Par Brahim Taouchichet Sale temps pour le pouvoir. Le printemps 2011 fait �clore les graines de la contestation populaire encourag�e par un contexte r�gional insurrectionnel o� les r�gimes arabes en place depuis des d�cennies, pris � la gorge, sont somm�s de vider les lieux. Pas moins ! Ils n�ont plus que leurs yeux pour pleurer ce qu�ils n�ont su g�rer comme dirigeants �clair�s et unis � leurs peuples. Ben Ali, Moubarak, Ali Saleh, Kadhafi. A qui le tour, serions-nous tent� de dire tant les candidats au purgatoire sont nombreux. La vague de changement est inexorable. Au-del� du pr�sident ou monarque, c�est le syst�me dont il est ardemment question de mettre � bas. La d�termination des instigateurs des manifestations pour le changement rencontre un large �cho qui s�amplifie � chaque mesure de r�pression. Les r�gimes contest�s sont leur propre fossoyeur du fait de leur essence impopulaire et corrompue. C�est in�luctable vu la logique de l�engrenage manifestation- r�pression, pi�ge dans lequel tombent invariablement les r�gimes contest�s. L�exception alg�rienne ? Qu�en est-il en Alg�rie qui n�est ni la Tunisie, ni l��gypte, ni� ni� affirme-t-on. La controverse n�e de cette appr�ciation continue d�alimenter le d�bat, voire la pol�mique sur �l�exception � alg�rienne. Pourtant, la sc�ne politique nationale vit une effervescence sp�cifique aux grands �v�nements. Pour certains analystes, tout concourt � un embrasement g�n�ralis� qui emporterait le syst�me, sinon le pouvoir en place. Cr�� en janvier dernier, un comit� (la CNCD) constitu� de trois partis, d�associations et de personnalit�s d�ob�dience d�mocrate, tente de donner le coup de starter � un mouvement qui ferait tomber le syst�me. La cl� serait dans les marches notamment � Alger � vitrine d�entra�nement � pour les autres villes. Malgr� leur emp�chement par les forces de police, elles obtiennent un franc succ�s au d�part. Mais cette premi�re confrontation avec le syst�me va tr�s vite montrer � chacune des parties (pouvoir et opposition) � quoi s�en tenir. D�s lors, si pour les animateurs de la CNCD, il s�agira de radicaliser le mouvement de contestation du syst�me (�syst�me d�gage�), pour le pouvoir, �a n�a rien d�un jeu et va donc tout mettre en �uvre pour �tuer� cette protesta avant qu�elle ne fasse tache d�huile. Main de fer dans un gant de velours, l��preuve de force est d�sormais engag�e, la guerre d�clar�e. Snipers politiques Pas question de c�der du terrain, aucune marche ne sera autoris�e quand bien m�me l��tat d�urgence est lev� : attaques en r�gle contre la CNCD et sa composante la plus m�diatique, le RCD de Sa�d Sadi, qui seront mis dans le collimateur des snipers politiques. Bien plus, des membres du gouvernement montent au cr�neau et de leur bouche fusent des d�clarations assassines. Mourad Medelci, le ministre des Affaires �trang�res, d�clare minoritaires les manifestations tandis que son coll�gue Sa�d Barkat se laisse aller � de graves insinuations sur les origines du chef du RCD ! D�autres moyens seront mis en �uvre pour �casser� ou tout le moins discr�diter les marcheurs du samedi. Passons sur les perturbateurs mobilis�s en la circonstance, les calomnies distill�es par des officines secr�tes et d�autres. La CNCD ne l�chera pas prise et cherchera au contraire � mobiliser de plus larges couches de la population pour un �changement pacifique� comptant de la sorte enclencher une lev�e en masse. En d�pit de plusieurs actions dans ce sens, �la mayonnaise ne prendra pas�, se d�sole un d�put� RCD. Bien plus grave, la Coordination va �clater en deux tendances, l�une, CNCD �Barakat� plus radicale, chapeaut�e par le parti de Sadi, et l�autre men�e par Mostefa Bouchachi, pr�sident de la Ligue alg�rienne des droits de l�Homme (LADDH). Ma�tre Ali Yahia Abdenour, pr�sident d�honneur