Par Zineddine Sekfali, ancien ministre Les peuples tunisien et �gyptien que l�on croyait assoupis et totalement soumis � des despotes orientaux depuis plus de vingt et trente ans, selon chaque cas, ont subitement relev� la t�te, r�cup�rant tous leurs ressorts et retrouvant leurs forces dans leur jeunesse, que nous avons eu beaucoup de plaisir � d�couvrir, gr�ce � Internet et aux t�l�visions �trang�res, remarquablement cultiv�e et fort bien instruite. En quelques semaines et � peine � un mois d�intervalle, ces peuples ont r�ussi, malgr� une r�pression sauvage men�e par les services de s�curit� appuy�s par des repris de justice et des gros bras, � se d�barrasser de deux redoutables despotes. Le tyran libyen, au pouvoir depuis 42 ans, va de toute �vidence les suivre bient�t. Son sort est en effet scell� : sa L�gion �trang�re, sa garde personnelle, sa prog�niture, sa parent�le, sa client�le et sa tribu n�y pourront rien. Avec ces trois pays, tout le monde arabe s�est mis � bouger : c�est la bonne nouvelle de cette ann�e 2011. Or, ce monde arabe est en train de bouger en direction de l�Etat de droit et de la d�mocratie : c�est l�autre bonne nouvelle de l�ann�e ! Ben Ali, Moubarek et Kadhafi, puisqu�il faut les nommer, �taient hier encore des personnages couverts d�honneurs civils et militaires, des leaders magnifi�s, des nationalistes et patriotes attest�s, des r�volutionnaires certifi�s, des politiques infaillibles, des bienfaiteurs du peuple qui leur rendait bien en les pl�biscitant lors de scrutins dont l�issue et les scores �taient connus d�avance par les initi�s du syst�me. Aujourd�hui, ce ne sont plus que des ballons de baudruche d�gonfl�s, des fuyards en rupture de ban, des individus recherch�s comme de vulgaires criminels. Et ce n�est pas fini : d�autres despotes vont suivre. En effet, au moins deux d�entre eux sont d�j� sur la pente savonneuse de la d�ch�ance, apr�s avoir battu des records de long�vit� politique ; l�un est roi on ne sait depuis quand, d�un royaume insulaire et p�trolif�re, l�autre est pr�sident, depuis une quarantaine d�ann�es, d�une r�publique sous-d�velopp�e situ�e sur le territoire de l�ancien royaume de la l�gendaire reine de Saba. Malgr� l�appui �tranger dont b�n�ficie le premier pour cause de p�trole et de proximit� de l�Iran, et quelques fid�lit�s tribales dont peut de pr�valoir le second, ils risquent, tous les deux, d��tre prochainement emport�s par cette b�n�fique �ola de cambio�, comme dit la presse espagnole, ou par cet �trange �effet domino� d�crypt� par certains observateurs politiques et politologues, intrigu�s par les soudaines col�res arabes et les destitutions qu�elles entra�nent, et interpell�s par le fait que ces �v�nements ont les m�mes causes, se d�roulent dans une m�me zone g�opolitique, et ont lieu presque simultan�ment. Difficile de croire qu�une telle unit� des causes, de lieu et de temps � un peu comme cela se passe dans les trag�dies classiques �, est fortuite et que les �v�nements qui se d�roulent sont sans rapport les uns avec les autres. On est tous d�accord pour dire que les situations sont variables et diff�rentes d�un pays � l�autre. Mais il faut aussi admettre que ce qui est bon pour les Tunisiens, les �gyptiens et les Libyens, ne peut �tre que bon pour les Bahre�nis, les Y�m�nites et les autres. En Alg�rie, nous sommes encore nombreux � conna�tre les trois �ex-excellences� qu�on vient de nommer, pour les avoir vus du temps de leur splendeur, effectuer chez nous des visites officielles ou amicales. Ils consid�raient l�Alg�rie, nous disaient-ils parfois, comme �une seconde patrie�. A l��poque, cette petite flatterie ne nous d�plaisait pas, car nous ne connaissions pas la nature profonde de ces despotes et pr�dateurs. Aujourd�hui, rien que le fait de se rappeler ces propos mielleux, remplit de malaise. Ces �ex� venaient souvent accompagn�s de suites imposantes et parfois