Par Abdellali Merdaci � l'�re du postcolonial, de l'informe mondialisation et de la mythique harga qui ont r�duit � n�ant l'id�e de nation, un d�bat sur l'identit� nationale alg�rienne peut irriter, car tout nationalisme est par essence suspect, parfois � juste titre, copieusement nourri de conservatismes de tout crin. En Alg�rie, bien s�r, mais surtout en Occident o� r�side la grande partie des naturalis�s d'origine alg�rienne (une dizaine de nationalit�s europ�ennes et nord-am�ricaines), principalement immerg�s dans le champ intellectuel d'une Europe en construction, qui veut conjurer une longue histoire de guerres nationales et affecte de tourner le dos aux souverainismes locaux � l'heure de ses �checs �conomiques. L'id�e de nation et de nationalit� alg�riennes n'a jamais �t� aussi menac�e que ces derni�res ann�es. Beaucoup d'Alg�riens � jusque dans la cat�gorie privil�gi�e des professeurs de m�decine ( El Watan weekend, 24 d�cembre 2010) � souhaitent quitter d�finitivement leur pays pour envisager une autre vie et une nouvelle identit� nationale. Au nom de motivations tr�s diverses. A d�faut d'affronter une mer M�diterran�e impr�visible et cruelle � bord de felouques suicidaires, des candidats � l'�migration � de toutes cat�gories, de tous �ges et de toutes r�gions du pays � en viennent � exploiter d'inattendues jurisprudences pour acqu�rir la nationalit� de l'ancien colonisateur. Selon le quotidien L'Est alg�rien(Annaba, 20 d�cembre 2010), des avocats ont d�couvert la possibilit� pour les enfants, petits-enfants et arri�re-petits- enfants d'indig�nes (qui se recrutaient essentiellement dans la corporation des instituteurs) naturalis�s par jugement ou par sollicitation personnelle dans le cadre du S�natus consulte de 1864 d'obtenir par d�cision des tribunaux fran�ais, en vertu de l'inali�nable droit du sang, la nationalit� fran�aise. Ils �taient pendant la p�riode coloniale environ 70 000, ce qui annonce dans les prochains mois des naturalisations en cascade pour leurs descendants. Il n'y a pas � ce jour d'�tude syst�matique sur cette �migration alg�rienne � l'�tranger et son corollaire le changement de nationalit� dont le d�ploiement est important et sans pr�c�dent. Faut-il m�conna�tre cette propension exponentielle de l'Alg�rien � se transformer en binational ? Le chroniqueur Hakim La�lam, trempant sa plume dans une encre acidul�e, a sans doute raison de s'�crier, paraphrasant ce qui fut un mot d'ordre glorieux de la reconnaissance footballistique nationale : �Ma�k ya Ezzergua !� ( Le Soir d'Alg�rie, 22 d�cembre 2010). Cette migration effr�n�e vers le Nord � longtemps souhait�e, encourag�e puis refoul�e dans le d�cours de l'histoire coloniale de la France �, dans certains cas quasi-hom�rique, a certes des r�f�rences : d'abord, dans le mouvement ouvrier, puis dans l'intelligentsia. Elle scande d�sormais les d�rives d'une ind�pendance trop bien � ou mal � acquise et les apories d'un imaginaire national en d�route, frapp� de d�sh�rence. 1. L'inaccessible id�e nationale Dans l'exp�rience alg�rienne, la nation a toujours �t� assimil�e � l'Etat. Elle appara�t une et indivise dans ses chartes et dans ses fronti�res. La th�orie de l'Etat-nation du FLN de la guerre d'ind�pendance ne d�ment pas les th�ses classiques d'Ernest Renan ( Qu'est-ce qu'une Nation ? [1882]) et de Maurice Barr�s ( Sc�nes et Doctrines du nationalisme, 1902) qui s'attachent � des valeurs p�rennes : terre, histoire, communaut�, solidarit�. Fils �loquent � et en son temps t�m�raire � de la culture r�publicaine fran�aise, Ferhat Abbas (1898-1985), le tout premier intellectuel indig�ne � en �valuer l'hypoth�se, rejetait selon les crit�res de Barr�s (�la terre et les morts�, �le cimeti�re commun�) une improbable �nation alg�rienne� : �Si j'avais d�couvert la "Nation alg�rienne", je serais nationaliste et je n'en rougirais pas comme d'un crime [�] l'Alg�rie en tant que patrie est un mythe. Je ne l'ai pas