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L'Afrique, le clan et la camisole
L'AUTRE REGARD
Publié dans L'Expression le 15 - 02 - 2007

L'épisode électoral congolais de ces derniers temps met en lumière la fragilité des expériences démocratiques en Afrique noire.
L'Afrique ne semble pas avoir pris le départ. Elle végète dans ses contradictions, ses conflits internes et ses guerres sans fin, à l'exemple de l'intervention éthiopienne en Somalie. Que de tragédies connait depuis les indépendances ce continent tant convoité. Que pourrait donc apporter un énième sommet comme celui d'Addis-Abéba par exemple?
L'épisode électoral congolais de ces derniers temps met en lumière la fragilité des expériences démocratiques en Afrique noire et révèle les pesanteurs ethnocentriques et les relents xénophobes marquant le territoire politique. Les choses ne sont pas simples. Ainsi, la parenthèse sénégalaise qui a vu le longiligne Abdou Diouf, prendre gentiment la porte de sortie sans grand bruit et en félicitant, à contre-coeur évidemment, le vainqueur, est tout simplement singulière dans un continent où les espaces claniques et ethniques déterminent toutes les fantaisies politiques. Mais ce qui se passe en Côte d'Ivoire, un pays longtemps dirigé par Félix Houphouët-Boigny qui a même eu le culot de déplacer la capitale du pays dans son village, Yamassoukro, est symptomatique de la réalité des pouvoirs militaires et civils d'après les indépendances et des jeux politiques malsains. Quand le général Robert Guei a renversé l'ancien président de l'Assemblée nationale de Houphouet-Boigny, tous les opposants l'avaient soutenu, lui qui avait une revanche à prendre sur les civils, d'autant plus qu'il avait été révoqué en janvier 1997 par Henri Konan Bédié, alors président de la République, de son poste de chef d'état-major de l'armée pour avoir refusé d'intervenir pour arrêter le «boycottage actif» des élections présidentielles d'octobre 1995, décidé par les partis d'opposition, notamment des chefs charismatiques connus comme l'ancien premier ministre, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, secrétaire du Front populaire ivoirien, proche des socialistes français qui font tout pour qu'il accède à la magistrature suprême.
Mimétisme
Aujourd'hui, ce qui se passe en Côte d'Ivoire où la fièvre xénophobe a atteint des degrés inimaginables, où les hommes au pouvoir appellent, ouvertement, à une sorte de purification ethnique, au nom d'une mythique «ivoirité» où les frontières sont traversées par des paysages ethniques et claniques. Robert Guei, en bon militaire africain, ne peut facilement abandonner les délices du fauteuil présidentiel à cet ancien opposant, Laurent Gbagbo, patron du Front populaire ivoirien, membre de l'Internationale socialiste qui a remporté cette élection après avoir, comme Abdoulaye Wade, longtemps attendu son tour. Certes, le général Guei a tout essayé pour remporter cette élection, tout d'abord en éliminant deux adversaires sérieux de la course, Ouattara et Bédié, en confectionnant un code électoral sur mesure, comme d'ailleurs Bédié et en cherchant ensuite à faire pression sur les électeurs qui ne se sont pas déplacés massivement.
Mais quels que soient les événements, les derniers changements opérés en Afrique sous la pression des transformations internationales, des organisations financières internationales (FMI et Banque mondiale) et de certains pays occidentaux, enclins aujourd'hui à exiger un certain «vernis» démocratique, les choses sérieuses, trop têtues, ne semblent pas évoluer dans le bon sens. Jusqu'à présent, les anciennes puissances coloniales font et défont les politiques africaines. Tout le monde connaît l'extraordinaire influence d'une société française, Elf, dans le fonctionnement des «institutions» de ces pays. Combien de coups d'Etat avaient été fomentés à partir de Paris, de Bruxelles et de Londres? Aujourd'hui, les révélations se font trop insistantes. On sait, par exemple, que c'est le gouvernement belge qui a été à l'origine de l'assassinat de Patrice Lumumba, ancien premier ministre du Congo, remplacé par Mobutu qui était devenu non fréquentable pour les chancelleries occidentales, décidant enfin de mettre un terme à son règne. Les tensions interethniques sont souvent encouragées dans des périodes de crise et de conflits par les capitales européennes qui défendent tout simplement leurs intérêts au détriment d'une Afrique qui n'est jamais partie, contrairement à ce titre d'un ouvrage de René Dumont, «L'Afrique Noire est mal partie», écrit vers le début des années soixante.
