Par Ahmed Cheniki Chacun y va de son analyse dans ce circuit de la pens�e unique en nous pr�sentant un �printemps arabe� et des �r�volutions� qui n�arr�tent pas de tourner en rond dans un �monde arabe�, rong� par d�innombrables dictatures. A travers deux exp�riences, celles de la Libye et de la C�te d�Ivoire, nous tenterons d�interroger le regard port� sur ces deux r�alit�s par les m�dias et les �lites �occidentales�. Ce qui se passe en Libye et en C�te d�Ivoire n�est nullement surprenant. La lecture de textes publi�s ces derni�res d�cennies donne � voir un racisme ordinaire sous-tendant le discours d�un certain �Occident� sur les Arabes et les Africains. Samuel Huntington, Bernard Lewis, Francis Fukuyama, Zbigniew Brezinski et d�autres auteurs pr�chent une �fin de l�histoire � pr�figurant la pr�sence d�une Am�rique imp�riale dominant un monde transform� en une sorte de bo�te n�olib�rale o� les pays du Sud d�stabilis�s, morcel�s ne constitueraient qu�un simple appendice d�un monde unipolaire r�gent� par les Etats- Unis. Edward Said et Noam Chomsky, reprenant les th�ses anticoloniales de Frantz Fanon, ont tent� de d�monter les m�canismes du fonctionnement de ce discours. Aujourd�hui encore, les traces du discours colonial marquent les pratiques des anciennes puissances imp�rialistes et traversent paradoxalement les textes de certaines �lites des pays anciennement colonis�s. Depuis le d�mant�lement de l�Union sovi�tique, l�id�e de construire un monde s�articulant autour de l�hyper-puissance am�ricaine, dominant tous les espaces institutionnels internationaux (ONU et ONG) fait son chemin. Ainsi, il est question depuis les ann�es 1990 de plusieurs variantes d�un plan r�organisant les relations internationales et restructurant un certain nombre de r�gions. Le �monde arabe� est justement concern� par ce grand chamboulement sociopolitique qui risquerait de le toucher dans son int�gralit�. C�est en quelque sorte l�id�e du Grand Proche-Orient fortement contest�e par les dirigeants arabes au moment o� les dirigeants am�ricains l�avaient �voqu� qui r�appara�t sous un nouvel habillage. Elle est principalement dirig�e contre les int�r�ts russes et chinois que le conseiller d�Obama, Brezinski, d�crit comme les grands ennemis d�une Am�rique appel�e � rester h�g�monique. Ainsi, l�histoire de la Libye commenc�e de mani�re quelque peu suspecte pose s�rieusement probl�me d�autant plus que des man�uvres militaires franco-britanniques auraient eu lieu en janvier 2011, bien avant ce qu�on avait trop vite appel� la �r�volution � libyenne qui avait commenc� le 16 f�vrier, prenant comme espace de man�uvres une dictature du sud de la M�diterran�e. Le 16 f�vrier, des opposants arm�s, soutenus par une partie de la population, manifestent � Benghazi. C�est le d�but du conflit qui allait mobiliser les m�dias occidentaux entrant en guerre contre le r�gime libyen, trait� de tous les noms alors qu�il y a peu de temps, il �tait courtis� par ceux-l� m�mes qui le fustigent aujourd�hui. Ainsi, commence la �r�volution� libyenne qui entache s�rieusement le cr�dit des �r�volutions� tunisienne et �gyptienne, devenues elles aussi suspectes, aux yeux d�un certain nombre d�analystes, y voyant le d�but d�une vaste entreprise de d�stabilisation visant Ce qui se passe en Libye et en C�te d�Ivoire n�est nullement surprenant. La lecture de textes publi�s ces derni�res d�cennies donne � voir un racisme ordinaire sous-tendant le discours d�un certain �Occident� sur les Arabes et les Africains. Samuel Huntington, Bernard Lewis, Francis Fukuyama, Zbigniew Brezinski et d�autres auteurs pr�chent une �fin de l�histoire � pr�figurant la pr�sence d�une Am�rique imp�riale dominant un monde transform� en une sorte de bo�te n�olib�rale o� les pays du Sud d�stabilis�s, morcel�s ne constitueraient