Entretien r�alis� par Brahim Taouchichet �L�opposition a mang� son pain blanc, elle a pr�f�r� investir dans le court terme mais pas dans le peuple�, tonne Ali-Fewzi Reba�ne, le pr�sident du parti AHD 54. Il nous re�oit � son tr�s modeste si�ge situ� au centre d�Alger, dans la principale art�re de la capitale, qui a malheureusement perdu son lustre d�antan, grouillante de monde : rue Larbi Ben M�hidi. Ali-Fewzi Reba�ne, moustache et cheveux blancs bien taill�s, costume- cravate de rigueur, se d�fait tr�s vite de sa s�r�nit� et de son calme apparent pour laisser exploser ses col�res, sa passion de la chose politique dans un fran�ais irr�prochable. Ce m�decin-ophtalmologue de 56 ans a d�j� � son �compteur� 25 ans de pratique de lutte politique. Il fait partie ceux qui ont eu � en d�coudre avec le syst�me du parti unique et dont les noms ne brillent pas par leur anonymat. Ils ont pour noms � entre autres � Sa�d Sadi, Ali Yahia Abdenour, Ferhat M�henni, Louisa Hanoune, Mokrane A�t Larbi, Fettouma Ouzegane, Arezki A�t Larbi. Tous avaient �t� accus�s d��atteinte � la s�ret� de l�Etat et d�appel au changement de r�gime� ! �Libert� et d�mocratie� �taient leurs revendications. Aujourd�hui, 30 ans apr�s, c�est toujours leur credo. Toutefois, chacun d�eux emprunte une voie qui lui est sienne et cela met � jour, malheureusement parfois, des antagonismes, des pol�miques voire des accusations d�une extr�me gravit� �balanc�es publiquement�. Ainsi en est-il de la diatribe du d�put� A�t Hamouda (RCD) contre la chef du Parti des travailleurs (PT) et n�anmoins d�put�e elle aussi. Cette g�n�ration de militants que l�on d�signe sous le vocable de d�mocrates s�est structur�e au sein de partis politiques qui partagent quand m�me les m�mes valeurs. Ils ont aussi en commun 20 ans d�action politique � �ciel ouvert� dans le cadre du pluralisme post-Octobre 1988. C�est tout ! Car peut-�tre aussi parce qu�ils se connaissent trop qu�ils ne sont pas parvenus � s�entendre sur une d�marche unitaire laissant les subjectivismes voire les int�r�ts prendre le dessus sur l�id�al commun. Ali-Fewzi Reba�ne ne m�che pas ses mots. Il tire � boulets rouges sur ses anciens camarades de prison, mettant en exergue leurs compromissions avec le pouvoir qu�ils ont combattu ensemble. Visiblement, dans ces d�bats intra-opposition, il y a beaucoup � dire� �Chacun est libre de faire ses choix.� �Je connais un certain nombre d�entre eux. Je suis atterr� de voir qu�ils ne sont motiv�s que par la promotion sociale.� �Pourquoi alors avoir fait de la prison. Du temps du parti unique on nous a dit � tous : venez, prenez tout ce que vous voulez.� Elu secr�taire g�n�ral en 1998, il est reconduit pr�sident du parti AHD 54 en 2002, Ali-Fewzi Reba�ne se d�fend de vouloir s��terniser � ce poste. Deux fois candidat aux �lections pr�sidentielles de 2004 et 2009 (tout comme Louisa Hanoune et Sa�d Sadi), il r�clame le changement du r�gime et non du syst�me. Il se plaint fr�quemment de l�ostracisme dont les activit�s de son parti font l�objet de la part des m�dias lourds notamment l�ENTV. Dans cette sortie m�diatique, dans un contexte r�gional explosif faut-il le rappeler (insurrections populaires dans les pays arabes), le pr�sident de Ahd 54, pousse � l�urgence. Il faut vite aller � une ��lection pr�sidentielle anticip�e, modifier la loi �lectorale de 2007�. Sans complaisance, questions d�actualit�s nationales et r�gionales obligent, le pr�sident du parti AHD 54 a bien voulu se pr�ter � une s�rie de questions-r�ponses et y apporter sa lecture des �v�nements que nous vivons tant au plan interne qu�� l��chelle r�gionale. Le Soir d�Alg�rie : Votre sentiment sur ce qui se passe en Libye ? Ali-Fewzi Reba�ne : Je suis horrifi� mais pas surpris. On ne peut pas passer 42 ans au pouvoir et ne pas s�identifier � un souverain absolu. L�assassin Kadhafi dit que c�est lui qui a construit la Libye. Dans les pays o� il n�y a pas de libert� et de contre-pouvoir, les despotes ont un d�nominateur commun : ils se consid�rent comme les tuteurs de leur peuple, des gens �clair�s et que les richesses du pays sont leur bien personnel Votre lecture des changements en Tunisie et en �gypte ? Cela me fait penser � deux choses. La premi�re, c��tait dans les ann�es 1960. Le processus de d�colonisation �tait port� par les peuples. La deuxi�me, ce