[email protected] Le politologue fran�ais Luis Martinez vient de verser � l�in�puisable d�bat sur la nature du syst�me alg�rien (en comparaison avec ceux d�Irak et de Libye) une pi�ce, � charge, qui m�rite d��tre connue(*). Dans ce qui s�apparente � un bilan au vitriol, au demeurant pas toujours �tay�, de quatre d�cennies d�exp�rimentations rat�es, d�espoirs d��us et de causes trahies, l�enjeu que repr�sente la capture de la rente ob�it, de l�avis de l�auteur, � un sch�ma g�n�ral de d�pendances qui, avec le temps, vont lui faire changer de mains et de ma�tres, d�une part, de formes, d�autre part. On passe du �mod�le imp�rial� dans lequel les anciennes puissances coloniales se partageaient territoires et ressources en abondance, au mod�le �semi-colonial� au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, �dans lequel les compagnies p�troli�res exploitent les r�serves d�Etats ind�pendants mais � la souverainet� limit�e� (p. 49). La filiation avec le mod�le colonial et les difficult�s qui lui sont li�es � faire �merger de fa�on durable un mod�le national est une hypoth�se bonne � prendre : �Nous faisons l�hypoth�se que la rente p�troli�re a permis de satisfaire un besoin de domination dont la formation remonte � l�occupation coloniale� (p. 63). Un fait r�cent appuie cette relation : �A la fin de la guerre civile, en 1999, les avoirs des milliardaires alg�riens � l��tranger sont estim�s � 40 milliards de dollars� (p. 132). Au plan interne, cette configuration s�est traduite par un r�am�nagement de l�acc�s aux ressources. En quarante ann�es d�existence (1970-2000) l�Alg�rie, la Libye et l�Irak, trois �durs� de l�Opep, trois �r�gimes autoritaires p�troliers�, ont �dilapid� l�essentiel de leurs revenus dans des projets aux cons�quences d�sastreuses. Au cours de ces trente ann�es, la rente p�troli�re a produit �un effet de richesse plus qu�un d�veloppement �conomique�. Dans l�ensemble, l�am�lioration, parfois foudroyante, des indices macro-�conomiques, comme le PIB, ne s�est pas mat�rialis�e par un surcro�t durable de bien-�tre pour leurs populations. Violence, guerre, autoritarisme, pauvret� et �chec �conomique corroborent la th�se du �cadeau empoisonn�, m�me si la corr�lation n�est pas m�canique. La question demeure cependant pertinente : la rente p�troli�re est-elle le facteur explicatif de la trajectoire dramatique de ces pays ou n�a-telle qu�amplifier le potentiel destructif de ces r�gimes ?� Toutefois, rien n�autorise � soutenir qu�ils auraient �t� plus d�mocratiques sans la rente p�troli�re. �L�alchimie politique� r�sultant de la capture de la rente par des �r�gimes autoritaires au potentiel destructeur� qui �reconstruisent dans la violence les ressorts de leur consolidation� fait que, en comparaison avec la Norv�ge et m�me avec l�Indon�sie, pour prendre ces deux exemples, l�exportation des hydrocarbures est pour ces trois pays arabes une mal�diction aux multiples facettes. Mal�diction �conomique, d�abord. �L�Etat qui a pr�tendu au droit exclusif de la propri�t� sur les ressources s�av�re incapable de les faire fructifier et de les redistribuer �quitablement. En faillite, il abandonne les programmes sociaux et laisse le plus grand nombre basculer dans la pauvret� et la pr�carit� (p. 106). Mal�diction politique, aussi. Il existerait un rapport statistique entre la richesse p�troli�re et la long�vit� des r�gimes qui se l�accaparent(**) : �L�accroissement des ressources ext�rieures, et donc de la d�pendance de ces Etats, les a autonomis�s vis-�-vis de leur propre soci�t�, favorisant ainsi le d�veloppement d�une forme de despotisme � (p. 50). Au final, il en r�sulte un �ph�nom�ne d�enkystement de type mafia�, c'est-�-dire d��une organisation susceptible de s�curiser les transactions dans un contexte marqu� par l�absence de protection juridique et par l�arbitraire d�un pouvoir �tatique� (p. 54). L��volution �conomique de l�Alg�rie est ramen�e � trois grands moments, associ�s aux trois chocs p�troliers. La premi�re p�riode qui couvre les ann�es 1973-1986 a pour organes de r�gulation, les services de s�curit�, seule force organis�e : �D�pourvues d�institutions politiques suffisamment consolid�es, c'est-�-dire susceptibles de g�rer cet afflux de revenus, les r�volutions nationales socialistes ont �t� mises sous la tutelle d�officines de s�curit� (p. 24). La seconde p�riode qui s��tale de 1986 � 2003 est qualifi�e de �p�riode de p�nurie o� les maffias