Le Soir d'Alg�rie : Qui est Th�odore Monod, et pourquoi lui ? Marie-Jo�lle Rupp : Th�odore Monod, le savant nomade, est n� � Rouen en 1902 dans une famille protestante quasi orthodoxe d'origine suisse (5 pasteurs en ligne directe). Il a h�sit� un temps entre les sciences et la mission pastorale. Finalement, il a opt� pour les sciences naturelles et en particulier l'ichtyologie, la science des poissons. En mission en Mauritanie pour �tudier les p�ches, il d�couvre en 1922 le d�sert. Une rencontre d�terminante puisqu'il fera au cours de sa vie 134 missions scientifiques de trois mois � un an, dont 120 au Sahara. Nomm� en 1943 professeur � la chaire des p�ches d'Outremer, il prendra sa retraite administrative en 1973, mais poursuivra ses recherches et ses missions jusqu'� son dernier souffle � 98 ans. Naturaliste, il excellait cependant dans bien d'autres domaines scientifiques: botanique, g�ologie, pal�ontologie, g�ographie, oc�anographie, pr�histoire, climatologie, arch�ologie, ethnologie... Eclectisme donc d� � son �insatiable curiosit� et � une m�moire ph�nom�nale qui bluffait tous ses interlocuteurs. Il pouvait, disait-on, indiquer spontan�ment dans quel ouvrage et � quelle page se trouvait la citation recherch�e. Savantnomade donc, mais aussi humaniste, militant pour toutes les causes en faveur du respect de la vie, qu'elles soient humaine, animale ou v�g�tale. Lorsque mon �diteur IbisPress m'a sugg�r� de lui consacrer un ouvrage � l'occasion des dix ans de sa mort survenue le 22 novembre 2000, je n'ai pas h�sit� un instant car il �tait � certains �gards dans la lign�e de ces personnages engag�s auxquels je m'int�resse habituellement. La question �tait de savoir sous quelle forme. On ne compte plus les biographies, entretiens, carnets de voyages dont il a fait l'objet. J'ai finalement d�cid� d'orienter mes recherches sous la forme d'une enqu�te aupr�s de ceux, proches ou moins proches, qui l'ont c�toy�. Douze t�moins choisis parmi la famille et les collaborateurs, scientifiques, hommes d'images, militants. A l'issue de ma qu�te, une question essentielle : quelle vision Th�odore Monod avait-il de l'Afrique et quel regard les Africains portaient-ils sur Th�odore Monod ? Dans cette enqu�te sur les traces du savant nomade, je me suis attach�e � cerner le personnage dans toute sa diversit�, mettant en �vidence sa grandeur et son humilit� autant que ses manques et ses faiblesses. Car, m�me si son ami soufi Amadou Hamp�t� B� le d�signait sous le qualificatif de �saint Monod�, ce qu'il aurait contest� d'ailleurs, si exceptionnel f�t-il, Th�odore Monod �tait bien un homme. Ecologiste avant l'heure, militant pour la paix, soutien des peuples nomades, Th�odore Monod �tait plus qu'un savant. Quelles causes d�fendait-il ? Elles sont multiples, trop nombreuses pour �tre toutes cit�es. On ne compte plus les associations, fondations qui ont re�u son soutien. Dans les grandes lignes, rappelons qu'il a milit� pour la paix, donc contre l'armement atomique, pour la protection des animaux, donc contre la chasse, les corridas et les exp�rimentations animales, pour la pr�servation de la nature, la d�fense des sans-logis, celle des peuples nomades. Rappelons aussi qu'au d�but des ann�es 1980, il avait constitu� le Padak, opposition au rallye Paris-Dakar avec l'agronome tiers-mondiste Ren� Dumont et le g�n�ticien Albert Jacquard. Symboliquement, il barrait la route aux 4X4 au d�part de Paris. Il est encore � l'origine de la fondation du parc du Banc d'Arguin en 1976. De fa�on g�n�rale, il a �t� l'homme de tous les combats pour la protection des �tres vivants, celle des d�sh�rit�s et pour l'avenir de l'humanit�. Un aspect assez m�connu de lui, ses