d�couverte. J'ai interrog� l'histoire; j'ai interrog� les morts; j'ai visit� les cimeti�res : personne ne m'en a parl�. Sans doute ai-je trouv� "l'Empire arabe", "l'Empire musulman", qui honorent l'Islam, et notre race, mais ces empires se sont �teints [�] on ne battit pas sur du vent� ( La France, c'est moi, L'Entente franco-alg�rienne, 27 f�vrier 1936). La th�orie de la nation dans le champ politique indig�ne de la p�riode coloniale, telle qu'elle s'est constitu�e dans le mouvement Jeune Alg�rien (Docteur Moussa, Emir Khaled, Docteur Bentami), la F�d�ration des �lus musulmans (Docteur Bendjelloul, Docteur Sa�dane, Abbas) et l'�toile nord-africaine (Abdelkader Hadj Ali, Messali Hadj), n'exc�de pas les cadres conventionnels de l'enseignement r�publicain fran�ais, des th�ses ir�niques de Fustel de Coulanges (Histoire des institutions de l'ancienne France, 1875-1892) et plus encore des manuels d'histoire d'Ernest Lavisse (Histoire de la France depuis les origines jusqu'� la R�volution, 1900), d�clin�s sur le sacre de la terre et du pass�, ciments de la patrie. Hors des r�serves du PCA et de sa conception de la �nation en formation�, elle subsistera dans les partis form�s au lendemain du centenaire de la prise d'Alger jusqu'� la veille du 1er Novembre 1954, du RFMA � l'UPA, du PPA-MTLD au FLN et aussi dans les regroupements conjoncturels des Congr�s alg�riens (1936-1937) auxquels s'associent les Oul�mas de cheikh Abdelhamid Benbadis. C'est dans cette perspective que le nouvel Etat alg�rien posera dans la d�cennie 1960 les termes d'un rapport � un pass� et � une terre sanctifi�s pour en rehausser �lectivement dans ses discours culturels et scolaires les figures locales redevables d'une comm�moration solennelle et constitutive, de l'Emir Abdelkader � la cha�ne illumin�e des r�sistants � la conqu�te coloniale au XIXe si�cle : Ahmed Bey, El Mokrani, cheikh El Haddad, Mohamed Belkheir et Lalla Fatma N'soumer. A ces h�ros id�alis�s se joindront les cort�ges �piques de combattants de la guerre d'ind�pendance, paysans en armes de l'ALN, c�l�br�s par Frantz Fanon. Cette construction de l'Etat-nation se projettera, non sans cons�quences, autour de l'axe principal de la langue arabe et de la culture arabo-islamique, plus impos�es que choisies par les diff�rentes composantes de la nation alg�rienne. Elle fait l'�conomie des l�zardes du discours politique nationaliste de la p�riode coloniale et plus particuli�rement de la �crise berb�re� qui �branla, en 1949, les instances du MTLD. Dans un pays vaste, entr� en guerre, uni dans son refus de la colonisation fran�aise, les singularit�s r�gionales ont �t� gomm�es ou rel�gu�es � des examens futurs, toujours d�command�s. Elles ne tardent pas � rejaillir brutalement, au mois d'avril 1980, � l'occasion d'une conf�rence de l'�crivain et universitaire Mouloud Mammeri sur la po�sie orale kabyle � l'Universit� de Tizi Ouzou, inexplicablement interdite par le gouvernement du pr�sident Chadli Bendjedid. Cette interdiction, douloureusement ressentie, non seulement en Kabylie mais dans tout le pays, pose clairement la question ind�cidable du statut de la nation alg�rienne et du sens des solidarit�s acquises ou encore instables entre ses diff�rents groupements humains et g�ographiques. Dans l'expos� nuanc� des militants berb�ristes, cette question ne remet pas en cause les fondements de l'�tat alg�rien, r�alit� historique, juridique et territoriale, mais la philosophie de la nation aux valeurs arabo-islamiques exclusives. La Kabylie et une partie des Aur�s qui s'insurgent contre l'Etat jacobin centralisateur ont le souci de situer leur action dans une culture politique d�mocratique. La r�forme de la Constitution qu'ils obtiennent, par un amendement vot� par les deux chambres (APN et S�nat) le 10 avril 2002, consacre l'amazighit� dans les sources de l'Etat et promeut tamazight langue nationale. Elle est incontestablement une victoire contre le d�ni longtemps