qu�un simple appendice d�un monde unipolaire r�gent� par les Etats- Unis. Edward Said et Noam Chomsky, reprenant les th�ses anticoloniales de Frantz Fanon, ont tent� de d�monter les m�canismes du fonctionnement de ce discours. Aujourd�hui encore, les traces du discours colonial marquent les pratiques des anciennes puissances imp�rialistes et traversent paradoxalement les textes de certaines �lites des pays anciennement colonis�s. Depuis le d�mant�lement de l�Union sovi�tique, l�id�e de construire un monde s�articulant autour de l�hyperpuissance am�ricaine, dominant tous les espaces institutionnels internationaux (ONU et ONG) fait son chemin. Ainsi, il est question depuis les ann�es 1990 de plusieurs variantes d�un plan r�organisant les relations internationales et restructurant un certain nombre de r�gions. Le �monde arabe� est justement concern� par ce grand chamboulement sociopolitique qui risquerait de le toucher dans son int�gralit�. C�est en quelque sorte l�id�e du Grand Proche-Orient fortement contest�e par les dirigeants arabes au moment o� les dirigeants am�ricains l�avaient �voqu� qui r�appara�t sous un nouvel habillage. Elle est principalement dirig�e contre les int�r�ts russes et chinois que le conseiller d�Obama, Brezinski, d�crit comme les grands ennemis d�une Am�rique appel�e � rester h�g�monique. Ainsi, l�histoire de la Libye commenc�e de mani�re quelque peu suspecte pose s�rieusement probl�me d�autant plus que des man�uvres militaires franco-britanniques auraient eu lieu en janvier 2011, bien avant ce qu�on avait trop vite appel� la �r�volution � libyenne qui avait commenc� le 16 f�vrier, prenant comme espace de man�uvres une dictature du sud de la M�diterran�e. Le 16 f�vrier, des opposants arm�s, soutenus par une partie de la population, manifestent � Benghazi. C�est le d�but du conflit qui allait mobiliser les m�dias occidentaux entrant en guerre contre le r�gime libyen, trait� de tous les noms alors qu�il y a peu de temps, il �tait courtis� par ceux-l� m�mes qui le fustigent aujourd�hui. Ainsi, commence la �r�volution� libyenne qui entache s�rieusement le cr�dit des �r�volutions� tunisienne et �gyptienne, devenues elles aussi suspectes, aux yeux d�un certain nombre d�analystes, y voyant le d�but d�une vaste entreprise de d�stabilisation visant une r�gion marqu�e par la pr�sence de r�gimes dictatoriaux, facilitant ainsi ces jeux de d�sordre et de massacre. Le temps du �printemps arabe� et de la �r�volution du jasmin�, tels que d�nomm�s par les m�dias europ�ens, se trouve irr�m�diablement suspect�. En C�te d�Ivoire, la France, en terrain conquis, d�cide d�opter pour Alassane Ouattara comme pr�sident alors que la commission �lectorale a donn� Ouattara gagnant et le Conseil constitutionnel a valid� la victoire de Gbagbo. Tout sera fait pour diaboliser Gbabgo et Kadhafi en recourant aux m�mes ingr�dients m�diatiques : WikiLeaks, Internet, Facebook, Twitter, les organisations dites non gouvernementales et une grande armada m�diatique visant � la diabolisation de la cible : �tirs sur la population�, �carnages�, �massacres �, tout cela est rapport� par des �t�moins� qui ont toujours raison quand ils confirment la th�se d�fendue. Les images, � l��re pourtant des nouvelles technologies de l�information, sont absentes. M�me les proches sont stigmatis�s. On recourt � l�antif�minisme en s�attaquant, comme dans France 24, � l��pouse de Gbabgo, Simone, pr�sent�e comme une sorci�re alors qu�elle est une grande femme politique. Le �t�moin� devient le lieu central de l�information. Ce travail de propagande est suppl�� par l�entr�e en lice des puissances occidentales et des organisations de l�ONU, la Cour p�nale internationale (CPI) et les organismes des droits de l�homme instrument�s � cette occasion, apportant une sorte de caution � toute cette entreprise m�diatique qui ne s�embarrasse nullement d�un travail professionnel r�duisant le jeu m�diatique � une seule voix, effa�ant totalement l�autre parole consid�r�e comme trop peu cr�dible, mettant ainsi en p�ril la logique pluraliste et d�mocratique devenant subitement non op�ratoire. France 24, El Horra et m�me la BBC illustrent le discours de leurs gouvernements respectifs, devenant la voix officielle des services secrets et des diff�rents minist�res des Affaires �trang�res. Le discours du ministre europ�en ou am�ricain glisse du style direct � une appropriation pure et simple de cette position par le journaliste. S�ensuit une sacralisation de la parole soutenue par le m�dia et une p�joration du discours des dirigeants arabes ou africains. On sortent, sans r�elles preuves, des sommes faramineuses qui auraient �t� d�tourn�es par Gbagbo et Kadhafi ou d�autres dirigeants. On distille de fausses informations comme celles de la mort suppos�e d�un des fils du dictateur libyen, des n�gociations de Kadhafi et de Gbagbo en vue de leur reddition ou le �d�part� de Kadhafi au Venezuela, vite reprises par la presse mondiale, sans aucune v�rification de l�information. En Alg�rie, El Khabar et Echourouk, trop impliqu�s subjectivement, reprennent docilement des informations souvent trop peu cr�dibles. Subitement, Echouroukqui voyait hizb fran�a partout devient pro-fran�ais. El Watan et El Khabar annoncent dans l��dition du 6 avril le d�part de Gbagbo. Faux, mais les organes de presse alg�riens, surtout Echourouk, ne daignent pas s�excuser aupr�s de leurs lecteurs pour de multiples fautes professionnelles de ce type. La cible est constitu�e d�Arabes et d�Africains, d�j� lieu d�une extr�me diabolisation. Les Libyens de la Tripolitaine (Ouest) et du Fezzan ne sont rien d�autre que quantit� n�gligeable. Comme d�ailleurs les habitants du sud et de l�ouest de la C�te d�Ivoire. Aucun m�dia �occidental� n��voque les dizaines de morts libyens, des deux c�t�s, effa�ant les uns de sa m�moire, au m�me titre que les Tutsis et les Hutus du Rwanda et du Burundi, extermin�s, ou les civils du gouvernement loyal ivoirien. Certaines populations civiles sont dignes d��tre prot�g�es alors que d�autres, d�sarm�es, vivant dans un autre espace, mais ayant parfois le tort de soutenir la partie adverse, sont victimes d�incessants bombardements des �alli�s� et des attaques de plus de 400 chars des insurg�s et de certaines forces europ�ennes se trouvant sur place (M16, forces d�intervention�). C�est une guerre civile entre deux forces militaires. Faut-il attendre la liquidation d�finitive de l�une des deux parties ? De nombreux policiers ont �t� liquid�s dans certaines villes de la Cyr�na�que. La protection des droits humains et des populations est � g�om�trie variable. Comme d�ailleurs la convocation de �la Cour p�nale internationale�, qui, outrepassant souvent ses pr�rogatives quand il s�agit d�Africains et d�Arabes, a la m�moire et les choix tr�s s�lectifs. Pour ce faire, on convoque une �communaut� internationale �, dont on ne parlait pas dans les ann�es 1970 et 1980, la consid�rant, � l��poque, otage de la majorit� des nations si�geant � l�Assembl�e g�n�rale, r�duite tout simplement � servir d�outil d�un �Occident� arrogant et une �Ligue arabe�, essentiellement squatt�e par les pays du Golfe dont on conna�t leur aversion pour les pratiques d�mocratiques. D�ailleurs, lors de la conf�rence de Londres, il n�y avait que sept pays arabes. L�Union africaine (et l�Alg�rie qui a pris une courageuse position dans les deux conflits) qui plaide pour une solution politique, proposant une r�organisation politique de la Libye, dont l�objectif est de mettre un terme � la guerre civile est montr�e du doigt par les m�dias occidentaux, repris par de nombreux titres arabes