Rachid Sidi Boumedine nous propose une balade historique dans les demeures et les palais de La Casbah d'Alger à travers les belles faïences en céramique, qui ornent murs et patios de ces habitations. Cet ouvrage préfacé par Abderrahmane Khelifa vient de paraître aux Editions Anep, dans la collection Beau livre. La période à laquelle s'intéresse le sociologue se situe entre le XVIIIe et le XXe siècle. «(...) Les deux tremblements de terre qui l'ont gravement affectée ne nous permettent pas de remonter plus loin dans le temps», note l'auteur. Le chercheur nous apprend que les faïences d'Alger étaient importées d'Espagne, d'Italie et de Tunisie. Seuls les plus nantis pouvaient en acquérir : «Les faïences importées (et le marbre) étaient vendues à l'encan, sorte d'enchères publiques. Ne pouvaient donc se porter acquéreurs, notamment en termes de quantité, que les plus fortunés.» L'auteur s'intéresse aux motifs, décors, couleurs, formes des carreaux apposés sur les murs : «À Alger, la présence des carreaux tunisiens est remarquable certes, surtout dans les palais et demeures des XVIIe et XVIIe siècles, mais on trouve aussi des carreaux d'origine andalouse, italienne et, ce qui semble constituer une exception, hollandaise. Les carreaux d'origine espagnole à figurines, et qui représentent des animaux comme la cigogne, le poisson et le chameau, sont plus répandus surtout en comparaison de l'abondance des carreaux à thèmes floraux.» Il prévient : «Les revendications de paternité des carreaux sont parfois à prendre avec beaucoup de précautions. Un exemple parmi d'autres illustre cet enchevêtrement entre origine, lieu de production et appartenance est fourni par celui des carreaux d'origine turque qu'on appelle ''tunisiens''.» Une multitude de figures ont été utilisées pour orner les carreaux de céramique : carré, triangle, fresque, pomme de pin, cercle, composition végétale... Rachid Sidi Boumedine nous en donne un aperçu à travers une galerie d'illustrations. «Trois figures de base sont essentiellement utilisées : le triangle, le carré et le cercle. Alors que ces figures sont attribuées à l'art islamique, le cercle est, lui, donné comme provenant de source byzantine. Enfin, c'est de Perse que seraient issues les représentations végétales ou florales (dites tawriq et tachdjir) qui viennent enrichir les compositions à base géométrique ou calligraphique.» L'enseignant-chercheur insiste sur un aspect : «Il est important de rappeler que les céramiques apposées à La Casbah sont beaucoup plus tardives, de près de deux siècles après le départ des musulmans d'Espagne, le reflux de la Sicile, etc. Ce qui a largement laissé le temps aux évolutions artistiques et techniques nouvelles de se faire. Si les carreaux observables ne permettent pas aux spécialistes de trouver des exemplaires des réalisations sur la base des techniques premières, celles arrivées de l'Orient et développées en Andalousie, il leur est pourtant loisible d'observer l'évolution tardive, certes, de ces techniques durant deux siècles.» Dans cet ouvrage, il y a tout un chapitre consacré aux pays d'origine des carreaux de faïence retrouvés à Alger à l'instar de la céramique dite andalouse : «L'Andalousie est la ''mère'' des carreaux de faïence qui ont achevé leur périple à Alger.» L'auteur cite les carreaux valenciens, les carreaux catalans, les carreaux «maadnoussia»... Il est également question de modèles figuratifs de la fin du XVIIIe siècle, dont le chercheur a pu photographier un florilège au Musée national du Bardo : « Plusieurs paramètres caractérisent ces carreaux figuratifs : d'abord, en matière de style et de dessin, ils donnent l'impression d'une représentation naïve des objets, personnages animaux ou végétaux qu'ils prétendent représenter.» Les céramiques d'origine italienne, tunisienne, hollandaise et ottomane trouvent également leur place dans ce «beau livre». Histoire, technique, savoir-faire artisanal autour de ces carreaux sont à découvrir dans le dernier chapitre. à propos de la céramique d'origine hollandaise, Rachid Sidi Boumedine écrit : «L'Algérie, selon les historiens, a entretenu des relations intenses avec les pays du nord de l'Europe, contrairement aux idées reçues qui ont tendance à les limiter à une histoire méditerranéenne. L'Italie, qui a connu les artistes musulmans dès le Xe siècle, au moment de l'entrée des Arabes en Sicile, diffuse plus tard son influence en Hollande grâce à ses artisans qui s'installent au début du XVIIe à Anvers, alors en pleine prospérité. Ils y produisent les carreaux italiens à l'époque. En 1585, la prise d'Anvers par les Espagnols donne un coup d'arrêt à l'économie, ce qui oblige au départ des faïenciers vers l'Angleterre, l'Allemagne et les Pays-Bas.» Ce patrimoine culturel haut en couleur est à découvrir dans cet ouvrage agrémenté de jolies illustrations. Un travail de recherche qui nous emmène en balade dans les palais et «douérate» de la plus ancienne cité d'El Dzaïr. Rachid Sidi Boumedine est enseignant-chercheur en urbanisme et aménagement. Il a dirigé plusieurs organismes publics et des recherches. Après sa retraite, il a travaillé pour l'Unesco et dirigé des recherches au Cread. Il se consacre désormais à l'écriture sur le patrimoine de l'Algérie. Soraya Naili Céramiques d'Alger. Toute une histoire. éditions Anep. 2021. 199 p.