liens avec l'Afrique et les Africains. Comment �tait-il per�u par ces derniers ? Cette question, je me la suis effectivement pos�e lorsque, � la recherche de t�moignages, force a �t� de constater que les Africains �taient absents. J'ai en vain tent� d'obtenir un rendez-vous aupr�s de hauts fonctionnaires de l'Unesco, repr�sentants � Paris de quelques pays africains concern�s. Je suis m�me entr�e en contact avec un ethnologue s�n�galais qui a refus� de t�moigner, consid�rant que Th�odore Monod �tait pour lui, ni plus ni moins qu'un �administrateur colonial�, faisant l� r�f�rence � cette p�riode o� il avait assum� les fonctions de directeur aupr�s de l'IFAN (Institut fran�ais d'Afrique noire devenu aux ind�pendances l'Institut fondamental d'Afrique noire) � Dakar. Il faut dire qu'� cette �poque, Th�odore Monod avait une profonde admiration pour les administrateurs coloniaux, son fr�re Sylvain en avait d'ailleurs assum� la fonction en Afrique. A l'heure des ind�pendances, les jeunes chercheurs engag�s le lui avaient reproch�. A contrario, si l'on en croit Christiane Diop, directrice des �ditions Pr�sence africaine, veuve d'Alioune Diop, fondateur en 1947 de la revue du m�me nom, on trouverait aujourd'hui encore au S�n�gal, en Mauritanie, des t�moins toujours �blouis par la pr�sence lumineuse du savant. Quant au g�ologue Jean Fabre, compagnon des missions sahariennes de Th�odore, bien connu des milieux scientifiques alg�riens et dont nous avons recueilli le t�moignage, il rapporte les propos d'un chasseur d'addax crois� sur la route de Taoudenni au Mali. Pour lui, Th�odore Monod, c'�tait un grand marabout, parce qu'il parlait fran�ais et arabe hassania, il lisait la Bible et il connaissait le Coran. Il je�nait toutes les semaines, ne mangeait pas de viande et ne buvait pas de vin. Et puis aussi parce que c'�tait l'ami d'Amadou Hamp�t� B�, que tout le monde connaissait dans le coin. Pour terminer, parce que c'�tait celui qui avait os�, avec trois chameaux, aller de Ouadane � Oualada, traverser la Maj�bat, ce qui n'avait pas �t� fait, 900 km sans eau, sans puits interm�diaire, c'�tait un record. Th�odore Monod a �t� l'un des signataires du Manifeste des 121 pendant la guerre de Lib�ration alg�rienne. Quelles �taient ses positions politiques par rapport � l'ind�pendance de l'Alg�rie et plus g�n�ralement par rapport � la d�colonisation ? Signataire du Manifeste des 121 pour l'insoumission pendant la guerre d'Alg�rie, Th�odore Monod a re�u, le lendemain de la publication du document dans la presse, la visite de la police. Il venait de rejoindre son poste de directeur de l'IFAN � Dakar. A la demande du ministre des Arm�es de l'�poque, Pierre Messmer, son traitement a �t� suspendu et sa signature lui a �t� retir�e, ceci pendant plusieurs mois. D�s les ann�es 1930, sa position vis-�-vis de la colonisation a �t� claire, tr�s lucide : �La colonisation malgr� les grandes phrases de discours naus�eux n'est que la recherche de produits n�cessaires � l'Europe et le r�sultat de la cupidit� commerciale.� Quant � l'Alg�rie, il a d�nonc� en ces termes, dans un article paru dans Afrique nouvelle en 1960, les exactions commises par les arm�es d'occupation, police comprise : �Si les larmes d'un enfant sont plus pr�cieuses que tout l'or du monde, qu'e�t dit Dosto�evki de la fillette rendue folle par le bombardement fran�ais � et chr�tien � des environs de Souk-Ahras, et qui vit, depuis, attach�e � un piquet comme une b�te ? Lequel de nos seigneurs et ma�tres lui rendra ses larmes et sa raison ?