et alg�riens qui tentent de d�cr�dibiliser le propos de cette instance, n�ayant pas compris les vrais enjeux actuels. Dans tous les cas, la presse �occidentale� d�versant des dizaines de millions de mots, essentiellement par l�entremise de quatre grandes agences et les autres relais m�diatiques comme les t�l�visions, les radios et les journaux, donnent une image n�gative des �ennemis� qu�ils tentent de diaboliser en cherchant � nier jusqu�� leur existence. Ce d�ni de l�autre participe d�une entreprise coloniale et postcoloniale, marqu�e par la pr��minence de la loi de la jungle et la mise en circulation de rumeurs et de fausses informations rarement d�menties. Comme cette rumeur, jamais confirm�e, d�attaques de l�aviation libyenne contre les populations civiles alors que des officiers russes mettent s�rieusement en doute cette th�se, soutenant qu�aucun avion n�avait survol� les zones dont il �tait question. Celles-ci sont reprises sans aucune interrogation critique par l��crasante majorit� des m�dias, y compris par la presse alg�rienne qui reproduit paresseusement le discours dominant � tel point que nous retrouvons les m�mes titres, les m�mes expressions et parfois un certain propos raciste. On fait tout un travail de mise en sc�ne de l�information, privil�giant l��motionnel, convoquant des situations inv�rifiables et excluant tout point de vue diff�rent. Le lexique emprunte de nombreuses formules aux instances politiques et militaires, effa�ant toute distance possible et favorisant la dimension monologale du discours et les jeux de la compassion et de l��motion, mettant en �uvre des relations cathartiques. Quand on �voque la C�te d�Ivoire ou la Libye, on �vite d�inviter sur les plateaux, par exemple, l�avocat Jacques Verg�s ou l�ancien ministre des Affaires �trang�res, Roland Dumas, l�intellectuel, Rony Brauman ou des repr�sentants officiels des deux pays, excluant toute entreprise polyphonique. En Alg�rie, de nombreux journalistes, d�anciens ministres et des hommes �politiques �, m�connaissant tragiquement le terrain, reproduisent des informations non v�rifi�es, construisant leurs propres analyses � partir de faits difficilement acceptables, justifiant une intervention militaire �trang�re qui pourrait engendrer de s�rieux d�g�ts � la s�curit� de notre pays et de la r�gion, oubliant que dans les zones bombard�es se trouvent aussi des civils. La Libye est au c�ur d�une guerre civile opposant deux entit�s arm�es. Ce sont les populations des 120 tribus peuplant ce pays qui continuent � souffrir de ce conflit. On a l�impression que les m�dias encouragent tout simplement la disparition pure et simple de l�autre partie. Aucune distance avec l�objet n�est autoris�e, ce qui exclut toute possibilit� de v�rification de l�information et de questionnement des sources. Les �vidences ont la peau dure. Les Arabes et les Africains seraient des monstres, capables de commettre de terribles crimes. Kadhafi est un Arabe, il ne peut qu��tre monstrueux, psychopathe et m�chant. Comme Gbagbo. Cette structure discursive marque le propos des journalistes qui usent de mani�re extraordinaire d�un langage militaire donnant � voir une logique manich�enne : les bons et les mauvais Arabes, les bons et les mauvais Libyens, les bons et les mauvais Ivoiriens. Al Jazeera ravit la m�daille de ce discours manich�en. Le conditionnel dispara�t quand il s�agit d��voquer les troupes gouvernementales ou les populations de la Tripolitaine, sans �paisseur humaine, ni�es. On �voque des charniers sans preuve. On omet les crimes de l�autre partie. L�exemple de Timisoara (o� on disait qu�il y avait eu dans cette cit� roumaine du temps de Ceausescu un charnier de 70 000 cadavres, ce qui s��tait av�r� faux par la suite) est encore vivace. Les journaux alg�riens, n�observant aucune