sont les droits de l�homme dans le monde. Les despotes qui ne pouvaient ignorer cette exigence, ont cherch� alors � la r�cup�rer (cr�ation de commission charg�e des droits de l�homme). C�est le cas en Alg�rie. Changement de r�gime ou r�volution ? Il s�agit d�un soul�vement des peuples. C�est r�volutionnaire. Il concerne les gens les plus d�munis de la soci�t�. Ce sont eux le moteur, le catalyseur sur lequel viennent se greffer les partis politiques et les autres classes sociales. Vous savez, c�est comme une cocotte-minute qui fait sauter le couvercle. Un pays o� il n�y a pas de libert� et de contre-pouvoir, le despote se consid�re comme le tuteur de son peuple, un �clair� et que les richesses du pays sont son bien personnel. La soci�t� veut en finir avec les despotes, comprendre cette aspiration est fondamental. Observez : personne ne revendique l�Occident, l�Orient ou telle philosophie. La question est ce n�est pas si ce mouvement va tous les emporter. Il faut de la volont� politique de changement qui n�existe pas aujourd�hui au niveau du pouvoir. Le Conseil des ministres prend des mesures qui me font rire et qui dans le m�me temps me font peur. Peur parce que c�est toujours le peuple qui paie la facture des cons�quences des mauvaises d�cisions. Les politiques ne sont pas touch�s, pour eux c�est Moretti, les salons, Club des pins� Pareil pour l�opposition. Ce n�est pas moi qui leur ai dit d�opter pour la promotion sociale. C�est un choix qu�ils ont fait. Pourtant, au d�part, c��taient des gens qui n�avaient pas vendu leur �me. Doit-on se contenter de cette opposition, moi je dis non ! Hamrouche, Mehri, Ghozali se posent aussi comme opposants ! Ils n�apporteront rien. L�homme de la rue ne les conna�t pas ! Dans ce pays, nous n�avons que des devoirs mais pas de droits, sauf ceux que les tenants du pouvoir veulent bien nous octroyer. J�ai �cout� Ould Kablia (ndlr : ministre de l�Int�rieur) : c�est quelqu�un du pass�. Qu�avons-nous � nous dire si demain on se met l�un en face de l�autre ? C�est un moudjahid qui a fait de bonnes ou mauvaises choses. Ce n�est d�ailleurs pas l�objet du d�bat. L�enjeu ce sont les 36 millions d�Alg�riens. O� veut-il nous mener ce pouvoir ? Si c��tait des gens capables, pourquoi pas. Mais ils ont eu suffisamment de temps pour montrer leur incomp�tence. Combien de temps vont-ils encore rester ? Vingt ans ? Cela me fait peur. Aujourd�hui, nous devons aller vers un processus de changement. Demain, cette br�che ouverte par les mouvements populaires dans le monde arabe va se refermer. Je ne m�inscris pas dans le d�bat Bouteflika, arm�e, DRS. Cela ne m�int�resse pas. Ce qui m�inqui�te c�est de quoi seront faits nos lendemains. Les �v�nements de Tunisie ont montr� que ceux qui nous gouvernent appartiennent au pass�. Je suis fils de chahid. Mes a�eux se sont sacrifi�s pour ce pays, mes grands parents aussi. Quant � moi, en mon �me et conscience, je me bats sans calcul. Je fais de la politique, je ne suis pas pay� par le parti. Je ne profite d�aucun avantage mat�riel. Je connais un certain nombre d�opposants au r�gime qui sont venus � la politique pour se faire un nom, pour la promotion sociale. Ils auraient pu faire l��conomie de ne pas faire de la prison ! Ils �tait avec Bouteflika comme aujourd�hui Louisa (ndlr : Sadi que Reba�ne ne cite pas). N�est-ce pas un d�nominateur commun ? Pourquoi cette pol�mique RCD-Parti des travailleurs (PT) ? Je connais bien Louisa, elle n�est pas ce qu�elle dit et l�autre aussi. Elle est libre de choisir son camp et lui le g�n�ral Toufik. Cette pol�mique n�est � l�honneur de personne. C�est pour cela que je dis que l�opposition alg�rienne a mang� son pain blanc parce qu�elle a investi dans le court terme. Pour ce qui nous concerne nous avons choisi le peuple. Nous sommes � la crois�e des chemins et je n�ai pas le sentiment que l�on a conscience des dangers. La suffisance des tenants du pouvoir m�inqui�te au plus au point. Cela fait quinze ans que �a dure. Sans les �v�nements de Tunisie, c�est la voie ouverte � un quatri�me mandat, le FLN jusqu�en 2030. Le peuple ne compte pas. Ironie de l�histoire, ceux qui nous ont impos� ce syst�me en sont eux-m�mes des victimes. Qu�ils se bouffent entre eux ! Et si �a tourne mal, ils s�en iront dans un autre pays. Nous, nous n�avons pas de pays de rechange ! Ou