de cette m�me Ligue, pr�f�rera la tendance Sadi. Il ne faut pas �tre dans le secret du s�rail pour penser que c�est l� le r�sultat du rapport de force engag� par le pourvoir contre une CNCD par trop bruyante et mena�ante pour l�ordre �tabli. Diviser pour r�gner, visiblement le but est atteint. Que veut Mostefa Bouchachi ? Pour enfoncer le clou, Mostefa Bouchachi appara�tra dans toute sa nudit� quand il organise son meeting (au lieu d�une marche) dans une salle Atlas (Bab-El-Oued, Alger) clairsem�e, comme pour prouver que le mouvement de revendication pour le changement et la d�mocratie est bien mort ! A ce propos, la couverture scandaleusement r�ductrice de la t�l� (ENTV), comme c�est le cas d�ailleurs pour toutes les marches, est affreusement �loquente. Chapeau ! Comme travail de destruction on ne peut faire mieux. Ainsi, si les tenants du pouvoir peuvent se targuer d�avoir gagn� une manche dans cette confrontation, la bataille ne fait pourtant que commencer car le syst�me est en butte � une agitation permanente, cr�ant une instabilit� dangereuse pour la conduite des affaires de l�Etat. Le r�pit apparent qu�il arrache � l�opposition, somm�e quant � elle de reconsid�rer sa strat�gie, est de courte dur�e. La citadelle Syrie est en proie � une mise en cause d�une extr�me ampleur et peut tomber d�un jour � l�autre. Chloroform�e par un parti Baath oppressif et h�g�monique jusque dans leur vie priv�e, les Syriens se dressent enfin pour mettre un terme � tant d�injustices. Le pouvoir aurait bien voulu faire l��conomie d�un nouvel avertissement venant de ce lointain pays arabe du Levant! Il reste que sous la braise, le feu est ardent. Toutefois, habitu� aux pires menaces (Printemps berb�re, Octobre 88, arr�t du processus �lectoral, d�cennie noire, affaire des moines de Tibehirine et le �qui-tue-qui ?�, affaire Mohamed Ziane Hasseni, directeur de protocole au minist�re des Affaires �trang�res), le syst�me d�veloppe une extraordinaire capacit� d�adaptation et finit par reporter les �ch�ances sinon les contradictions qui le minent. Aujourd�hui, il veut tourner la page des marches initi�es par la CNCD originelle. Ainsi, il va sortir le grand jeu dont lui seul a le secret, quitte � faire enrager encore plus une opposition en qu�te d�un sursaut dans un champ de confrontation que lui impose le syst�me. Il va donc puiser dans ses ressources pour se refaire une virginit� ou se restructurer pour s�adapter dans le nouveau contexte induit par la mondialisation et les r�voltes dans les pays �fr�res�. Il organise la riposte dans trois directions essentiellement. Au plan de l�information, pas question de c�der l�espace � des voix discordantes malgr� les promesses d�ouverture. On ne donne pas le b�ton pour se faire battre ! En l�absence de garanties politiques cr�dibles, pas de radio ni t�l� priv�es. Avec la loi sur la lib�ralisation de la presse �crite priv�e, c�est visiblement �chat �chaud� craint l�eau froide � quand bien m�me cela lui assure une fa�ade d�mocratique par l�entremise d�une libert� somme toute formelle. De l�argent pour noyer la contestation politique Une forme de r�cup�ration politique. Malgr� le faisceau d�attaques dont il est de plus en plus l�objet, il ne s�en �meut pas pour autant. Gr�ves r�currentes, sit-in permanents des travailleurs tous secteurs confondus, c�est � croire que le syst�me trouve un certain confort � g�rer plut�t les revendications socioprofessionnelles gr�ce aux fonds que procure la rente p�troli�re. Une d�marche dont il esp�re tirer des dividendes en noyant la contestation politique dans les augmentations des salaires. Toutefois, les appels d�air suscit�s par ces concessions cr�ent une spirale sans fin, dangereuse. Mais le but n�est-il pas de gagner du temps encore et toujours ? Ainsi, face aux revendications de