Une légère virée dans l'Histoire récente de cette région de l'Afrique nous renseignerait sur les derniers changements «démocratiques» dictés par un mythique désir d'imiter le modèle occidental. Ce mimétisme aberrant traverse les élites africaines qui, souvent, ont subi les pires brimades de dictateurs installés à la tête de ces pays, après les fausses indépendances octroyées après la mascarade du référendum de 1958 mise en scène par Charles de Gaulle qui voulait lier éternellement l'Afrique à la France. Seule la Guinée de Sékou Touré avait refusé ce statut d'assisté permanent. Les territoires d'outre-mer (T.O.M.), issus de la Constitution de 1946 étaient pourvus d'assemblées territoriales marquées par l'existence d'un double collège où, paradoxalement, les Africains étaient minoritaires. C'est d'ailleurs dans ce vivier que vont être recrutés les nouveaux dirigeants africains qui vont sévir dans leurs pays en emprisonnant et en liquidant les opposants, en instituant le système du parti unique et en verrouillant toute possibilité d'expression. Ainsi, allaient se mettre en oeuvre deux groupes de pays, l'un emprunta un jargon «socialiste» (Mali, Guinée, Bénin, Congo, Madagascar...) et l'autre un vocabulaire «libéral» (Sénégal, Cameroun, Côte d'Ivoire...). Mais il reste qu'ici et là, aucune ouverture démocratique n'était permise. Ce qui ne dérangeait nullement l'Occident, sourd aux nombreux appels de certains intellectuels africains peu enclins à collaborer avec des dictateurs qui n'arrêtaient pas de stigmatiser les pouvoirs en place trop corrompus et incompétents. Mais les affaires sont les affaires.
Ni Senghor, ni Modibo Keita, Ahidjo ou Houphouet-Boigny ne pouvaient tolérer une quelconque contestation. L'exil devenait l'espace privilégié de certaines élites qui se mettaient, à partir de l'étranger, à vilipender les dirigeants et le néo-colonialisme et à dénoncer le parti unique et la corruption. Ainsi, de nombreux écrivains comme Sembène Ousmane, Mongo Béti, Sony Labou Tansi, Ahmadou Kourouma et bien d'autres se retrouvèrent installés en France.
Déjà, dès les indépendances de 1960, les dés étaient jetés. Les anciennes puissances coloniales ne pouvaient accepter l'instauration de régimes démocratiques risquant de constituer de sérieux dangers pour leurs intérêts. Que ce soit dans les pays anglophones ou francophones, la réalité était presque la même. Au Nigéria, au Ghana ou au Kenya ou dans les autres pays francophones, les choses étaient relativement similaires. Certes, quelques dirigeants comme N'krumah, Kenyatta, Lumumba ou Modibo Keita, développaient un projet national ou une perspective africaine, mais ils furent vite chassés du pouvoir. Les expériences démocratiques n'ont, jusqu'à présent, pas permis l'émergence d'un sentiment national qui mettrait fin aux solidarités claniques et aux très forts liens ethniques. La communauté ethnique tient le haut du pavé.
Ces dernières années, les anciennes puissances coloniales ont senti la nécessité d'imposer un certain vernis démocratique à des dictatures qui commençaient à être trop impopulaires. C'est ainsi que fut décidée la mise en retraite de Mobutu, devenu trop gênant. La revendication démocratique se faisait trop pressante dans un continent où plus d'une vingtaine de régimes sont issus de coups d'Etat militaires. Le texte du sommet réuni à Alger, il y a quelques années, où il était question de ne plus tolérer les coups d'Etat, ne semble pas opératoire dans des territoires où l'armée souvent marquée par des lézardes ethniques est maîtresse du terrain. Aujourd'hui, la fiction démocratique devient une véritable mode qui, parfois, emporte sur sa lancée quelques dirigeants peu présentables.