bien on d�veloppe ce pays ou bien on coulera avec. Il faut vite lancer le processus de changement, le temps presse. Je dis aux d�cideurs : si vous avez des gens meilleurs que nous, alignez-les et laissez le peuple trancher dans des �lections libres et transparentes, supervis�es par de observateurs internationaux et garantissez l��galit� d�acc�s dans les m�dias. On parle de huit cents morts en Tunisie et les 200 000 morts chez nous : qui en est comptable ? Cela fait quinze ans que �a dure. Sans les �v�nements de Tunisie c�est le quatri�me mandat, le FLN jusqu�en 2030. Ahd 54 entend donc faire cavalier seul ? L�opposition doit �tre repens�e, reconstruite. Les hommes providentiels n�existent plus. Nous sommes un pays de un million et demi de martyrs. Cela veut dire que nous avons une culture de lutte politique. Ahd 54 n�est pas le parti providentiel. Je revendique l��galit� de chances pour tous les partis. Que l�on aime ou pas ce pouvoir , je dis que nous ne sommes pas des ennemis mais des adversaires. Nous ne sommes pas l� pour r�gler nos comptes, nous avons d�autres pr�occupations. On reproche aux hommes du syst�me leur �ge avanc�, leur long�vit� au pouvoir. N�en est-il pas de m�me pour les partis politiques ? Me concernant, il faut une rel�ve qui doit appara�tre. Je n�ai pas l�ambition de mourir pr�sident de Ahd 54. Il y a des hommes et des femmes aussi valables. On sera oblig� de passer le t�moin. Je serai peut �tre plus efficace ailleurs. On ne ressemble pas au syst�me. J�ai 56 ans dont 25 de lutte politique. La vraie question ce sont les gens de Novembre qui sont encore � la t�te de l�Etat et qui nous repr�sentent. Je leur dis merci pour tout ce que vous avez fait de bon ou de mauvais, mais vous avez montr� vos limites. Vous appelez � des �lections pr�sidentielles anticip�es et la non-repr�sentation du pr�sident actuel au scrutin Il faut l�alternance. La priorit� des priorit�s c�est de changer la t�te. Nous sommes dans un r�gime pr�sidentiel. Le changement oui, mais aujourd'hui pas demain, car apr�s il sera trop tard. Demain ce sera d�autres revendications. Le peuple sortira dans la rue... accaparera tous les pouvoirs. C�est par l� qu�il faut commencer. Que ce pr�sident ne doit pas se repr�senter ce n�est pas par esprit de vengeance. La Constitution doit �tre amend�e ainsi que la loi �lectorale de 2007 qui produit deux coll�ges politiques en Alg�rie. Comme c��tait le cas � l��poque du colonialisme, il y a ceux d�en bas et ceux d�en haut. Parmi les partis politiques, il y a ceux qui ont eu 3 000 000 voix lors des consultations �lectorales et ceux qui ont obtenu moins. De plus, on sait que ces �lections sont toutes entach�es d�irr�gularit�s. Pour preuve, lorsque des observateurs �trangers demandent � ceux qui nous gouvernent si l�Alg�rie ne vas pas suivre l�exemple de la Tunisie et de l��gypte, ils n�ignorent pas que le pr�sident a �t� pl�biscit� de 90,24% des voix dans le scrutin de 2009 et que le peuple l�aime. Cela veut dire que m�me eux savent que ces �lections sont entach�es d�irr�gularit�s. Ils n�en font m�me pas r�f�rence ! Pourquoi ne pouvons-nous pas discuter directement avec ces gouvernants et qu�ils s�expriment face au peuple sur les grands projets. A quoi a servi l�argent dans un d�bat contradictoire ? L�ouverture du champ audiovisuel ? C�est la garantie des droits. Il y a beaucoup de comp�tences en Alg�rie � qui il faut faire confiance. On ne peut pas sortir du parti unique pour le pluralisme avec les m�mes personnes. Aujourd�hui, il y a une autre g�n�ration de 15,18, 25 ans qui a d�autres aspirations. Comme les personnes de ma g�n�ration, nous comprenons que l�Alg�rie a d�autres enjeux, que le monde se transforme � la vitesse grand V. Mais pas les gens de Novembre. Ils sont bloqu�s. Ils en sont toujours � la r�volution agraire, au souk-el-fellah, socialisme� Ils sont d�pass�s, finis. C�est comme qui dirait que la t�l�vision est l�anc�tre d�internet. C�est un fait, il n� y a rien � d�battre. Le changement, c�est aujourd�hui qu�il l�entamer pas demain, car il sera trop tard. Demain ce sera d�autres revendications. Le peuple descendra dans la rue, c�est in�luctable. Ce syst�me ne veut pas d�un contre-pouvoir et donc pas de soci�t� civile, pas d�associations, pas d�espaces d�expression politique. Et ce sera alors la Tunisie, la Libye.