oppos� aux multiples expressions de l'alg�rianit�. Encore faut-il pr�ciser que les concessions � la d�finition de la nation et du national des diff�rents pouvoirs politiques qui se sont succ�d� en Alg�rie, depuis l'ind�pendance, paraissent encore insuffisantes et discut�es. Au-del� de la juste appr�ciation de la revendication berb�re, la fragilit� de l'alg�rianit� est aussi diversement �prouv�e dans des �v�nements symptomatiques comme le terrorisme islamique et son utopie mill�nariste, � l'enseigne de l'Umma transfrontali�re dont le centre flottant s'�tend de Djeddah � Karachi, ou encore la harga. D'o� vient-il que l'id�e de la nation alg�rienne, qui a soulev� au lendemain de la conqu�te coloniale fran�aise de terribles r�sistances, soit devenue � la fois inqui�tante et surtout insupportable, notamment chez les jeunes cat�gories de la population ? Faut-il y voir les effets d'une mondialisation trompeuse et de l'attrait d'une vie meilleure ailleurs auxquels les gouvernants r�pondent mal � lorsqu'ils n'ont simplement pas de r�ponse. Quels qu'en soient les desseins � h�donistes et sexuels � d'une jeunesse tent�e par le mode de vie occidental, sans comprendre qu'il est le r�sultat d'une histoire et d'engagements qu'elle n'est pr�te ni � accepter ni � respecter, la harga inonde de larges pans de la soci�t� alg�rienne et demeure le seul d�bouch� � un malvivre insurmontable. L'inanit� de l'id�e nationale chez la grande partie de la population qui n'a pas connu la colonisation est un aspect de la personnalit� de l'Alg�rien du XXIe si�cle, qui a la d�termination de se transformer � sans aucun �tat d'�me � en national de n'importe quel pays du monde, pourvu qu'il soit en Occident, symbole des libert�s. Et, avec la semblable fougue, se faire Afghan et partir en transe pour une guerre sainte, de Bagdad � Peshawar. Extr�mes d'une folie r�currente, patiemment couv�e par l'�cole alg�rienne, qui a d�voy� le sentiment national dans des liturgies r�volutionnaires incoh�rentes et intol�rables pour une population ferm�e � son histoire coloniale. Alors que la permanence du groupe social alg�rien, de son originalit� et de ses solidarit�s actives devait se construire dans la s�quence fondatrice de la colonisation fran�aise et de la maturation identitaire qu�elle a rendue viable, il y a un �vident d�ficit d'histoire et la dimension de l'arabo-islamit� est surinvestie �motionnellement. Les jeunes harraga qui arrivent � sauter les verrous administratifs des pays d'Europe et acc�dent � leur citoyennet� ont sans doute une meilleure compr�hension du r�le et des valeurs de l'Islam transcendant les nations, re�us normativement dans l'�cole alg�rienne, que de celles de l'Etat qui les accueille. Comment ne pas observer dans ce domaine la d�faillance du travail politique et culturel ? Des millions de jeunes Alg�riens ont d�couvert � sur le mode du contraste � la nation alg�rienne et le type d'attachement incantatoire qu'elle pr�suppose, � l'automne 2009, dans une un surgissement d�mentiel et incontr�lable. C'est le sport, et plus particuli�rement le football dans ses ar�nes incendiaires, qui a exp�riment� � mieux que n'a pu le faire l'�cole en presque un demi-si�cle � la p�dagogie de l'id�e de nation. Quand la nation alg�rienne tarde � installer le socle fondamental de l'arabo-amazighit� pour unifier son image et f�d�rer ses ressources, une surprenante et vraie guerre du football contre l'Egypte a permis de resserrer les rangs autour d'une alg�rianit� sismique dont les effets seront attest�s dans les plus lointaines diasporas, vivant � l'heure des mouvements de foule d'Alger � Tamanrasset. Quel pouvait �tre l'imaginaire de la nation alg�rienne pour ces lointains mon�mes de jeunes Canadiens courant les froides banquises, drapeau au vent ? Le pr�sident Abdelaziz Bouteflika, en engageant personnellement la �bataille d'Oum Dourman�, men�e victorieusement dans un extraordinaire transfert de population au Soudan, a