changements de plus en plus fortes, le syst�me fait appel � ses relais appel�s � occuper le terrain et faire passer le message de changement qu�il initiera lui-m�me ! Et c�est dans la tradition car, hors du syst�me, point de salut ! Sinon comment expliquer la r�apparition tonitruante d�un Khaled Bounedjma de la Coordination des enfants de chouhada ? Mais il n�en demeure pas moins que la probl�matique de changement du syst�me en crise est d�sormais bien ancr�e dans l�esprit des Alg�riens. Et c�est incontournable. Pour pr�venir la vague de fond de la contestation, Bouteflika a �voqu� r�cemment de �nouvelles r�formes politiques globales�. Promesse qui laisse sceptique quand on sait la controverse provoqu�e par le nouveau code �lectoral d�cri�, voire rejet� par les d�put�s. Pas de partage de pouvoir, place � une plus grande centralisation. D�o� la question sur les capacit�s du syst�me � se r�former par lui-m�me. Mehri-A�t Ahmed au secours de Bouteflika Pour nombre de contradicteurs, le constat est d�finitif : le syst�me en panne d�imagination ne peut plus rien proposer et doit donc naturellement partir, comme c�est l�avis de Fewzi Reba�ne, le pr�sident du parti AHD 54. Une attaque frontale qui fait violence � la g�n�ration de Novembre. Rappelons d�ailleurs qu�elle est aussi venue d�une personnalit� �trang�re en la personne de l�ancien ministre des Affaires �trang�res fran�ais Bernard Kouchner qui affirme : �La g�n�ration de l'ind�pendance alg�rienne est encore au pouvoir. Apr�s elle, ce sera peut-�tre plus simple.� Cette d�claration est vue comme une ing�rence et l�incident diplomatique est �vit� de peu ! Mis � mal � l�ext�rieur, contest� par une opposition d�termin�e, le syst�me s�ent�te, fait la sourde oreille et cherche un second souffle en mobilisant ceux qui cherchent le changement de l�int�rieur. Abdelhamid Mehri, anciennement secr�taire g�n�ral du FLN, donne le �la� et rassure les novembristes dont il est issu, affirmant sa pr�f�rence � des r�formes avec Bouteflika. Le patron du FFS, inqui�t� par les difficult�s du s�rail qu�il conna�t parfaitement, rejoint Mehri dans une sorte d��change �pistolaire sous la forme d�un manifeste qui reprend les vieilles id�es du FFS dont l�assembl�e constituante. Mais son vieux compagnon de route (Sant�Egidio, notamment), ma�tre Ali Yahia Abdenour s�inscrit en faux. Il r�clame, lui, un changement de l�ext�rieur : �Syst�me d�gage.� L�aile de la CNCD dont il fait partie confirme cette position radicale en adoptant une plate-forme pour �mettre fin � l�autocratie install�e dans le pays depuis 1962�. Elle pr�conise une phase de transition qui sera g�r�e par un CNTD (conseil national de transition d�mocratique), v�ritable gouvernement provisoire qui aura � pas moins � sous sa coupe l�arm�e et les services de s�curit�. Proposition qui rappellerait la plateforme du CCDR (Conseil de coordination d�mocratique et r�publicain) du 16 avril 2001 qui en r�clame la paternit�. Son bureau national rappelle que dans son manifeste, �il pr�ne la double rupture et avec le syst�me et avec l�int�grisme� mais dans une �d�marche pacifique�, car �il a toujours attir� l�attention sur une issue brutale et violente de la rue, la rue devenant le seul recours��. Interdiction des marches faisant, la rue ne r�agit pas en masse aux appels pour le changement du syst�me qui dure et perdure. Pour combien de temps encore ? Tenter d�y r�pondre, c�est se perdre en conjectures tant les Alg�riens semblent r�fractaires aux sch�mas classiques des insurrections populaires r�ussies. Ph�nom�ne des villes ? En Tunisie et r�cemment en Syrie, le vent de la r�volte a souffl� de l�int�rieur du pays. En Alg�rie, la campagne a port� la r�volution du 1er Novembre 1954. Le changement est � venir, promesse pour tous les espoirs dans une matrice d�impatience.