Lorsqu�un h�ritage politique a �t� m�thodiquement brad�, il est difficile de se donner, � un moment ou un autre, bonne conscience par la seule magie des hommages bruyants. Se saisir d�une comm�moration pour se reconstruire une identit� de combat rarement v�rifi�e dans la pratique c�est ce � quoi en est r�duite aujourd�hui l�UGTA version Sidi Sa�d. Exhumer le souvenir d�un Abdelhak Benhamouda au nom du devoir de m�moire, quand l�infid�lit� � sa d�marche �tait devenue la marque de fabrique de ses successeurs, ressemble � de l�injure. Car, enfin, qui parmi les dirigeants actuels de l�UGTA peut encore se pr�valoir d�avoir gard� intacte cette �thique du combat ? Tout au long de ces dix ann�es, n�a-t-on pas constat� que la d�rive syndicale n�avait pas uniquement pour origine un suppos� pragmatisme des situations ? Trop de compromissions l�accr�diteraient du contraire au point de susciter, comme on le sait, des vocations d�affranchissement. L��mergence des courants autonomes est la meilleure explication de l��chec d�une centrale dirig�e par des apparatchiks plus soucieux de jouer aux pompiers institutionnels qu�� �pauler les contestations dramatiques. Le Benhamouda - alibi dont on s�appr�te � c�l�brer la rectitude est, une fois de plus, un pr�texte pour faire du marketing syndical au moment o� cette officine est frapp�e de tous les discr�dits. Paradoxalement, seule sa mort constitue aujourd�hui une r�f�rence alors qu�il est bien plus qu�un martyr embaum�. Il �tait une pens�e vivante, r�active et moralement au-dessus de tout soup�on. Ceux qui, cette semaine, souhaitent donc revisiter son parcours devraient au pr�alable se pr�munir de tout lyrisme st�rile. Benhamouda n��tait ni zaim fascin� par sa propre image ni un doctrinaire obtus et imperm�able � la r�alit� de sa soci�t�. Son extraction sociale et sa farouche conviction dans la d�fense des plus faibles dessin�rent sa personnalit�. On le trucida donc pour ce qu�il incarnait. C�est dire cet ensemble de pr�ceptes de justice et de sa libert� pour lesquels il milita et fut sans concession. Dix ann�es apr�s son assassinat, il est �videmment vain de continuer � sp�culer sur l�identit� des commanditaires du forfait. La seule certitude �tablie est qu�il fut un acteur politique incommode pour le syst�me d�une part et notoirement oppos� � toute solution n�goci�e avec l�islamisme politique d�autre part. Autant dire qu�en plus des inimiti�s politiques que suscitaient ses d�clarations, il �tait � port�e de fusil de tous ceux qui le vouaient aux g�monies. Un meurtre embl�matique charg� de trop de sens jusqu�� n��carter aucune hypoth�se. Entre 1990 et 1997, ce syndicaliste de rupture fit sortir l�UGTA du ghetto de sous-traitant politique pour l�impliquer directement dans le combat r�publicain. Car, estimait-il, la r�solution des questions sociales ne peut souffrir d�un Etat de non-droit l� ou le bon vouloir des princes qui gouvernent rend al�atoire la moindre conqu�te. Pour lui, le monde du travail doit cesser d��tre un levier assujetti aux ordres pour devenir une force politique � part enti�re dans l��laboration des r�gles de fonctionnement de l�Etat. Cette convergence de vues entre le pouvoir politique et le classique contrepoids que repr�sente le monde du travail s��tait � l��poque r�alis�e en dehors des sch�mas traditionnels bas�s sur l�all�geance, voire la caporalisation du syndicat. De ce point de vue, Abdelhak Benhamouda �tait vite apparu comme le r�novateur du travail syndical et l�initiateur d�une sorte de �parit� avec les autres centres de d�cision. Laminant � partir de 1990 (date de sa premi�re �lection) le pesant h�g�monisme du pouvoir politique en commen�ant par soustraire l�UGTA aux influences partisanes, il �tait parvenu � imposer la �Centrale� comme un partenaire de plein exercice, gommant ainsi la d�testable image d�une institution - alibi habitu�e aux soutien et reniement, selon les saisons des pouvoirs. Impliquant tr�s t�t le monde du travail dans les choix et les d�bats majeurs, il se refusera � cautionner les archa�ques r�flexes consistant � anesth�sier l�intervention syndicale. L�instituteur de Constantine, tr�s t�t rompu aux revendications et aux compromis au sein de la FTEC, saura, pour lui-m�me d�abord, faire la rupture n�cessaire avec la praxis d�une organisation de masse d�un