� Il a exprim� � travers sa signature du Manifeste non seulement son refus d'une guerre, disait-il �� la fois stupide et atroce, avec l'interminable cort�ge d'horreurs et d'infamies que provoque toute guerre�, mais aussi �(son) indignation, (sa) honte et (sa) douleur�. Peut-on dire que Th�odore Monod aura pass� sa vie � rechercher une petite fleur ? Racontez-nous cette histoire. En 1939, Th�odore Monod est mobilis�. Envoy� dans le Tibesti, � la fronti�re entre le Tchad et la Libye, il est charg� de recueillir des renseignements sur les d�placements des troupes italiennes. Peu passionn� par sa mission, il en profite pour se livrer � des recherches notamment sur les gravures rupestres ou sur les mythiques �meraudes des Garamantes. C'est au cours de ces exp�ditions scientifiques, le 18 mars 1940, qu'il d�couvre une petite fleur inconnue que l'on appellera plus tard, en son honneur, la Monodiella flexuosa. Petite fleur demeur�e depuis introuvable, � la recherche de laquelle il s'est � nouveau attel�, sans succ�s, jusqu'� son dernier voyage. La Monodiella fait partie de ses �graals�, pour reprendre un terme qu'il affectionnait, au m�me titre que la m�t�orite de Chinguetti. Parti � sa recherche en 1934, il n'en viendra � la conclusion officielle de sa non-existence qu�en 1989. Th�odore Monod est mort � l'�ge de 98 ans. Il aura travaill� jusque-l� sans rel�che. Ceci a quelque chose d'exceptionnel. Qu'est-ce qui le faisait courir ? Disons plut�t marcher. La curiosit�, nous en avons d�j� parl�. Ce go�t pour le d�passement, pour l'exploit sportif, cette exigence de ne jamais c�der � la facilit�, de ne pas se galvauder. Cette n�cessit� d'accomplir dans le temps qui nous est imparti une mission sur cette terre dans le souci constant du respect de la vie. Que ce soit, une petite fleur, une m�t�orite, un royaume disparu, Th�odore Monod �tait dans sa qu�te perp�tuelle un chercheur d'absolu. B. A. SIGNET Personnages Marie-Jo�lle Rupp affectionne les personnages qui vivent leurs principes. En les faisant d�couvrir, elle se d�couvre elle-m�me dans son �lan � l��merveillement. Elle a besoin d�admirer les gens qui vont au bout de leur v�rit�, en payant souvent ce chemin. �a avait commenc� par son p�re, le journaliste alg�rien Serge Michel. Elle l�a cherch�, et trouv� un continent, l�Afrique. Puis elle a travaill� sur Claude Vinci, chanteur anticolonialiste, d�serteur pendant la guerre. Elle s�int�ressa aussi � Vign� d�Octon, le p�re de l�anticolonialisme version moderne avant de saisir les traits en marche de Th�odore Monod. Sur ce dernier, elle r�ussit la gageure de trouver un tr�sor de choses int�ressantes � recueillir apr�s tout ce qui a �t� �crit sur lui. Th�odore Monod, Appel � t�moins Comment parler aujourd'hui encore d'un monument tel que Th�odore Monod apr�s tout ce qui a �t� publi� sur lui ? Telle est la question que s'est pos�e Marie- Jo�lle Rupp. Se souvenant que toute v�rit� est la synergie de parcelles de v�rit�s d�tenues par des personnes diff�rentes, elle a pr�f�r� donner la parole � des t�moins. Douze au total. Comme les ap�tres ? Eh bien oui, Th�odore Monod �tant un peu comme ces proph�tes qui arpentent le d�sert en qu�te d'absolu. Douze t�moins, donc, dressent chacun leur segment de portrait qui nous fait entrevoir la complexit� contradictoire du petit bonhomme au bonnet pench� sur son b�ton de p�lerin. Ces t�moins � �Les Monomaniaques�, selon la jolie formule emprunt�e au r�alisateur-cam�lomane Fran�ois Brey � ont chacun un lien soit familial, soit professionnel, soit militant avec ce personnage aux vies kal�idoscopiques qu'�tait Th�odore Monod. Ainsi, son fils Ambroise qui s'est fait un pr�nom dans la sculpture et le R�cup� art, pasteur de son �tat, d�crit le p�re tant absorb� par ses mondes �qu'il ne parlait avec ma m�re, dit-il. Il lui lisait des livres�. B�atrice Monod-Morlot, sa fille, m�decin, garde le souvenir de la tendresse �pistolaire de son p�re, du moins lorsqu'elle �tait enfant. Cette tendresse, sortie des lettres, �tait troqu�e contre une r�serve et une distance qui le caract�risaient. Distance manifeste dans cette lettre plus tardive � l'occasion d'un anniversaire de sa fille devenue adulte : �A B�atrice, mon tr�s amical et reconnaissant souvenir.