ouvert une p�riode de paix sociale, amenuisant dans la jeunesse les effets conjugu�s de la harga et du pros�lytisme guerrier des maquis d'Al-Qa�da. L'id�e de la nation alg�rienne et le v�cu de la nationalit� alg�rienne ontils �t� � provisoirement � r�appropri�s face � l'adversit� ? Cependant des millions d'Alg�riens demeurent de potentiels harraga et veulent changer de pays et de nationalit�, comme en t�moigne, ces derni�res semaines, l'�pisode pittoresque et cocasse de la d�fection � largement comment�e � du Ballet national au Canada. Il est certain qu'ils n'y r�ussiront pas tous et qu'� l'avenir peu de pays seront dispos�s � les recevoir. Cette situation souligne l'impr�paration du gouvernement et des partis politiques, qu'ils soient dans le pouvoir ou dans l'opposition, principalement le FLN transmetteur historique et protecteur de l'id�e de la nation alg�rienne, qui n'ont jamais �t� � la mesure des transformations profondes qui affectent le pays et sa jeunesse � l'heure d'internet et de l'expansion des moyens de communication. 2. Du postcolonial au postnational : l'exemple de la litt�rature La fin des colonies a suscit� dans les anciennes possessions de l'Empire fran�ais des r�cits individuels ou collectifs subsumant les trames du pass� pour forger des destins neufs. En Alg�rie � comme en France � l'�valuation de l'ind�pendance passera par un discours pessimiste, inspir� par les difficult�s des gouvernants FLN-ALN � constituer un Etat rassembleur. Le discours postcolonial produit par l'universit� fran�aise indique comme une �vidence la difficult� pour l'ancien colonisateur � accepter la lib�ration de ses anciennes colonies (Cf. Catherine Coquery-Vidrovitch, Enjeux politiques de l'histoire coloniale, Paris, Agone, 2009). Etroitesse intellectuelle que le g�ographe Yves Lacoste rel�ve aussi dans l'historiographie postcoloniale, qui oblit�re l'id�e de nation (Cf. La Question coloniale, Paris, Fayard, 2010). Cette apathie � si caract�ristique � de l'id�e de la nation alg�rienne est assez t�t pr�sente dans le champ culturel. C'est parmi les �crivains, chanteurs, com�diens et artistes-peintres expatri�s que l'on observe cette tentation de r�duire et de d�truire � par tous les moyens � le projet national. Le discours postcolonial a �t� le porte-flambeau d'un n�o-colonialisme suffisamment pr�gnant pour provoquer de rugueux divorces. Comment �crire et vivre l'ind�pendance alg�rienne et la formation d'une nation ? Ou inversement ? Le r�cit postcolonial que produit la litt�rature alg�rienne est celui de l'�chec de l'id�e nationale. Des �crivains issus de la p�riode coloniale (Marie-Louise Amrouche, Hamza Boubakeur, Djamila Deb�che, Mohammed Dib, Henri Kr�a, Ali Maalem, Ali Merad, Malek Ouary) ont choisi dans l'esprit des Accords d'Evian de demeurer fran�ais ou de le redevenir apr�s une br�ve halte dans le pays ind�pendant. Pour Isma�l A�t-Djafer, Mourad Benzine, Tewfik Far�s, Malek Haddad, Kateb Yacine, ne faudrait-il pas parler d'exil, rupture critique dans le d�sordre politique de l'apr�s-ind�pendance, dans ce que Max Weber institue comme le �d�senchantement du monde� ( Le Savant et le politique, Paris, La D�couverte, 2003) ? Ne convient-il pas de distinguer les �crivains de la p�riode coloniale de ceux, n�s et grandis dans l'Alg�rie ind�pendante, et choisissant la France ou tout autre pays, non pas comme terre de repli mais comme nouvelle patrie ? C'est pr�cis�ment dans cette cat�gorie, venue � la litt�rature depuis les ann�es 1960, que r�sident les ambigu�t�s de l'appartenance nationale. Ambigu�t�s soulign�es par l'attitude de ces �crivains envers la qualification nationale et ce qui la fonde : ayant chang� de nationalit�, ils pr�f�rent non pas d�cliner leur nationalit� acquise et pr�f�rent reporter dans leur biographie la formule �d'origine alg�rienne�. Ce passage � ce que le philosophe allemand J�rgen Habermas appelle le �postnational� (Cf. Apr�s l'Etatnation. Une nouvelle