Maintenant que le rideau est tombé sur la Coupe d'Afrique et tout ce qu'on a entendu dans son sillage, il va falloir revenir sur «nos Africains» de tous les jours. Ceux qui soulagent ou ébrèchent la conscience des Algériens, selon le regard de chacun. Avant, on savait qu'ils existaient mais on ne les voyait pas trop. On ne fermait pas systématiquement les yeux mais il arrive quand même qu'on oublie de les ouvrir. D'abord, parce que de longues années durant, nous avons été travaillés au corps sur nos évidences identitaires, sur nos profondeurs naturelles et sur la certitude d'un destin commun. Ensuite, parce que la trajectoire qu'on a fait prendre au pays n'a pas vraiment été un gage de prospérité, nous avions rarement les moyens de notre générosité, prétendument légendaire. Ce qui n'arrange rien, c'est dans la foulée de l'une de nos plus grosses tourmentes, quand l'espoir et la détresse ont entamé un paradoxal compagnonnage, que nos Africains ont fini par se faire un visage pour les yeux ordinaires du plus grand pays... d'Afrique. Les voilà donc, pas à nos portes mais... dans nos rues. Il doit y avoir d'autres raisons mais la plus importante est que c'est tout ce que nous leur avons offert. Le pays officiel n'a jamais pu, su ou voulu mettre la solidarité du discours au diapason de la vraie vie et la société n'a pas été préparée aux élans du cœur face à l'épreuve du terrain. Déjà avant ça, on avait réussi à convaincre jusque dans les pans les moins obscurs du pays d'une foultitude d'atrocités. Les «Africains», les «migrants du Sahel», les «migrants» tout court et d'autres désignations difficiles à formuler tellement elles sont glaçantes, qu'on disait. On nous a dit qu'ils avaient «introduit le sida», une maladie «étrangère à nos traditions et aux prescriptions de notre religion». On nous a fait répéter à beaucoup d'entre nous qu'ils sont derrière tous les foyers de tension dans nos villes frontalières et à la tête de tous les trafics : drogue, prostitution, fausse monnaie, réseaux de passeurs... Et maintenant, ils prennent le travail de nos chômeurs sur les chantiers ! Vous vous rendez compte ? Dans la vraie vie, ils ont fui la faim, la soif, la misère dans toutes ses déclinaisons. Ils ont mis un maximum de kilomètres entre leurs périlleuses traversées - souvent du désert -et des pays invivables de leurs gouvernants. Ils ont envisagé l'Algérie comme une escale humanisée et qui sait, comme terre d'accueil durable. Non, ils ne font pas tous la manche et ne traficotent pas à tout-va. Ils sont sur les chantiers pour les ouvrages les plus pénibles, ils sont dans le petit commerce des petits débrouillards, se sont fait artisans ou trouvé une formation pour les plus chanceux. Il est vrai qu'il est difficile de voir tout ça, tellement on ne leur parle pas ou, plus grave, on «entretient» leur solitude, sans doute le plus terrible de tous leurs cauchemars. Le temps finira sans doute par changer les choses. Le temps que la situation s'améliore pour... tout le monde. S. L.