ont assum� par d�faut le r�le d�institutions mod�ratrices�. Le contrechoc p�trolier se produit, en effet, dans un contexte de r�formes qui ont favoris� la naissance de �r�gimes maffieux caract�ris�s par une �conomie de pillage�. Par la suite, la d�cennie noire (Chadli) et les ann�es de terrorisme (1991- 1998) vont faire table rase des �acquis� sociaux : �La rente p�troli�re a cr�� une dynamique de d�veloppement qui s�arr�te brutalement. Ne restent plus que des biens vacants usurp�s, terres agricoles d�tourn�es et investissements publics pill�s. M�me la rente p�troli�re, seule source de revenus disponible, va rapidement devenir l�objet d�un pillage organis� et structur�, dans le cadre d�un �capitalisme d�Etat� et au profit d�une �bourgeoisie qui a investi tout l�appareil d�Etat�� (p. 48). La raret� soudaine des ressources et la menace de la perte du pouvoir font �clater les coalitions autoritaires en �groupes dont la loyaut� repose non plus sur la croyance en la r�volution, mais sur des liens d�all�geance clanique et tribale�. Du coup, �les ressorts fondamentaux de ces r�gimes sont mis � nu et r�v�lent la vacuit� des organisations politiques r�volutionnaires � (p. 101). D�sormais, les nouvelles alliances se forment autour du transfert des droits de propri�t� des biens et des services de l�Etat vers le march� : �La mise aux ench�res du patrimoine foncier, immobilier et industriel de l�Etat provoque l��mergence de nouveaux protagonistes et de facto, dans ce nouveau contexte concurrentiel, une flamb�e de violence. La n�cessit� de s�curiser les transactions sur les droits de propri�t� r�alis�es dans le cadre des politiques de lib�ralisation et de privatisation entra�ne l�apparition de v�ritables �maffias�. Celles-ci remplissent une fonction de r�gulation, supplantant en quelque sorte le r�le des organes centraux de s�curit� dans les ann�es 1970. Elles favorisent la recomposition de nouvelles coalitions en vue de capturer, non plus la rente p�troli�re, mais les richesses fonci�res, immobili�res et commerciales que la nouvelle donne �conomique et politique offre d�sormais� (p. 102). Les nouvelles coalitions visent l�acc�s aux ressources ainsi lib�r�es par la transformation des droits de propri�t� sur les terres agricoles, les entreprises publiques, les licences d�importation, l�acc�s aux devises. En r�alit�, il ne s�agit de rien d�autre que d�un �recyclage des investissements de la rente p�troli�re effectu�s pendant deux d�cennies�. S�agissant d�un march� captif, il en r�sulte ce qui s�apparente � une ��conomie PBE� pour : �conomie de pillage, de bazars et d�entrep�ts. Cons�quence : �Compte tenu de la d�vastation des �conomies au cours de cette p�riode (ann�es 1990-ndlr), la relance d�une lib�ralisation �conomique s�apparente � une tentative de r�int�gration des entreprises criminelles� (p. 140). Cette lib�ralisation �n�a pas permis l��mergence de pouvoirs concurrentiels ; elle a davantage favoris� une consolidation des r�gimes autoritaires, r�gimes qui ont d�montr� leur robustesse et provoqu� � �un sentiment d�impuissance quant � leur �volution vers la d�mocratie � (p. 174). La troisi�me et derni�re p�riode � 2003-2008 � correspond � un retour inattendu � une abondance financi�re inesp�r�e, avec une r�conciliation qui s�apparente � �une plaie referm�e sans avoir �t� d�sinfect�e� (p. 150). Faute d�une justice ind�pendante, de partis repr�sentatifs et de presse libre, etc, �les �changes et les n�gociations se r�alisent dans l�arbitraire et l�opacit�, alors que se d�veloppe et s�incruste la corruption �qui remplit une fonction de soupape de s�curit�. En conclusion, hypoth�se fortement contestable, comme si l�Irak avait un r�le axial dans l��volution des trois pays, l�auteur projette qu�elle influe, dans un sens ou dans un autre, sur leur �volution future : si elle ne r�ussit pas sa mutation de d�mocratie p�troli�re, les autres pays rejoindraient le mod�le malaisien, avec pour perspective l�absence de destin�e d�mocratique� compens�e par �la qui�tude d�un environnement s�curis� et relativement confortable�. Sombres perspectives. A. B. (*) Luis Martinez, Violence de la rente p�troli�re : Alg�rie-Irak-Libye, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, col. Nouveaux D�bats, Paris 2010, 229 pages.. (**) Benjamin Smith, Oil Wealth and Regime Survival in the Developing World, 1960-199, American Journal of Political Science, 48 (2), april 2004, p. 212.