distance, parlent de �r�volution� et de �r�volutionnaires � � propos des rebelles et de �forces de Kadhafi�, le �clan de Kadhafi� reprenant tout simplement les m�mes d�nominations puis�es dans les m�dias occidentaux ou Al Jazeera et Al Arabiyya, deux cha�nes du Qatar et de l�Arabie Saoudite, deux parfaites dictatures. Toutes les informations sont tir�es des d�p�ches d�agences de presse occidentales officielles et semi-officielles, parties prenantes dans le conflit. La couverture des m�dias occidentaux efface toute possibilit� d�une voix diff�rente. Ce discours monologique est l�expression d�un engagement dans la guerre, d�une prise de parti : �Kadhafi doit partir�, �Gbagbo s�accroche au pouvoir�. Les titres sont souvent des phrases affirmatives donnant � voir l�hyper-subjectivit� du journaliste qui s�implique dans l�action, �vacuant ainsi toute neutralit� op�ratoire : �El Assad tire sur les manifestants �, �El Guedhafi bombarde Misrata�, �El Guedhafi utilise les civils comme bouclier �� Dans ces titres d� El Watan, otage de ses sources trop impliqu�es dans les diff�rents conflits, nulle place � l�interrogation et au doute. Le discours p�jorant et manich�en marque tout simplement la relation des puissances occidentales dominant l�information et construisant ainsi les images que d�autres reproduisent. C�est le m�me sch�ma que nous retrouvons dans la couverture des �v�nements de Syrie, de Libye ou de C�te d�Ivoire, la pr�sence �trang�re est donn�e � voir comme naturelle. Le pr�sident est sujet � diabolisation extr�me. Gbagbo est affubl� de tous les adjectifs n�gatifs alors que les r�sultats de l��lection pr�sidentielle posent probl�me dans un pays d�sormais plong� au m�me titre que la Libye dans une guerre civile provoquant des centaines de morts et mena�ant s�rieusement la s�curit� nationale de puissances r�gionales arabes comme l�Alg�rie et l��gypte. L��thique journalistique est hors-jeu, m�me si on essaie de donner l�illusion du vrai et de laisser en haleine un lecteur-spectateur suivant un feuilleton qui n�en finit pas, mettant en sc�ne les bons et les mauvais bougres. Ainsi, l�Arabe et l�Africain sont consid�r�s comme des �sauvages�, barbares ou anormaux, donc fous. C�est le cas de Saddam Hussein, de Mouammar Kadhafi et de Laurent Gbabgo pouvant commettre les pires crimes. Le lexique animalier vient au secours de certains journaux. L��thique journalistique est hors-jeu, m�me si on essaie de donner l�illusion du vrai et de laisser en haleine un lecteur-spectateur suivant un feuilleton qui n�en finit pas, mettant en sc�ne les bons et les mauvais bougres. Frantz Fanon notait que quand les Europ�ens commettaient des crimes, on parle de �bavures�, mais quand il s�agit des colonis�s, Africains ou Arabes, la chose est diff�rente : �Le peuple europ�en qui torture est un peuple d�chu, tra�tre � son histoire. Le peuple sous-d�velopp� qui torture assure sa nature, fait son travail de peuple sous-d�velopp�. Le peuple sous-d�velopp� est oblig�, s�il ne veut pas �tre normalement condamn� par les �Nations occidentales� de pratiquer le fair-play, tandis que son adversaire s�aventure, la conscience en paix, dans la d�couverte illimit�e de nouveaux moyens de terreur. Le peuple sous-d�velopp� doit � la fois prouver par la puissance de son combat son aptitude � se constituer en nation et par la puret� de chacun de ses gestes, qu�il est jusque dans les moindres d�tails le peuple le plus transparent, le plus ma�tre de soi.