parti unique. Lors de son �lection dans la p�riode trouble de 1990, ceux qui lui firent la courte �chelle pour acc�der au secr�tariat g�n�ral avaient fait le plus mauvais de tous les pronostics. Pensant � tort que cet homme d�appareil avait le profil id�al pour g�rer une transition � la t�te de la plus grande organisation de masse d�un FLN aux abois, ils d�couvriront au fil des initiatives pertinentes que l�homme avait d�j� pris la mesure des changements et n��tait plus dispos� � laisser l�action syndicale se p�trifier dans le d�corum d�un parti moribond ou bien � l�arrimer � d�autres sir�nes. L�ind�pendance syndicale �tait alors en marche. Or, cette autonomie revendiqu�e puis pratiqu�e avec beaucoup de subtilit�, il la refusera avec force � certains �segments autonomistes� du monde du travail. Ceux qui virent dans son unitarisme syndical un trait de culture antid�mocratique ne semblaient pas mesurer tous les p�rils qu�il y avait � favoriser l��mergence de relais islamistes dans les classes salariales. En pointant de l�index le SIT (Syndicat islamiste des travailleurs), Benhamouda d�signa aux d�cideurs politiques le vivier des futures insurrections. En vain. Le laxisme du pouvoir et sa compromission lui firent vite comprendre que la nouvelle phase du combat r�publicain et pour la d�mocratie exigeait du syndicalisme qu�il se d�termin�t clairement et transcend�t la vocation �triqu�e de la d�fense des int�r�ts de classe. Dans un pays profond�ment fractur� �conomiquement, confiner la p�dagogie et la mobilisation syndicales dans l�inutile pr� carr� des questions sociales n�avait plus de sens ou, du moins, n��tait pas op�ratoire. L�exemple des gr�ves g�n�rales dans un pays �conomiquement paralys� ne pouvait en aucune mani�re perturber la �qui�tude� des d�cideurs. Abdelhak Benhamouda finira alors par mesurer les limites conjoncturelles d�un tel r�le. Sa premi�re grande incursion dans les arbitrages politiques co�ncidera avec les �lections de novembre 1995. Un mois avant qu�il n�apporte son soutien au candidat Zeroual, il affichait un scepticisme d�intellectuel face aux d�clarations d�intention des candidats. Ainsi, le 6 septembre 1995 devant les cadres syndicaux, il s�interrogeait : �(�) Qui parmi les candidats � la pr�sidence repr�senterait le mieux les travailleurs et assumerait leurs droits ?� Vaste et complexe question jet�e alors comme un pav� dans le marigot du microcosme. M�me si a posteriori l�on croit savoir que Benhamouda avait d�j� fait son choix, et que cette interpellation n��tait destin�e qu�� sonder les intentions et les reins des ambitions affich�es, elle r�sumait parfaitement la nouvelle strat�gie du personnage. Rompu � la litote tout autant qu�� la concision oratoire, il posait d�j� en filigrane les deux pr�alables d�un syndicat � un engagement politique. D�abord : quel r�le doit jouer l�UGTA dans une �lection pr�sidentielle ? Ensuite : si l�on admet opportun de se d�terminer par rapport aux enjeux �lectoraux, est-il strat�giquement fructueux d�accorder des soutiens ? Autrement dit, Benhamouda s�inqui�tait des �l�gitimations politiques � arrach�es aux syndicats en d�pit du contexte particulier de 1995. En allant vers Zeroual un mois apr�s cette conf�rence, il admettait que l�Etat en p�ril n�avait pas une autre alternative que de reconduire les artisans d�un premier combat r�publicain. Entre 1995 et le 28 janvier 1997, date de son assassinat, l�on a pu �crire que le syndicaliste avait nourri des ambitions politiques en envisageant la cr�ation d�un parti politique proche de l�ex-pr�sident. Le RND, qui revendique tardivement aujourd�hui sa paternit�, est-il conforme � ce qu�il souhaitait qu�il ressembl�t ? Cet appareil mis en place � la h�te pour g�rer la mainmise sur les APC, APW et APN n�aurait en v�rit� que peu � voir avec les grandes convictions de l�homme. Benhamouda, en �talonnant avec pr�cision les limites du r�le syndical au c�ur du grand bouleversement, voulait r�activer une id�e de Boudiaf. Celle d�un �rassemblement r�publicain� pour faire pi�ce non seulement � un islamisme disqualifi� en 1997, mais �galement � combattre les lobbies d�affaires et les �cabinets noirs� de d�cideurs. Il voulait aller au c�ur du jeu politique pour mieux revenir � son sacerdoce de syndicaliste d�ancienne extraction. Etait-il all� trop loin ?