est entré en colère.» Dans la dernière question, il est demandé de révéler le contenu des discussions qui ont eu lieu entre les personnalités qui ont rencontré Ghediri : «Ils ont dit que c'était l'homme indiqué .» Assis au box des accusés, Ali Ghediri suit avec très grande attention les propos qui se tiennent. Sa famille et ses avocats lui trouvent une mine fatiguée. Très digne mais crispée, son épouse retient à peine ses larmes, lorsque des amis s'approchent pour la soutenir et souhaiter la libération de son époux. Sa fille est absorbée par les minutes du procès qui se déroule. Les frères du prévenu sont également tous là. Il est 13h passées. Le juge appelle Ali Ghediri. Enveloppé d'un veston gris, masque blanc sur le nez, il rejoint rapidement la barre. Il contredit les propos de Gasmi qui soutenait l'avoir rencontré par hasard dans un restaurant. « Il m'a téléphoné, s'est présenté comme étant chef de parti politique, et a demandé à me rencontrer. Je ne le connaissais pas mais j'étais à la recherche de contacts, je voulais connaître des gens. Il a insisté pour que je me rende au local de son parti qui est en fait une grande galerie où sont affichées de très nombreuses photos de lui en compagnie de personnalités. Il y avait Rahabi, Hamrouche, il connaissait l'ancien président de la République. Il donnait l'impression de connaître tout le monde, que voulez-vous de plus ? Je l'ai rencontré quelquefois, je ne me souviens plus du nombre de nos entrevues. Il insistait pour que l'on se voie, je n'avais pas le temps d'y aller, c'était uniquement pour le contact .» Le président du tribunal lui rappelle qu'il est poursuivi pour « atteinte au moral de l'armée ». « Quelles étaient vos intentions, interroge-t-il, lorsque vous vous êtes porté candidat ? » Réponse de Ali Ghediri : « Lorsque les services de sécurité m'ont arrêté, ils m'ont posé la même question. Il y avait des manœuvres anticonstitutionnelles menées particulièrement par deux parties politiques en faveur du cinquième mandat. S'il n'y avait pas eu ces manœuvres, je ne l'aurais pas fait .» Le juge insiste : « Vous êtes entré dans un débat sur le rôle d'une institution militaire dans une de vos interventions dans la presse (...) vos interventions publiques dans la presse et votre opinion avaient du poids, car vous êtes général à la retraite .» Ghediri commence à lire à haute voix les passages des articles de presse incriminés. « Où est l'atteinte au moral de l'armée ? J'ai demandé à l'ANP de sauvegarder les grands acquis de ce pays et de protéger les élections, c'est mon opinion .» Le juge cite le dernier article de loi interdisant aux anciens militaires de s'exprimer sur les questions politiques. «La loi n'est pas rétroactive et ne peut s'appliquer dans mon cas. Je suis à la retraite depuis 2015 (...) quant à l'interview d'El Watan, celle pour laquelle je suis poursuivi, elle s'est faite à la demande des journalistes, c'étaient leurs questions. J'ai dit que je connaissais Gaïd Salah pour avoir travaillé de longues années sous ses ordres. J'ai dit qu'il avait l'Algérie au corps, que s'il y avait danger sur la Nation, il revêtirait sa tenue de maquisard. Où est l'atteinte au moral de l'armée ?» Entre deux questions, le juge rassure Ali Ghediri et lui dit que son patriotisme n'est pas remis en cause. «Moi non plus», répond ce dernier. Penchée sur un banc , la fille de Ali Ghediri boit les paroles de son père. Sa mère croise les mains nerveusement, elle sollicite l'avis des avocats. Le procureur prend la parole. Il requiert sept années de prison à l'encontre d'Ali Ghediri et vingt ans contre Gasmi. La salle est sous le choc. Le juge adopte une position de sagesse et réclame le calme, afin d'éviter de mettre dehors les personnes qui se sont levées et lancé des cris et propos désapprobateurs. Les plaidoiries commencent. «J'ai mal à mon pays, s'écrie Me Aouicha Bekhti. Ali Ghediri fait partie de la génération post-indépendance. Ce genre de personnes a l'Algérie dans le sang, elles ne peuvent pas rester insensibles lorsqu'il y a danger. Il n'a rien à faire en prison.» Me Siya réclame «la libération et d'innocenter son client, il n'y a aucune preuve de ce qu'on lui reproche». Il est 19h30. Les plaidoiries battent encore leur plein. La soirée s'annonce longue au tribunal de Dar-el-Beïda. Le verdict était attendu très tard dans la nuit d'hier. A. C.