� Les jugements h�tifs, le mensonge par omission, le manque de prudence et de distance, l�absence d�un regard critique et de la diversit� des sources rendent suspects des m�dias d�Europe et du Golfe, moins professionnels, s�engageant dans une op�ration de diabolisation de l�ennemi, convoquant deux formations discursives. La parole de l�un est sacralis�e alors que le propos de l�ennemi (Gbagbo ou Kadhafi) est mis en suspicion et en accusation avec l�apport de �consultants� convoqu�s uniquement pour cautionner le discours dominant. Les soutiens des gouvernements en place sont d�consid�r�s, pr�sent�s comme des �mercenaires�. Les mercenaires sont des noirs. Le racisme ordinaire est de mise. La t�l�vision ou le journal deviennent le support privil�gi� de la parole dominante, excluant de fait tout discours appelant � une certaine mod�ration (Union africaine, pays latino-am�ricains, certains Etats arabes, Russie, Chine�), � une v�ritable protection de toutes les populations libyennes et ivoiriennes et � un dialogue politique pouvant mettre un terme � ces guerres civiles entretenues, parce que s�inscrivant dans une sorte d�entreprise coloniale. L�Arabe et l�Africain sont d��ternels barbares, vivant dans un temps mythique, comme l�avait d�clar� le pr�sident fran�ais � Dakar. Le regard reste toujours travaill� par une Histoire trop controvers�e et marqu�e par le discours religieux latent ou explicite. On se souvient de la fameuse �croisade� de Bush, des d�clarations de Berlusconi ou de certains hommes politiques et journalistes europ�ens et am�ricains et les derni�res sorties du ministre de l�int�rieur fran�ais, Claude Gu�ant, stigmatisant l�islam et les musulmans et �voquant une certaine �croisade �. Ce n�est pas du tout nouveau, L�anthropologue Ernest Gellner ne d�clarait-il pas ceci en 1983 : �Les musulmans sont une nuisance. En fait, ils l�ont toujours �t�.� Certes, le propos est � nuancer malgr� les graves glissements s�mantiques investissant le langage politique et id�ologique �occidental�. Les th�ses de Huttington ou de Bernard Lewis, d�ailleurs s�rieusement combattues par le Palestinien Edward Said, privil�gient l�id�e de �conflit des civilisations � et confortent un discours colonial trop empreint par un �occidento-centrisme� qui consid�re que toute r�forme, tout comportement et toute attitude devraient �tre fa�onn�s par l�Occident fonctionnant comme un v�ritable empire, une dictature, certes travers�e par de nombreux conflits d�int�r�ts. Mais il est vrai �galement que les pouvoirs arabes en conflit avec leurs soci�t�s contribuent grandement � la reproduction de ce discours, parce qu�ils estiment que leur maintien d�pend exclusivement du bon vouloir des puissances occidentales. Tous parlent aujourd�hui � l�unisson de �d�mocratie� alors que les m�mes oligarchies gouvernent toujours. Le discours �occidental� sur les Arabes a une histoire qui remonte loin dans le pass� des relations conflictuelles entre ces deux mondes. Les uns et les autres, Occident et Orient, ont int�rioris� des attitudes agressives et des comportements antith�tiques et antagoniques. La colonisation qui reste encore d�actualit� a encore aggrav� s�rieusement les choses, elle a profond�ment confort� et renforc� le discours n�gateur des Arabes. L�Arabe n�a pas de singularit� ni d�identit�, comme celui que tue Meursault de Camus, parce qu�il est tout simplement un Arabe (la majuscule lui sied � merveille). Il n�est plus facile d��tre un Arabe dans le monde d�aujourd�hui, subissant la suspicion de l�Occident et la r�pression des r�gimes en place. Malgr� certains traits constants et invariables, l�Occident n�est pas une totalit�, il est travers� par des courants divers, comme d�ailleurs l�Orient. M�me le �savoir�, dans ces conditions, est instrument� favorisant le regard du centre et d�valorisant les lieux de l�alt�rit�. L�autre est v�cu comme �trange, �tranger et barbare. Ce discours ethnocentriste est souvent int�rioris� par les �lites et les universitaires arabes qui le reproduisent dans leurs travaux et leurs positions, en �vitant de l�interroger tout en reprenant ses grilles et ses jugements, reproduisant, souvent