LE RETOUR D'HUGO. En voilà une entrée en matière qui n'a rien à voir ! Pourtant, on raconte que le jour où Victor Hugo retourna à Paris après 19 ans d'exil aux îles Anglo-normandes, le 5 septembre 1870, quelqu'un de son entourage s'était inquiété de savoir s'il trouverait un fiacre, gare du Nord, pour rentrer chez lui. Bien sûr, aujourd'hui, il aurait pu appeler un Uber, signaler sa géolocalisation ou faire savoir par les réseaux sociaux, comme notre Caroline nationale, qu'il appréhendait de ne trouver personne pour l'attendre après une si longue absence générant l'effacement et, forcément, le désamour. Eh bien non ! Les Parisiens n'ont jamais oublié l'auteur des Misérables qui avait osé tenir tête à Napoléon III, et son arrivée par le train de 21h35 en provenance de Bruxelles fut accueillie par des milliers de personnes sous les ovations et les chants révolutionnaires. Il prononça alors la fameuse phrase : « Citoyens, j'avais dit que le jour où la République rentrera en France, je rentrerai. Me voici ! » Ironie du sort. Lui qui avait peur de louper le dernier transport, il trouva tout un peuple. Pour ses partisans, Hugo était le « salut de la liberté rentrant dans Paris ». LE RETOUR DE CAROLINE. Faut dire que j'ai longtemps hésité à associer Caroline à Hugo même avec l'artifice – un chouia cousu de fil blanc, difficile d'en disconvenir — du retour. Ce n'est pas pour faire « cultivé » en bombardant à tout propos, comme Eric Zemmour, son monde de références et de citations censés attester du sérieux du discours, mais je vous assure que lorsque j'ai appris le retour de la youtubeuse Chahinez devenue Caroline, connue sous le pseudo de JoridChaz, c'est cet épisode d'Hugo craignant de n'être attendu par personne qui s'est imposé. Caroline aussi s'est exilée. Son acte de sédition est d'avoir épousé un Suédois même si Tom s'est converti à l'islam dans une mosquée de Tiaret. Elle resta 11 ans loin de chez elle, tenaillée par le mal du pays. Devenue influenceuse grâce aux réseaux sociaux, c'est dans son plan de charge que de mettre en scène ses états d'âme. Il semble qu'elle le fait avec beaucoup de naturel et de spontanéité. Ce qui lui vaut d'avoir des centaines de milliers d'abonnés. Elle qui craignait ne pas être attendue, l'aéroport d'Alger fut envahi par ses fans, essentiellement des jeunes filles en hidjab qui semblent accomplir un acte de dévotion. Le rôle est de plus en plus important que tiennent les youtubeurs et les influenceurs. En Europe et aux Etats-Unis, les éditeurs et les grandes chaînes de télé se les arrachent. Ça génère du pognon ! BEMOL 1. On ne sera pas de ceux qui clouent au pilori les fans de Caroline. Il y a toujours une raison sérieuse pour que des centaines de milliers de gens se reconnaissent en une seule personne. Parfois, certes, ces raisons sont considérées comme frivoles par nombre d'observateurs, elles sont importantes pour les fans. Il ne s'agit donc pas de condamner mais de comprendre une telle adhésion. Peut-être, quelque part, Caroline incarne-t-elle un fantasme de liberté aux yeux de ces Algériennes doublement tenues sous tutelle ? Le seul grief sensé qu'on peut faire, et ce n'est pas que de leur fait, c'est d'avoir enfreint les règles de précautions sociales par rapport à la pandémie. Les autorités de l'aéroport sont aussi bien sûr impliquées dans ce relâchement. Elles auraient dû y veiller. LE RETOUR DE LA KARATEKA. Zahra Hamachi est rentrée le 5 décembre d'Egypte avec le titre de championne d'Afrique de karaté. Elle n'a pas reçu l'accueil fait à Caroline, seul son entraîneur et une jeune fille l'attendaient. Bien entendu, il ne s'agit pas de tirer des conclusions tranchées de la comparaison entre l'accueil fait à une youtubeuse qui vend ses humeurs et une sportive de haut niveau dont les efforts ont conduit à l'obtention d'un titre qui honore le pays. Nous sommes sur deux plans différents, et peut-être-même s'agit-il de deux Algérie différentes, mais autant on peut saisir pourquoi les fans ont répondu à l'appel de Caroline, autant il est difficile d'admettre, ou simplement de comprendre, la désinvolture, pour ne pas dire le mépris que les responsables du sport national, voire les dirigeants de façon générale, réservent à l'élite sportive du pays. Et pas que sportive. Et pas que l'élite, d'ailleurs. On en a déjà eu un avant-goût avec nos champions para-olympiques. LE RETOUR DE LA... PALESTINE. Il n'y a rien de rédhibitoire ou de choquant dans l'accueil réservé par l'Algérie au Président palestinien Mahmoud Abbas. Pas plus qu'il n'y a quoi que ce soit de répréhensible dans le fait que l'Algérie octroie une aide de 100 millions de dollars à la Palestine et 300 bourses à des étudiants palestiniens. En valeur absolue, c'est trois fois rien. Les aides internationales sont en général autrement plus consistantes. Certains parmi nous s'en indignent. Il n'y a vraiment pas de quoi. Ainsi est fait le jeu géostratégique. Il n'est pas anormal que l'Algérie fasse montre de ses alliances et de sa solidarité dans un conflit où, de quelque bout qu'on le prenne, ce sont les Palestiniens, les victimes. Il n'est pas non plus surprenant que cela intervienne au moment où l'alliance de coopération militaire entre le Maroc et Israël et, derrière, les Etats-Unis, fait gronder la menace aux frontières de l'Algérie. Le jeu géopolitique obéit malheureusement à des lois qui dépassent les clivages de politique interne. En mars 2022, le sommet de la Ligue arabe se tiendra à Alger. Le but est donc de mettre la question palestinienne au centre de ce sommet. C'est le retour de l'Algérie dans le dossier palestinien. Il faut bien essayer de recouvrer un peu du lustre d'antan. BEMOL 2. S'il y a quelque chose à tenir en suspicion dans la politique de nos gouvernants, ce n'est sans doute pas cette aide et cet activisme pour une cause juste. Je vois d'ici le regard désapprobateur de nombre de mes amis et camarades ! Mais à l'inverse, j'ai du mal à comprendre que l'on puisse agonir ceux qui manifestent leur esprit critique en considérant que même la solidarité avec les Palestiniens est prise en otage par le pouvoir qui donne de l'argent mais interdit les manifestations populaires en faveur de la Palestine. Va savoir ! A. M.