exotiques. Ils �taient re�us, hospitalit� alg�rienne oblige, avec le faste et l�apparat r�publicains que l�on sait : tapis rouge, rang�es minist�rielles, diplomates align�s, honneurs et fanfares militaires, longs cort�ges, motards chamarr�s et acclamations du bon peuple� De temps � autre, ces gens-l� venaient avec tous leurs homologues tenir des �sommets� � Alger. On am�nageait pour leurs r�unions, du reste plus formelles et protocolaires qu�autre chose, des salles flambant neuf et d�un luxe orgiaque. Le soir gr�ce � notre ENTV nous pouvions encore voir leurs visages, au milieu des tas de fleurs pos�s devant eux peut-�tre pour att�nuer leurs airs hautains, blas�s et ennuy�s. Quelle �tait en effet lourde l�ambiance qui r�gnait dans ces assembl�es ! Tout le monde savait que ces sommets, tr�s co�teux pour le pays organisateur, n�ont jamais servi � quoi que se soit, pas m�me � d�rider Leurs Excellences et Altesses, qui repartaient encore plus f�ch�es et plus divis�es qu�elles ne l��taient � leur arriv�e. Cependant et pour en revenir aux �v�nements actuels, ce qui frappe le plus dans ces coups de col�re soudains qui s��tendent progressivement � d�autres pays arabes, c�est l�apparition d�une sorte de �panarabisme populaire� qui n�a pas d�autre leaders que les peuples, et pas d�autres mots d�ordre que �libert� et d�mocratie�. Sous nos yeux, les peuples de ces pays sont en train d��crire eux-m�mes leur histoire et du m�me coup probablement, le d�but de la nouvelle histoire de cette zone g�opolitique qu�on appelle le monde arabe. Et cela nous exalte. Dans le m�me temps, on constate des faits qui nous affligent profond�ment. Ce qui nous afflige, c�est pr�cis�ment : d�une part, les morts et les ruines que ces chefs d�chus laissent derri�re eux et d�autre part, les relents de pourriture qui se d�gagent d�eux-m�mes, de leurs parent�les et de leurs client�les. Certes, l�histoire du monde fourmille d�exemples de despotes et de tyrans. Sur la seule rive nord de la M�diterran�e par exemple, les trois peuples, italien, espagnol et portugais ont subi la dictature de Mussolini, Franco et Salazar ; ces despotes redoutables ont r�prim� leurs compatriotes, et dans la foul�e, saign� d�autres peuples qui leur �taient totalement �trangers ; ces dictateurs ne diff�rent de leurs homologues de la rive sud de la M�diterran�e que par le fait qu�on ne leur conna�t pas de frasques matrimoniales, de faits de corruption � grande �chelle, de pr�varication g�n�ralis�e, de d�tournements de fonds publics colossaux, de n�potisme et d�actes mafieux. Pendant longtemps, la �communaut� internationale� a fait mine d�ignorer les comportements et malversations des despotes arabes. D�sormais et c�est tr�s r�cent, cela semble faire partie d�un pass� r�volu. En effet, plusieurs Etats (Suisse, Grande-Bretagne, Allemagne, France, �tats-Unis, etc.) ont annonc� qu�ils ont d�cid� de bloquer les comptes et avoirs, non seulement des despotes de Tunis et du Caire en personnes mais aussi de leurs parent�les, et de proc�der � des saisies conservatoires de biens immobiliers leur appartenant. On imagine la panique qui r�gne depuis dans les cavernes de tous les Ali Baba concern�s ! Mieux encore, le Conseil de s�curit� des Nations unies a pris, le 26 f�vrier 2011, une d�cision d�une extr�me importance ; il a en effet d�cid� � l�unanimit� : d�abord, d�interdire � Kadhafi, � sa parent�le et � ses sbires l�acc�s dans les pays membres des Nations unies � donc pas de fuite possible �, ensuite de bloquer les comptes bancaires du p�re, de quatre de ses fils, de son �pouse � en attendant la restitution de ces biens � leurs l�gitimes propri�taires �, et enfin de faire juger Kadhafi et ses complices par la Cour p�nale internationale pour crimes contre l�humanit� ! Saluons ces d�cisions justes de l�ONU et rendons hommage aux Libyens, � la fois pour leur patience, leur courage et leur attachement � la d�mocratie !