de mani�re inconsciente, une sorte de racisme ambiant et latent. Les r�f�rences exclusivement occidentales et l�usage de grilles, probablement op�ratoires dans les soci�t�s d�origine, peuvent �tre inefficaces dans l�analyse des soci�t�s arabes. L�Arabe et l�Africain sont plus ou moins accept�s s�ils renient leur propre identit�. Mohamed Arkoun l�explique tr�s bien � propos de l��migration : �Les Fran�ais modernes, repr�sentants des Lumi�res la�ques, ont cr�� en Alg�rie le droit de l�indig�nat con�u et g�r� par l��tat r�publicain. L�Autre est ainsi vraiment l��tranger radical, qui ne peut entrer dans mon espace citoyen ou dans mon espace de valeurs religieuses et/ou d�mocratiques que s�il se convertit ou s�assimile, comme on dit encore � propos des immigr�s.� L��Occident�, prisonnier de ses dogmes et de ses croyances originelles, se cherche un bouc �missaire qu�il identifie dans l�islam et le monde arabe install�s dans une posture �ternelle de �terroriste� et d��ennemi�. De nombreux intellectuels occidentaux assimilent trop vite l�Arabe et le musulman � un terroriste en puissance, confondant souvent r�sistance et terrorisme comme si les Europ�ens avaient, eux seuls, le monopole de la r�sistance. L�Europe se fabrique son propre Orient, la violence � fleur de peau et le couteau entre les dents. Elle cr�e un vocabulaire qui serait l�apanage d�Arabes et de musulmans, trop suspects, trop barbares et cherchant � d�truire un Occident en danger devant la menace de gens venus d�ailleurs dont on refuse toute diff�rence et toute reconnaissance. Leur histoire est montr�e comme une succession d�assassinats, de viols et d��v�nements sanglants comme si l�Occident, qui a des millions de morts et d�insupportables tortures sur la conscience, pouvait se d�douaner en cherchant � projeter sa propre violence sur les autres et � effacer des si�cles d�absolutisme, de violences coloniales et d�inquisition. On se souvient de la sortie m�diatique de Silvio Berlusconi, il y a quelques ann�es, sur les �lections en Irak les consid�rant comme susceptibles de sortir les Arabes du Moyen-Age. Il n�y a pas si longtemps, il avait d�clar� que l�Occident �tait sup�rieur � l�islam comme s�il fallait opposer par tous les moyens deux instances religieuses. Le discours des journalistes et des �crivains accompagnant la colonisation se retrouve pris en charge par leurs homologues d�aujourd�hui qui reprennent � quelques virgules pr�s les m�mes expressions et la m�me logique consistant � consid�rer l�entreprise d�occupation comme fonci�rement positive, visant � sortir de la l�thargie et de la barbarie les pauvres colonis�s, trop sauvages pour accepter cet int�r�t d�ordre philanthropique. Certes, la colonisation a pris d�autres formes, plus souples, mais le regard tarde � se transformer. C�est souvent une sorte de non-dit et d�implicite qui marque le discours trop sollicit� par les diff�rentes contingences historiques et religieuses et un imaginaire, produit de constructions fantasmagoriques et mythiques, donnant � voir une image d�form�e de celui qui ne vous ressemble apparemment pas. Jacques Derrida a bien raison de parler de la �d�raison mythique� qui caract�rise ce regard que se portent les uns et les autres, s�excluant et se niant. C�est vrai que parfois, d�s qu�il s�agit de cet �Orient� fabriqu� par l��Occident� en fonction de ses int�r�ts et de ses fantasmes, le discours paternaliste, usant de mots et d�expressions redondants, traverse toute la repr�sentation. Venant de Berlusconi qui semble ignorer les diff�rentes fractures qui ont endeuill� l�Europe, les centaines de milliers de d�port�s et de morts apr�s la Commune de Paris de 1871, l��re du fascisme et du nazisme, produits d�un �Occident� trop s�r de lui qui continue � permettre l�emploi d�un discours anhistorique, la