constellation postnationale, Paris, Fayard, 2000) d�signe en Europe la volont� d'int�gration � un espace g�opolitique et �conomique supranational plus gratifiant. Pour les naturalis�s de toutes provenances, il signe formellement un retour dans l'ancienne puissance coloniale et par son biais dans l'Europe. Dans un d�bat avec l'�crivaine Dani�le Sallenave, le Francotunisien Abdelwahab Meddeb en appuie l'opportunit� qui revendique cette identit� postnationale � voire �postoccidentale� : �[�] je me sens, de toutes mes fibres, un intellectuel ��postnational��. Je dirais que je suis �tranger � l'exaltation du ��petit pays��, si tangible dans une po�sie comme celle de Du Bellay.� ( Sallenave-Meddeb : � quoi �a sert d'�tre de quelque part ?, Marianne [Paris], n� 711, 4-10 d�cembre 2010). Il aurait pu aussi citer les traditions barr�sienne et maurrassienne, tr�s enracin�es dans la France politique et litt�raire, au d�but du XXe si�cle, qui ont sublim� la terre et la nation. Des contingents en rangs serr�s d'�crivains, d'universitaires et d'artistes franco-alg�riens pensent comme Meddeb, repoussant �le petit pays�. Avatar de l'�pineuse question de transfert de nationalit�, le segment �d'origine alg�rienne� � transcrit dans plusieurs biographies d'intellectuels et d'artistes n�o-fran�ais ou n�o-canadiens � s'il d�signe une mutation dans une qualification nationale autre renvoie dans les faits � un vulgaire et sordide changement de nationalit�. Et rel�ve immanquablement de ce que l'on nomme en Alg�rie le sbigh (du verbe peindre, litt�ralement changer, muer). Et ce ne sont pas les ratiocinations sur le postnational ou le �postoccidental � qui convaincront du contraire. Meddeb � comme ses cong�n�res du Maghreb et d'Afrique noire � s'apparente � un harki de la culture fran�aise, quittant sa Tunisie natale par �go�sme de viveur, qui n'y trouve plus le �jouissif �, paradigme obnubilant et d�concertant, asservi � la France et � l'Occident. Eloign� de la d�fense et illustration du postnational, le romancier Anouar Benmalek, qui claironne en quatri�me de couverture de ses ouvrages sa nationalit� fran�aise, n'a pas de ces pudeurs quand ses pairs binationaux se pr�servent derri�re l'�nigmatique paravent �d'origine alg�rienne�. Ce qui concr�tement pose probl�me dans cette condition � entortill�e dans de fumeuses doctrines � ce n'est pas la libert� qu'ont des individus de changer de pays et de nationalit�, c'est leur facult� � en jouer, sans s'assumer dans aucun bord. Dans quel bilan porter ces naturalis�s, furieux pr�dicateurs de �l'entredeux � ? La plupart des �crivains fran�ais d'origine alg�rienne continuent � traiter des th�mes alg�riens � commode fonds de commerce � et � �tre cit�s dans l'histoire litt�raire du Maghreb telle qu'elle se con�oit et s'�crit dans l'universit� fran�aise, alors qu'il aurait �t� plus audacieux pour eux de se faire reconna�tre comme �crivains fran�ais, sans aucun additif pernicieux pour leur carri�re et identit� nationales. A ces suppl�tifs d'un second coll�ge litt�raire, la France a conc�d� sa nationalit� sans les admettre au banquet national de ses lettres. Citoyens mineurs de la R�publique des lettres, ils allongent, m�me sous les lustres des Acad�mies, les illusions d'une francit� litt�raire. Comment expliquer leur position marginale quand l'Am�ricain de langue fran�aise Julien Green, le Fran�ais d'origine lituanienne Romain Gary, le Fran�ais d'origine tch�que Milan Kundera, et bien d'autres �crivains originaires de l'Occident et pratiquant la langue fran�aise se voient pleinement int�gr�s dans l'histoire litt�raire fran�aise ? Sont-ils r�compens�s de leur z�le � liquider leur passif national et les ombres du �petit pays� en livrant d'insens�s gages ? Dans un entretien avec le journaliste Fay�al M�taoui, l'�crivain d'origine alg�rienne Abdelkader Djema�, reprenant une des propositions de Meddeb sur le sol, affirme fortement que l��crivain ignore la g�ographie (�Un auteur n'a pas de g�ographie �, El Watan, 17 novembre 2010). Derri�re cette position, il y a une sinistre antienne : l'�crivain n'est d'aucun pays, le seul horizon qui soit � sa mesure, c'est l'universalit�. Navrantes sottises toutes appr�t�es pour des �crivains n�ocolonis�s. Dans les propos des �crivains �d'origine��, l'universalit� n'est qu'un affreux cache-mis�re, drapant un saut chancelant et �quivoque de fronti�res nationales. Car, ce n'est jamais l'�crivain qui choisit l'universalit�, il ne peut qu'en �tre � � l'insu de son plein gr� � l'�lu. Jorge Luis Borg�s n'a jamais reni� l'Argentine, Nadine Gordimer l'Afrique du Sud, Aleksandr Issa�evitch Soljenitsine la Russie, Kinzabur� O� le Japon et Philip Roth les Etats-Unis d'Am�rique. C'est dans l'insertion � presque famili�re � dans leur terre d'origine qu'ils nous sont perceptibles et proches. Et aucun d'entre eux n'a jamais martel� que la g�ographie ne comptait pas ou si peu. Mod�le (r�pulsif) de la litt�rature fran�aise actuelle, un Michel Houellebecq postnational serait-il cr�dible pour ses lecteurs dans le monde entier sans l'explicite cadrage de la terre et de la culture fran�aises ? Les tenants du postnational � qui ont certainement mal lu et assimil� le concept de Weltliteratur de Goethe � peuvent d'ores et d�j� nous objecter un anti-universalisme et une crispation sur la nation (�le petit pays�) et le national. Ont-ils fait �cole ? Dor�navant, il suffit seulement de publier un vague recueil de po�mes ou de nouvelles entre Marrakech, Blida et Sousse, dans une langue calfeutr�e d'approximations, pour se proclamer �crivain tout court, en attendant de devenir �crivain �d'origine��. Cette protestation de folliculaires (postulants � des migrations extravagantes et id�alis�es, coursant une chim�rique universalit�) se lit dans des journaux du Maroc, de l'Alg�rie et de la Tunisie. 3. Arkoun, Bencheikh, � l'heure des m�prises Les nombreux hommages rendus ces derniers mois en Alg�rie � l'universitaire fran�ais Mohammed Arkoun (1928-2010) prolongent-ils la confusion sur la question nationale et de l'appartenance � voulue et ressentie � � un groupe social national ? Faisant partie de la g�n�ration de la p�riode coloniale, M. Arkoun ne peut �tre tenu pour un binational. Il est, comme c'�tait la r�gle � l'�poque, pass� du statut de sujet fran�ais � celui de citoyen fran�ais sans transiter par la case de la nationalit� alg�rienne. Il est uniquement Fran�ais comme pouvaient l'�tre par choix tous les anciens indig�nes de la colonie selon les dispositions des Accords d'Evian. La rupture du philosophe d'avec l'Alg�rie et les Alg�riens a �t� consomm�e assez t�t au moment o� se constituait, pendant la guerre d'ind�pendance, le Syndicat des �tudiants alg�riens affili�s au FLN. Contre B�la�d Abdesslem et Ahmed Taleb Ibrahimi, ses principaux animateurs, Mohammed Arkoun � aux c�t�s de militants marxistes � s'�tait oppos� � la distinction communautaire musulmane dans le sigle Ugema, qui excluait sur une base strictement confessionnelle �tudiants juifs et chr�tiens ind�pendantistes. A d�faut d'une Alg�rie libre interculturelle et tol�rante, r�ve perdu et inconsol�, Arkoun s'acclimatera en France : il s'agit non pas d'un malentendu mais d'une d�cision claire et mesur�e. Faut-il, en l'esp�ce, rappeler ce premier et unique accroc ? Pourquoi ce moment de l'histoire nationale, sold� n�gativement par l'�tudiant de Taourirt-Mimoun, mais pour lui puissamment formateur, devrait-il �tre occult� ? Le jeune agr�g� d'arabe (1956) se faisait conna�tre par une premi�re r�flexion aux intuitions sociologiques sur La culture nord-africaine : aristocratique et populaire (L'Action [Tunis], 6 janvier 1958) pouvait se reconvertir dans une recherche soutenue sur l'Age d'or de l'islam, lecteur de Miskawayh et herm�neute habile de la gnose coranique. Le retour dans la m�moire nationale de cet �minent islamologue fran�ais aurait �t� tout � fait justifi� si