Marquer une cérémonie du souvenir d'un excès de solennité ne cachait-il pas, du temps de Sidi-Saïd, un réel malaise ou, plus précisément, un cas de conscience personnel de n'avoir pas été à la hauteur de l'héritage politique laissé par Benhamouda à la suite de son assassinat le 28 janvier 1997 ? Tant de fois, hélas, les hommages qui s'étaient succédé jusque-là furent, pour la plupart, des exercices mémoriels d'où le verbiage l'emportait sur l'évocation de son combat syndical. En somme, des oraisons où ne sonnent que des faussetés oratoires afin d'éluder tout ce qui avait trait aux compromissions ayant caractérisé la longue marche (1999 - 2019) d'un faux syndicalisme. Car, enfin, qui parmi les rescapés de l'ère de l'allégeance peut à présent se prévaloir d'avoir gardé intacte et en conscience l'éthique du combat syndical ? C'est que, tout au long de ces vingt années, combien de fois n'a-t-on pas déploré que la dérive de l'UGTA n'avait pas pour origine l'émergence d'une approche doctrinale rénovée mais qui, en vérité, n'est que la conséquence de la régression même du syndicalisme. C'est pourquoi le Benhamouda-alibi doit être mis aux oubliettes afin que la fameuse «centrale» de la place du 1er-Mai d'Alger puisse se reconnaître dans le leader qu'il fut. Autrement dit, ceux qui cette semaine souhaitaient revisiter son parcours ont intérêt à passer sous silence le lyrisme stérile des imposteurs d'avant le Hirak. Loin d'avoir été un zaïm fasciné par sa propre image, ni un doctrinaire obtus et imperméable à la réalité de sa société, il tenait ses aptitudes de son extraction sociale d'abord puis de sa farouche conviction dans la défense des faibles. C'est-à-dire un ensemble de préceptes de la justice pour lesquels il milita et vis-à-vis desquels il fut sans concession. Autant de qualités fortement ancrées dans ses approches qui firent en sorte qu'entre 1990 et 1997, cet homme de rupture parvint à soustraire l'UGTA du ghetto de la sous-traitance politique pour l'imposer directement dans le combat républicain. C'était, par conséquent, à lui que la base syndicale doit tous les changements de perspectives. Car, estimait-il, la résolution des questions sociales ne peut s'accommoder d'un Etat de non-droit là où le bon vouloir des princes qui gouvernent rend aléatoire la moindre conquête. De ce point de vue, il était vite apparu comme le rénovateur du travail syndical et l'initiateur d'une sorte de «parité» avec les autres centres de décision. Laminant, à partir de 1990 (date de son premier mandat), le pesant hégémonisme du pouvoir politique en commençant par immuniser l'UGTA de l'influence des sirènes de la classe politique, il parvint à imposer la «centrale» en tant que partenaire de plein exercice. C'est ainsi qu'il réussira à gommer la détestable image d'une institution croupion qui était auparavant la sienne. Justement, dans la foulée de cette émancipation, il impliquera le monde du travail dans les choix et les débats majeurs tout en refusant de cautionner les archaïques réflexes consistant à anesthésier le poids influent qu'avait acquis la «maison». Cependant, malgré la justesse de toutes ces démarches, Benhamouda se singularisera mais se justifiera par la suite. En effet, en dépit du fait qu'il mettait toujours en avant la nécessité de l'indépendance syndicale, il en vint à la refuser avec force à certains «vecteurs autonomistes» agissant au sein du monde du travail. Ceux qui, dans les années 1992-93, interprétèrent son unitarisme un trait de culture antidémocratique, ne semblaient pas mesurer tous les périls qu'il y avait à favoriser l'émergence de relais islamistes au sein des catégories sociales rarement vigilantes pour contredire les conséquences d'un tel conditionnement. En pointant de l'index le SIT (Syndicat islamiste des travailleurs), Benhamouda alerta alors les décideurs politiques quant au risque de voir le vivier insurrectionnel entrer en action, mais en vain. Le laxisme du pouvoir de l'époque et sa compromission lui firent comprendre que la nouvelle phase du combat républicain exigeait que l'UGTA se déterminât clairement et transcendât de surcroît sa vocation étriquée de la défense des intérêts de classe. Cela voulait dire que la mobilisation syndicale dans le seul pré-carré des questions sociales n'avait plus de sens dans le contexte de la décennie noire ou, du moins, n'était pas opératoire. Un constat qui finira par le convaincre que les enjeux patriotiques appelaient à d'autres résistances. De la première d'entre celles-ci fut précisément son incursion dans les arbitrages politiques qui coïncidaient alors avec les élections de novembre 1995. C'est ainsi que, un mois avant qu'il n'apportât son soutien au candidat Zeroual, il affichait déjà un scepticisme d'intellectuel tellement était-il sollicité par la qualité d'autres candidats comme l'attestèrent ses interrogations devant les cadres syndicaux : «(... qui parmi les candidats à la présidence, leur demandera-t-il, représenterait le mieux les travailleurs et assumerait leurs droits ?» Vaste et complexe choix pour trancher, même si, a posteriori, l'on sut que lui avait déjà fait le sien et que son interpellation n'était destinée qu'à sonder les intentions de ses pairs syndicaux dont il était naturellement le «primus inter pares». Il est vrai que, grâce à l'expérience acquise, Benhamouda excella dans la litote tout autant que dans la concision oratoire. Et c'est de cette manière qu'il sut aborder déjà en filigrane les préalables d'un syndicat par rapport à une élection majeure. Sauf qu'en allant vers Zeroual, il estimait qu'il ne s'agissait pas d'un marchandage politique mais tout simplement d'une nécessité. Mettant en avant le constat d'un Etat en péril après l'assassinat de Boudiaf, il estima impératif de reconduire les artisans du premier combat républicain. Autrement dit, celui de désigner à partir de la caserne le futur Président. C'est pourquoi, dans le contexte de l'époque, il était de ceux qui firent preuve d'une rationalité à toute épreuve. Benhamouda étant de ceux-là, il alla au cœur du jeu politique pour mieux revenir à son sacerdoce de syndicaliste au-dessus de tout soupçon. Etait-il allé trop loin ? Probablement, à moins de vouloir dire qu'il connut le même destin de martyr que le père fondateur de l'UGTA qu'était Aïssat Idir. B. H.