A n�y rien comprendre. A lire les textes contradictoires de nombreux �ditorialistes et universitaires, Mohamed Arkoun qui est de double nationalit�, alg�rienne et fran�aise, deux patries, devrait �tre officiellement reconnu par �le pouvoir� alg�rien alors qu�on fustige en m�me temps les gouvernants de ce pays qui, c�est une �vidence, n�ont jamais marqu� leur pr�f�rence � la dimension culturelle et aux vraies �lites intellectuelles de ce pays, c�est-�-dire les �intellectuels� critiques. Par Ahmed Cheniki D�un c�t�, on s�attaque, souvent � juste raison d�ailleurs, aux gouvernants et � ceux cens�s diriger la culture et on exige leur reconnaissance. Dr�le de logique qui fait du locuteur un soutien, peut-�tre, involontaire du �pouvoir�, qui, pour se d�douaner, aurait d� reconna�tre officiellement tel ou tel homme. Discours trop conformiste, � la limite de la st�r�otypie. Je verrais mal Kateb ou Alloula qu�mander cette reconnaissance. Parce qu�ils ont v�cu au sein de leur peuple, vivant ses malheurs et ses belles choses et cherchant, � travers leurs actions artistiques et politiques, � changer les choses. Il faut avoir le courage, c�est une entreprise courageuse, aujourd�hui, le grand penseur Arkoun, proche du s�rail marocain et quelque peu de Nicolas Sarkozy qu�il consid�re comme quelqu�un qui conna�t tr�s bien les questions de l�islam, a choisi, c�est son droit le plus absolu de s�installer � Paris, apr�s ses �tudes sup�rieures, en assurant un cours comme professeur � Paris- Sorbonne et en �pousant les contours de la nationalit� � c�t� de l�Alg�rienne. C�est un choix libre d�un homme libre. L�Alg�rie �tait trop loin de ses pr�occupations. Encore une fois, il faut rendre hommage � Arkoun pour le fait qu�il ne soit pas tomb� dans la qu�te de m�dailles dans ce pays. L�intellectuel, et il a bien saisi, c�est surtout le r�cepteur, celui qui arrive � d�chiffrer son discours. Travail r�volutionnaire, au niveau �pist�mologique et philosophique, la r�flexion de Mohamed Arkoun, qui ne se d�tache pas radicalement des courants classiques de l�islamologie europ�enne, permet une plong�e s�rieuse et profonde dans les espaces herm�neutiques et ontologiques de la pens�e musulmane, privil�giant l�aspect historique � un traitement essentialiste, id�ologiquement trop r�trograde. Il inscrit son interrogation dans la m�me perspective d�Edward Sa�d qui, dans la radicalit� de son discours (notamment dans son ouvrage L�orientalisme), tombe, � l�instar d�ailleurs de Fanon (surtout dans Les damn�s de la terre, il est vrai, r�dig� dans la pr�cipitation), dans le travers d�nonc�, c�est-�-dire le rejet de l�autre, la culture europ�enne ou �occidentale� (notion trop ambigu� dont il reste � d�finir les contours). C�est vrai que la question de l�alt�rit� est complexe, il apporte d�ailleurs une critique fondamentale de Foucault et de Ric�ur qui construiraient leur discours sur l�alt�rit� � l�or�e du d�ni de l�islam, inscrivant leurs pratiques exclusivement dans la logique jud�o-chr�tienne. Cette critique est essentielle. Ne rejetant nullement les apports de toutes les cultures humaines, Mohamed Arkoun s�en prend au discours de �monuments� de la culture europ�enne qui partirait dans leurs constructions herm�neutiques, volontairement ou involontairement du terreau jud�o-chr�tien, appelant philosophes, sociologues, historiens et chercheurs � �r��crire toute l�histoire des syst�mes de pens�e�. Proposition fortement os�e celle qui invite � une profonde interrogation des outils conceptuels dominants. Mais les universitaires arabes et musulmans, trop marqu�s par le confort de la paresseuse reproduction de valeurs dominantes, consid�r�es comme universelles, sont-ils � m�me d��laborer de nouvelles constructions th�oriques en fondant leurs recherches � partir d�un questionnement des espaces culturels universels, excluant tout d�ni de l�autre, osant �laborer une autre relation avec la question si complexe de l�alt�rit�. Un communiqu� officiel du minist�re de la Culture �voquant une illusoire adh�sion de Mohamed Arkoun au �dialogue des cultures � ne semble pas avoir saisi le discours de l�intellectuel qui n�a rien � voir avec ces deux slogans peu op�ratoires �conflit� ou �dialogue� des cultures, pr�f�rant favoriser un discours humaniste mettant en jeu un autre rapport avec l�alt�rit�, pens�e comme lieu de rencontre de valeurs humaines potentiellement marqu�es par la n�cessit� de la �raison critique�. Mohamed Arkoun n�a pas besoin de reconnaissance officielle, ni � Paris ni � Alger. Ceux qui voudraient l�embaumer, en qu�tant de tardives reconnaissances, contribueraient � souiller sa m�moire, alors que ce grand intellectuel, qui a pass� toute sa vie � interroger les lieux les plus d�licats de la sph�re musulmane et de la pens�e humaine, pourrait �tre � l�origine de grands d�bats. Osons les organiser, sans complaisance ni �loge fun�bre. On aurait voulu que des intellectuels de renom comme Arkoun, Bencheikh et Dib, par exemple, soient enterr�s dans leurs villages respectifs, � c�t� de leurs parents (qui ne sont nullement des supp�ts du pouvoir, mais qui ont souffert le martyre pour leur permettre d��tre ce qu�ils sont), � l�instar de Kateb Yacine ou de Abdelkader Alloula, contribuant, par leurs savoirs, surtout, dans les espaces universitaires et m�me publics, en Alg�rie, sans l�appui des pouvoirs, � �veiller les consciences, � travers l�organisation de conf�rences et d�ateliers. Le choix d��tre enterr�s, loin de leur famille, en Kabylie ou � Tlemcen, est une option qui les regarde. Un point, c�est tout. Arkoun �tait un v�ritable qu�teur de sens, un intellectuel qui osait porter un regard critique sur le parcours islamique, loin des loupes essentialistes, figeant toute posture scientifique, mais en interrogeant l�histoire, empruntant les chemins ouverts par l��cole des Annales. Loin des simagr�es des �exil�s� du troisi�me type, maintenant leurs fesses entre deux chaises, � Paris ou ailleurs, voulant profiter, sans efforts de la rente ici et l�-bas, faisant de l�Alg�rie leur fonds de commerce f�tiche, Arkoun �tait un v�ritable qu�teur de sens, un intellectuel qui osait porter un regard critique sur le parcours islamique, loin des loupes essentialistes, figeant toute posture scientifique, mais en interrogeant l�histoire, empruntant les chemins ouverts par l��cole des Annales, usant de sa triade pr�f�r�e : transgression, d�placement et d�passement, engendrant ainsi la production d�un nouveau sens, d�une nouvelle attitude critique, d�construisant sciemment le discours pour en ressortir un lexique drap� d�une enveloppe s�mantique nouvelle, n�e justement de cette interrogation approfondie d�un langage souvent atrophi�, connaissant de s�rieux d�r�glements. C�est une v�ritable bataille du sens, une r�volution s�mantique, mettant en danger ces �bricolages id�ologiques�, espaces privil�gi�s du conformisme faussement scientifique de z�lateurs m�diocres, peuplant nos universit�s, champions d�une accumulation factice de faits, incapables de d�velopper un raisonnement critique. Arkoun parle justement de �raison critique�, non pas de �raison aristot�licienne� ou �cart�sienne �, mais cela ne veut nullement dire qu�il rejette ces apports fondamentaux, d�ailleurs repris par les philosophes de l���ge d�or� de l�Islam (IVe-Xe si�cles) dont il vante souvent les m�rites d�une extraordinaire ouverture. Ainsi, il met en pi�ces les discours nationalistes et wahhabite, mais �galement les attitudes de certains orientalistes europ�ens. C�est dans ce sens que son discours, au m�me titre que Jabiri, Mroua ou Tizini, Fanon et Sa�d, est singulier, empruntant une perspective multith�matique, interrogeant les param�tres culturels, sociaux, politiques et religieux, nous donnant � voir les lieux r�els pr�sidant � l��volution du monde musulman, avec ses r�gressions et les nouvelles attitudes culturelles d�aujourd�hui. Il rompt ainsi avec cette lin�arit� narrative caract�risant les travaux de certains orientalistes et lettr�s musulmans, se satisfaisant d�une plong�e essentialiste, d�contextualisant ainsi les faits, les isolant de leurs conditions de production et d��nonciation. Ce qui est peut-�tre discutable dans cette logique, c�est ce r�current parall�le que fait Arkoun entre l��ge d�or, consid�r� comme fonci�rement positif et le monde musulman contemporain, trop n�gatif, sans aller chercher dans les contradictions travaillant les soci�t�s, proposant un regard trop statique, �vacuant les diff�rentes articulations caract�risant le v�cu de communaut�s humaines englu�es dans des antagonismes sans fin et une extraordinaire course pour le pouvoir. La couverture du d�c�s de ce grand penseur a failli �vacuer la triste r�alit� des ��lites� dans notre pays, marginalis�es et mises au ban de la soci�t�. Les rares �intellectuels� critiques subissent tragiquement le contrepoids d�un tel discours contribuant � enterrer davantage ces quelques voix libres investissant le champ intellectuel national et confortant l�id�e d�un terrain intellectuel vierge que ne pourraient dignement occuper que ceux qui ont fait le choix personnel de s�installer ailleurs. Ayant choisi de ne pas quitter leur pays, ni opter pour une autre nationalit�, ils tentent, avec les moyens du bord, de produire un autre discours, r�v�lant la situation trop peu enviable des espaces �lettr�s� en Alg�rie et construisant un contre-discours pouvant permettre de mieux cerner, � partir de la culture de l�ordinaire, la gestion anachronique des espaces sociaux. Arkoun reste un grand penseur, un emp�cheur de tourner en rond.