l'Alg�rie et l'universit� alg�rienne avaient sollicit� son attention de son vivant. On accuserait � tort sur ce plan les gouvernants. Le professeur Arkoun a �t� visiblement dans une distance, relativement au pays de ses racines, incompr�hensible � partir de la naissance d'une presse priv�e qui a pu depuis les ann�es 1990 garantir de mani�re �quitable une prise de parole � tous les acteurs du champ intellectuel d'origine alg�rienne. Il est parfaitement �tabli que des universitaires, �crivains et artistes fran�ais d'origine alg�rienne � fr�quemment des harkis et enfants de harkis � ont pu b�n�ficier d'une �coute attentive dans des journaux qui leur ont ouvert leurs colonnes. Il est difficile de croire qu'un chercheur reconnu et l�gitim� par son �uvre comme Arkoun aurait �t� interdit de s'exprimer en Alg�rie, s'il en avait pressenti la n�cessit�. Il aurait pourtant �t� attendu et �clairant sur les mutations, dans ces deux derni�res d�cennies, du dogme islamique en Alg�rie et dans le monde musulman. Pourquoi un retour au pays natal n'aurait-il pas �t� possible et productif pour lui ? Mohammed Arkoun n'a pas eu d'existence alg�rienne : il semble en avoir �t� r�siliant � la mesure de cette position d'absence que lui imposaient ses choix de vie sociale, politique et professionnelle dans la nationalit� et dans la culture fran�aises. L'homme (et aussi le chercheur) semble avoir fait le deuil de la perte identitaire originaire, r�solument double pour un Kabyle vers� dans la culture arabe et dans la th�ologie musulmane. L'�voque-ton, en Alg�rie, au seul titre de sa proximit� suppos�e d'avec un pays d'origine auquel il est rest� �tranger ? A l'instar de celle d'Arkoun, la disparition d'un autre intellectuel fran�ais d'origine alg�rienne n'a pas provoqu� en Alg�rie de vibrants et constants hommages. N� au Maroc, Jamel Eddine Bencheikh (1930-2005) a �t� un immense chercheur, renouvelant en France malgr� la difficult� de l'exercice, l'enseignement des lettres arabes classiques, donnant avec Andr� Miquel, professeur au Coll�ge de France, une impressionnante traduction des Mille et une Nuits (Paris, Gallimard, 1991) apr�s celles de Garnier au XVIIIe si�cle et du docteur Mardrus au XIXe. Et surtout, se r�v�lait dans les ann�es de la maturit�, un po�te g�n�reux. Fondateur, en 1967, � l'Universit� d'Alger, des Cahiers alg�riens de litt�rature compar�e, il avait c�d� devant la b�tise rustaude des nouveaux ma�tres enturbann�s des humanit�s arabes. Il avait cru en l'Alg�rie nouvelle, mais c'est la France qui lui donnera une destin�e. Sa disparition a �t� g�n�ralement signal�e dans les bas de casse des journaux, sans plus. Et les concerts de pleureuses professionnelles n'ont pas retenti. En v�rit�, ni Arkoun ni Bencheikh n'en ont besoin. Ils se sont de leur vivant exprim� � partir d'une irr�cusable identit� fran�aise, sans entrer dans le jeu pervers de la double nationalit� et sa pr�tention � une mystifiante universalit�. Leurs parcours et leurs �uvres enrichissent le patrimoine culturel fran�ais. Il ne serait ni opportun ni moral de vouloir les greffer � un bilan alg�rien qui n'est pas le leur. Cela n'exclut ni l'int�r�t ni la sympathie pour leurs productions intellectuelles et litt�raires fran�aises. 4. Le r�ve d'ailleurs Redira-t-on que la nation alg�rienne n'a pas �t� offerte aux Alg�riens et qu'ils en ont pay� le prix du sang dans une implacable d�structuration de leur �tre, sur un immense th��tre de mis�re sociale et culturelle ? L'id�e de la nation, pour ne pas �tre encore pleinement ma�tris�e, bient�t un demi-si�cle apr�s l'ind�pendance, est marqu�e par l'entropie. Et le fait national n'en finit pas de s'�tioler. L'�crivain et journaliste Ma�mar Farah pouvait imaginer dans son roman-feuilleton La Grande harba( Le Soir d'Alg�rie, 2009) une Alg�rie vid�e de ses habitants et revenue aux Chinois. Cette projection pessimiste du romancier de Mdaourouch rejoint celle de l'�crivain fran�ais