� Du chercheur sp�cialiste du d�sert, Jacob Oliel, au cin�aste belge Max Dauber, en passant par le photographe du d�sert Jean-Marc Durou ou le cin�aste cam�lomane Fran�ois Brey, sans oublier les scientifiques du mus�um et les militants pour la cause pacifiste ou bien celle des animaux, les t�moignages sur Th�odore Monod s'imbriquent les uns dans les autres pour restituer un personnage chatoyant, tout � la fois savant, aventurier � m�me s'il n'appr�ciait gu�re le qualificatif �, �cologiste avant l'heure, chercheur en laboratoire comme sur le terrain, militant du respect de la vie, blagueur, anticonformiste, croyant fondateur du tiers ordre protestant des Veilleurs, ami des habitants du d�sert... Comme � son habitude, Marie- Jo�lle Rupp a l'humilit� de s'effacer devant ses personnages et son sujet. Mais cet effacement qui constitue son style la rend terriblement pr�sente. A signaler, l'auteur vient de recevoir un prix de l' Acad�mie des sciences morales et politique, prix litt�raire et d'humanisme, pour son ouvrage, Vign� d'Octon, un utopiste contre les crimes de la R�publique, paru en 2009 aux �ditions IbisPress. B. A. Th�odore Monod, Appel � t�moins, Marie-Jo�lle Rupp, ed. IbisPress, 2010. Bibliographie Marie-Jo�lle Rupp est �crivain et journaliste. Elle collabore au Monde diplomatique (litt�rature subsaharienne) et autres m�dias fran�ais et �trangers. Biographe, elle s'est sp�cialis�e dans les acteurs et t�moins de l'Histoire li�s � la d�colonisation en Afrique et en Alg�rie en particulier. Tous ses personnages ont en commun un engagement humaniste et citoyen ouvert sur le monde. Prix de l'Acad�mie des sciences morales et politiques 2010 pour son ouvrage Vign� d'Octon, un utopiste contre les crimes de la R�publique. Marie-Jo�lle Rupp est la fille de Serge Michel. Publications L'Homme qui marchait dans sa t�te, Alg�rie, Litt�rature, Action Editions Marsa, 2005. Le Kabyle qui aimait la mer, chez le m�me �diteur, 2006. Vinci soit-il biographie du chanteur Claude Vinci, pr�face Gilles Perrault, Le Temps des cerises, 2006. Serge Michel, un libertaire dans la d�colonisation, pr�face Jean-Claude Carri�re, �ditions IbisPress, 2007. Vign� d'Octon, un utopiste contre les crimes de la R�publique, pr�face Jean Lacouture, IbisPress, 2009, Prix 2010 de l'Acad�mie des sciences morales et politiques. Th�odore Monod, Appel � t�moins, pr�face Ambroise Monod, IbisPress, octobre 2010. Premier Prix litt�raire Tahar Djaout L�Association culturelle Tussna lance le premier prix litt�raire Tahar Djaout durant l�ann�e 2011. Trois prix seront d�cern�s � cette occasion. Conditions de participation : - Etre �g� de 21 ans et plus. - Il est r�serv� aux auteurs amateurs (d�butants). - L�ouvrage doit �tre remis � l�adresse de l�association : Association culturelle Tussna.15200 A�n-El-Hammam. Ou � d�poser � la maison de la culture Mouloud- Mammeri de Tizi-Ouzou. - Th�me : il doit traiter d�un sujet de soci�t� sous forme de roman ou nouvelles. (Envoi en PDF) et en langue fran�aise. - Date limite fin mars 2011. Nous comptons sur le soutien de toutes et tous pour la r�ussite de cette premi�re �dition, en hommage � l�illustre Tahar Djaout. Association culturelle Tussna 15 200 A�n-El-Hammam Tizi-Ouzou. Alg�rie. T�l. : 07.72.25.44.55 05.59.38.19.89. Email : [email protected].