Confinée dans une mortifère inactivité après le passage du Hirak qui lui instruisit publiquement un procès inédit, l'UGTA n'est sûrement plus en mesure de revendiquer en son nom quelques antiques conquêtes syndicales quand le grand œuvre politique de la classe ouvrière n'eut pour unique architecte au-dessus de tout soupçon qu'un authentique doctrinaire que l'on assassinat le 28 janvier 1997. Quant à la «grande maison» du 1er Mai, elle n'avait fait qu'assumer formellement le veuvage de Benhamouda juste le temps de quelques hypocrites commémorations avant de verser dans la compromission «anti-ouvrière» et finir dans une incomparable lâcheté que les démissions collectives illustrèrent il y a de cela quelques mois. C'est pourquoi, faute de témoignages crédibles, voire susceptibles d'illustrer à nouveau une commémoration historique, le syndicalisme algérien est contraint à présent de recourir aux narrations annotées de faits saillants afin de mettre en exergue l'itinéraire du défunt, lequel fut à l'origine du projet rénovateur en termes d'autonomie et ce, en référence au multipartisme que le 5 Octobre 1988 imposa. C'était précisément grâce à cette exigence adossée elle-même à une résistance quasi-syndicale que cette personnalité s'affirma notamment auprès des nouveaux partis de l'opposition. Autrement dit, la classe politique, habituellement critique, allait découvrir en Benhamouda un modèle singulier dans son rapport avec le palais, d'où la naissance d'une image relookée de la pratique du syndicalisme, habituellement prudent lorsqu'il lui fallait aborder la légitimité des grèves ouvrières. Cela rappelé, il me semble qu'il importe peu qu'un quart de siècle après son martyre, l'on s'attarde pesamment sur certains détails de son parcours. Encore que ceux-là ne manqueraient guère de quelques significations. Car, qu'il soit ou pas le sujet personnel de quelques recueils vains et convenus, l'essentiel est précisément ailleurs, c'est-à-dire au moment où l'intérêt ne réside que dans l'empreinte, qu'en sa qualité d'homme politique, Benhamouda laissa de fortes impressions dans les esprits attentifs aux luttes syndicales, mais pas auprès de ceux qui lui succédèrent et l'oublièrent ! En effet, parmi tant de témoins qui assistèrent à ses «croisades» syndicales, il était aisé, quelques années plus tôt, de citer la remarquable personnalité du défunt Mohamed-Seghir Mentouri, ministre d'abord et président du Cnes ensuite. Un authentique observateur qui «profita» d'une commémoration en 2007 pour dresser le portrait de l'iconoclaste acteur politique que fut Benhamouda. «(...) grâce à sa persévérance, relatait Mentouri, il parvint à se soustraire de l'humiliante allégeance et des règles de subordination imposées par des mœurs archaïques au point d'accéder au respect original de «nouveau patron» du syndicalisme. C'est dire que l'autorité et l'indépendance d'esprit qui furent les siennes l'assimilèrent assez tôt à un extraterrestre de la galaxie indigène où les mœurs ont toujours des difficultés à rompre avec l'obséquieux larbinisme oral» (1). De cette somme de remarques relevées par le ministre-témoin, l'on avait justement deviné que les rencontres avaient des accents de compagnonnage. Il est vrai que la personnalité-même de Benhamouda ne laissait que rarement indifférents les interlocuteurs, notamment lorsqu'il lui arrivait de porter la contradiction à travers ses discours. En effet, déballeur au verbe précis, il possédait l'art de suggérer les bonnes solutions en une seule formule alors que les vis-à-vis ont tendance à compliquer les leurs. C'était précisément la qualité de ses plaidoiries qui retint l'attention des vieux routiers du syndicalisme. Agréé par l'opinion en tant que militant majeur du syndicalisme autonome, il s'était surtout fait connaître par sa capacité à valider tous les mouvements sociaux du monde ouvrier quitte à délégitimer et les procédures et la jurisprudence lorsqu'elles faisaient valoir des «vices de forme», rendant obsolète la légalité des grèves. C'était ainsi qu'il parvint à rendre incontournables les négociations avec la Centrale avant toute prise de décision. S'imposant comme actrice décisive et de surcroît censitaire lorsqu'il s'agit des droits de vote, l'UGTA devint la maîtresse du destin de la classe ouvrière. Un succès fondamental qui fascina à son tour le narrateur Mentouri. «J'ai été frappé, notait celui-ci, par son solide bon sens qui le dispensait d'argumentaires laborieux et plus ou moins risqués. Au cours d'une réunion gouvernement-UGTA concernant la délicate question de la privatisation, il a eu, dans son style dépouillé, concis et non moins percutant, la réplique suivante : « Si une entreprise est déficitaire, qui voudra l'acheter ? Mais quand elle est bénéficiaire, pourquoi la vendre ?» (1). Hormis donc ce recours au bon sens et dans le même temps de ses hauts faits d'agitateur et de défenseur du monde du travail, il montra également du courage politique en s'opposant violemment au duo Zeroual-Ouyahia lorsqu'ils optèrent pour la ponction sur les salaires que lui, horrifié, qualifia de «sordide et honteuse gouvernance». Un coup de grisou qui assomma le président de la République et son Premier ministre au point, témoigne Mentouri, que « le risque de disloquer une alliance politique fraîchement consolidée avec Zeroual pouvait coûter à Benhamouda des sanctions sous plusieurs formes ». C'est dire, qu'au-delà de sa témérité, il avait laissé vivante une pensée réactive et moralement au-dessus de tout soupçon. Il est vrai que Benhamouda n'était ni un zaïm fasciné par son image ni un idéologue obtus et imperméable à la réalité de sa société. Justement, son extraction sociale et sa farouche conviction concernant la défense des plus faibles y sont pour beaucoup dans ses démarches. On le trucida donc pour ce qu'il incarnait. C'est-à-dire ne rien céder aux droits imprescriptibles de la classe ouvrière. B. H. (1) Toutes les citations sont extraites de la conférence donnée par le ministre Mentouri, le 28 janvier 2007.