chose para�t normale. Sans parler des exp�ditions coloniales. Sans aller jusqu�au Moyen-Age et aux diff�rentes tendances inquisitoriales caract�risant l�histoire de l�Europe, comme d�ailleurs, celle du �Monde arabe�, trop n�gativement marqu� par les diff�rentes colonisations et les r�pressions continues de r�gimes ill�gitimes trop bien soutenus par un �Occident� qui se souvient de la d�mocratie � des moments pr�cis, c�est-�-dire en fonction de ses int�r�ts imm�diats et de ses calculs g�ostrat�giques. Les affaires libyenne, ivoirienne et arabe de ces derni�res semaines ne sont rien d�autre que l�expression d�int�r�ts pr�cis des puissances occidentales : l�odeur du p�trole, du gaz et de l�uranium est trop forte, surtout aujourd�hui. La g�ostrat�gie dicte sa loi. L�Afghanistan, l�Irak, le Soudan, la Somalie sont revenus � l��re de la pierre, avec des centaines de milliers de morts. Le monde commence � changer, notamment avec l�apparition de nouvelles puissances possibles et le niveau de scolarisation pouvant permettre aux �peuples� de s�armer intellectuellement et de mieux saisir le fonctionnement de leurs soci�t�s. De nombreux hommes politiques et intellectuels europ�ens pensent que le salut viendrait d�une assimilation forc�e du mod�le et du regard �occidental� consid�r� comme seul et unique mod�le universel. Cette �universalisation � muscl�e du sch�ma �occidental �, favoris�e par la puissance militaire et �conomique, est factice et illusoire, produisant un discours double et des pratiques syncr�tiques paradoxales et schizophr�niques, provoquant maints quiproquos et de multiples d�sillusions. Comme l��Occident� a son �Orient�, l��Orient� aussi a fabriqu� son propre �Occident� trop nourri par une histoire souvent conflictuelle et marqu�e par le rejet et l�exclusion de l�Autre, position accentu�e par la colonisation et ses atrocit�s. M�me si les populations arabes qui ont, en grande partie, b�n�fici� de l��ducation et d�une certaine ouverture d�esprit leur permettant de rompre avec le pass� colonial, trop privatif, d�sirent ardemment la mise en �uvre de profondes transformations d�mocratiques, elles s�y refusent d�s que les �Occidentaux� se mettent � proposer des mod�les � suivre. C�est le cas du projet du �Grand Moyen-Orient�. Les t�l�visions �occidentales� emploient souvent quantit� de �sp�cialistes� et d��intellectuels m�diatiques� proc�dant d�une logique de cautionnement du discours dominant et entretenant des discours islamophobes et paternalistes, alt�rant toute possible communication. Cette attitude a �t�, � maintes reprises, d�nonc�e par le sociologue Pierre Bourdieu qui y voyait une grave d�rive et un d�ni de d�mocratie provoquant, par la force de la puissance m�diatique, un dangereux �ordre des choses� naturel : �De toutes les formes de �persuasion clandestine�, la plus implacable est celle qui est exerc�e tout simplement par l�ordre des choses.� Cette id�e de Bourdieu met en pi�ces cette caricature de d�mocratie, lieu central d�une violence double, � la fois symbolique et concr�te. Les puissances �conomiques et financi�res dessinent d�sormais les contours du jeu d�mocratique. Cette d�mocratie �occidentale� est une caricature de la d�mocratie ath�nienne qu�Aristote d�peignait de cette mani�re dans son ouvrage La politique, traduit par les Arabes et d�couvert par l�Europe, au XIIIe si�cle, gr�ce � cette traduction : �En d�mocratie, les pauvres sont rois, parce qu�ils sont en plus grand nombre, et parce que la volont� du plus grand nombre a force de loi.� L�Europe et l�Am�rique veulent faire de la Gr�ce, pour des raisons de commodit� id�ologique et symbolique, leur r�f�rence originelle alors qu�ils l�ont d�couverte tr�s tardivement. Ce n�est pas pour rien que l�offensive contre le r�gime libyen s�intitule : Aube de l�Odyss�e.