Vernis démocratique
Ce sont les problèmes économiques et sociaux et les conditions du FMI et de la Banque mondiale qui ont poussé de nom-
breux pays africains, trop pauvres à emprunter les sentiers de la gestion «démocratique», mais souvent les expériences tentées jusqu'à présent, ont lamentablement échoué. Les exemples de la Côte d'Ivoire et du Nigéria par exemple sont frappants. Ces pays, lourdement endettés, ont engagé de très importantes opérations de privatisation. C'est ainsi que la Côte d'Ivoire qui a une dette extérieure de plus de 24 milliards de dollars a, privatisé plus de 90% de ses entreprises publiques.
Ce territoire se trouve, aujourd'hui, piégé par la chute des cours du café et du cacao, les deux richesses de ce pays détenues en grande partie par la famille Houphouët-Boigny. La Côte d'Ivoire qui produit 40% de la production mondiale, est le premier fournisseur de cacao. France Télécom détient 51% du marché des télécommunications dans ce pays. Les autres pays d'Afrique ne sont pas aussi riches que la Côte d'Ivoire.
Cette volonté de mettre en oeuvre un édifice démocratique a permis l'organisation de conférences nationales où participaient partis, syndicats et associations. Ce sont de véritables états généraux du pays. Plusieurs pays africains ont connu cette expérience entamée par le Bénin: Congo, Gabon, Comores, Togo, Mali, Niger...Ces conférences qui sonnent le glas du parti unique, disparu à la suite de l'effondrement de l'Union soviétique et des inextricables problèmes économiques, ont favorisé la création d'une multitude de micropartis qui sont souvent l'expression de groupes ethniques et claniques, l'installation de régimes parlementaires traversés par les solidarités ethniques et l'engendrement simultané de la République, certes, quelque peu singulière. Le Parlement devient le lieu où se cristallisent les conflits et les places communautaires dans un continent où le sentiment national est encore prisonnier des liens ethniques. La projection sur un espace parcellisé, rural d'un modèle européen, désormais unique espace de légitimation des pouvoirs en place, n'a pas mis fin à cette mentalité putschiste et absolutiste caractérisant le pouvoir en Afrique. Quand Bédié a pris le pouvoir après le décès de Houphouët Boigny en 1993, il a tout simplement confectionné des lois sur mesure pour barrer la route à des adversaires sérieux comme Ouattara ou en emprisonnant des leaders d'opposition qui comptent comme Laurent Gbagbo.
Dans tout ce continent, se pose le problème de la constitution de partis sérieux, chose impossible dans des pays où le sentiment groupal exclut les données sociales et convoque l'appartenance familiale ou clanique, marquée par une mentalité rurale des plus rétrogrades. C'est pour cette raison que trop souvent, les partis sont dépourvus de programmes politiques et idéologiques cohérents et clairs. Les conflits communautaires désagrègent l'appareil d'Etat et rendent toute gestion démocratique sérieuse peu probable. Le président fonctionne tout simplement comme un chef de clan.
C'est ce qui renforce et aggrave le sentiment xénophobe des populations africaines frappées par la famine, l'analphabétisme, les guerres civiles, les épidémies et la misère. Ainsi, ces populations, souvent analphabètes, observent impuissantes, des expériences «démocratiques» se mettre en place, imposées par les Européens et les Américains qui conditionnent l'octroi de toute aide financière à la mise en place d'institutions «démocratiques».
Cette aide va, souvent, dans des caisses personnelles dans des territoires dont une partie est souvent contrôlée par le banditisme et le gang. Des constitutions pluralistes arriveront-elles à résoudre les vrais problèmes de l'Afrique qui sont essentiellement économiques? Pour le moment, les choses ne semblent pas évoluer positivement. Certes, le système du parti unique a disparu, mais il n'a pas encore réglé la question des programmes et des projets de société, trop souvent réduits à la lecture redondante de préceptes moraux: intégrité, transparence...
Mais cette poussée «démocratique», malgré ses trop nombreuses limites, a permis l'émergence d'une presse relativement libre, mais souvent aux prises avec de très sérieux problèmes économiques et financiers, freinant toute ambition.
Des journalistes sont toujours emprisonnés dans des pays africains. Mais les journalistes découvrent, enfin, après de longues années de plomb, la libre expression. Ce qui se passe actuellement dans de nombreux pays d'Afrique n'est nullement surprenant.


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