Louis- Ferdinand C�line angoiss� dans Rigodon(1969) par une France tout autant chinoise, au moment o� on redoutait dans ce pays les tanks russes sur les Champs-Elys�es. Dans la France des ann�es 1940 de C�line comme dans l'Alg�rie du d�but du XXIe si�cle de Farah, ce d�sarroi face � un tarissement des populations � et surtout des identit�s � ne peut que se d�velopper dans des p�riodes de trouble ou d'abandon. De la harga � la harba, c'est tout le pays qui cherche � prendre la mer. Que fait donc le gouvernement ? M. Benattallah, ministre charg� de la Communaut� nationale � l'�tranger, a annonc� triomphalement dans une conf�rence de presse le chiffre de 1,7 million d'Alg�riens �tablis � l'�tranger et d�ment inscrits dans les repr�sentations consulaires dont 60% sont des binationaux qui seront bient�t, selon ses pr�visions, 80% ( L'Expression, 23 d�cembre 2010). Faut-il se f�liciter de ces statistiques singuli�rement haussi�res des binationaux qui sont tout autant nombreux en Alg�rie ? Cette d�claration d'un officiel ne peut se lire que comme une l�gitimation politique d'une mobilit� g�ographique et statutaire de la population et incite cette intention chez bon nombre de ses lecteurs, spectateurs et auditeurs. Des personnalit�s du champ politique n'entretiennent- elles pas aussi le nomadisme transnational, poussant � la roue en id�alisant la fortune du binational et de ses �lites : ministres de gouvernements en Alg�rie et en France, dirigeants d'entreprises, universitaires, artistes, footballeurs ? Un quotidien national consacre une rubrique r�guli�re aux binationaux franco-alg�riens. Comment cette litt�rature d'appel, chargeant un abominable sociologisme autour du ph�nom�ne binational, ne grossirait- elle pas le flux infini des aspirants ? Quels que soient leurs enseignements, les chroniques de r�ussites de naturalis�s � dans le domaine des sciences et des technologies notamment � ressass�es dans les journaux ne sont pas seulement des contes merveilleux. Elles n'expriment souvent qu'une sombre ind�licatesse � consensuellement oubli�e � envers leur pays d'origine. A titre d'exemple, il n'y a rien de tr�s rago�tant dans le comportement d'un �tudiant que son pays envoie � l'�tranger faire des �tudes post-gradu�es, ch�rement pay�es, qui n'y retourne pas, en mettant au premier plan son confort mat�riel et intellectuel et en n'honorant pas la dette envers la collectivit� nationale qui lui a permis cette formation. Comment ces naturalis�s postnationaux, champions du paradoxe, tournant le dos au �petit pays�, expliquent-ils leur marche vers l'Occident ? Le Franco-tunisien et postnational Abdelwahab Meddeb � se d�clarant farouchement �occidentalis� � � entend r�g�n�rer l'Occident (Cf. Le Pari de civilisation, Paris, Seuil, 2009); d'autres, d�cid�ment orientaux, veulent l'islamiser et l'affubler de la burqa. Modernes et la�cs, traditionalistes et islamistes, siffleurs d�hymnes nationaux dans les stades et �racaille� de banlieues, tous envisagent l'Occident comme une terre de mission : une ironie de l'histoire. Pendant ce temps, dans un pays sans credo, des pr�tendants au sbigh aff�tent leurs armes contre les �cueils de la mer et des lois europ�ennes sur l'immigration pour franchir des fronti�res r�put�es salvatrices. La harba continue. Il s'agit moins aujourd'hui de peupler les prisons de harraga ou de contraindre la libert� de quiconque de quitter le pays et de faire d'autres choix de vie en dehors de la nation et de la nationalit� alg�riennes que de s'interroger sur leur capacit� � assumer fid�lement et dans la clart� leur seule nouvelle identit�. On ne peut aimer et d�fendre dans le sacrifice et dans la loyaut� les Aur�s et la Kabylie et la Beauce et le Lub�ron, les monts de Tlemcen et les plaines de derricks du Texas, les ponts de Constantine et le lac L�man, la blanche Casbah et Napoli, les terres ocres de l'Assakrem et les n�v�s de l'Ontario. Le r�ve d'ailleurs a toujours un prix.