Par Ahmed Halli [email protected] Image impressionnante en provenance de Deraa, en Syrie : des chars et des fantassins avancent en ordre de bataille, comme si le pays d�clenchait une offensive contre un ennemi voisin. Puis, de l'autre c�t� de ce front, des jeunes gens d�ployant du haut d'une terrasse une banderole proclamant : �R�cup�rez le Golan !� Cette injonction, venue du tr�fonds de la r�volte populaire, en dit plus que tous les commentaires du monde sur cette r�volte arabe aussi soudaine que l�gitime. Il faut toujours se souvenir que soudainet� et simultan�it� ont perdu depuis longtemps leurs �quivalents arabes. De quoi nourrir toutes les suspicions et toutes les sp�culations sur une intervention quasi divine, accoupl�e, une fois n'est pas coutume, � une strat�gie am�ricaine. En tout �tat de cause, le message brandi � Deraa est un camouflet pour ces vaillantes arm�es arabes, toujours pr�tes � combattre les ennemis de l'int�rieur. Dans la nation du �juste milieu�, l'ordre ancien et le nouvel ordre annonc� font bon m�nage au d�triment des peuples. Les seules fronti�res s�res et reconnues sont celles d�limitant les p�rim�tres de s�curit� emp�chant les manifestants d'approcher les �difices publics et officiels. Ce sont les fronti�res les mieux gard�es en attendant de composer avec de nouveaux opposants, plus puissants et plus acceptables, issus des �coles de la CIA et du MI5. Toutefois, les Am�ricains ne sont pas toujours infaillibles m�me s'ils sont terriblement efficaces, avec des adversaires et des alli�s de la trempe de Khadhafi et de Amr Moussa. Je ne suis pas s�r qu'ils aient pr�vu, par exemple, les �tats d'�me des journalistes d'Al-Jazeera et leurs cons�quences. Vaille que vaille, la cha�ne du Qatar continue � faire la r�volution aux quatre coins de la plan�te dite arabe, mais la r�volte couve aussi derri�re ses cam�ras. Ceux qui pensaient que les journalistes d'Al-Jazeera avaient le c�ur et la conscience engourdis par des fins de mois gratifiantes, se trompaient. Ces gens-l� ont une �me et une conscience qui se sont insurg�s d�s que leur cha�ne a franchi la ligne rouge : s'attaquer � leur pays d'origine. Deux figures de proue de la r�daction incarnaient jusqu'ici cette habilet� professionnelle mise au service d'une cause aux objectifs des plus contestables : Fay�al Al-Kassem et Ghassan Bendjeddou. Chef du bureau de Beyrouth, Ghassan Bendjeddou, d'origine tunisienne, n'aurait pas appr�ci� la fa�on dont son employeur a trait� les �v�nements de Tunisie. Pris d'un sursaut de patriotisme indign�, notre confr�re, puisqu'il en est ainsi, a pr�sent� sa d�mission. Mieux vaut tard que jamais, Ghassan Bendjeddou a d�nonc� des pratiques qui s'�loignent de plus en plus du journalisme tel que le voyait Pulitzer. Au m�me moment, les m�dias arabes nous annon�aient la d�mission imminente du tr�mulant Fay�al Al-Kassem, l'animateur de l'�mission � succ�s �� contre-courant�. D'origine syrienne, le susnomm� journaliste s'est toujours gard� de s'attaquer au pr�sident syrien en personne, tout en d�non�ant avec v�h�mence les dictatures arabes. Il campait, � cet �gard sur la m�me position que son coll�gue de Beyrouth, Ghassan Bendjeddou : porter le fer et le feu partout, sauf en son propre pays. Ce qui est tout � fait justifiable dans la tradition tribale qui nous revient au galop, comme une troupe de camelins chargeant les insurg�s du Caire. Je comprends tout � fait d'ailleurs la r�action de patriotisme outrag� de Fay�al Al-Kassem, puisqu'il m'arrive de succomber moi-m�me � cet aiguillon tribal. Quoique me situant, sur un plan spirituel et politique, � des millions d'ann�es-lumi�re de notre actuel pr�sident, je m'insurgerais en cas d'attaque �trang�re surdimensionn�e contre lui. Dans notre tribu, revue et sacr�ment corrig�e en 1962, nous ne tol�rons pas d'ing�rence �trang�re. Plut�t que d'attendre les coups de la main �trang�re, et sans ablutions, nous pr�f�rons frapper nous-m�mes notre fr�re (ne pas confondre ici une clause de style avec un lien de parent�). Fay�al Al- Kassem, on en a d�j� parl� ici, c'est un super patriote arabe qui me rappelle le regrett� acteur britannique Peter Sellers dans ses r�les les plus loufoques. Jusqu'ici, il cadrait bien, et m�me trop bien, avec la politique de la cha�ne qatarie, dont il animait l'�mission la plus en vue. Tant que cela ne se passait pas sous les fen�tres des �mirs de Doha ou de Damas, tout allait bien, mais les choses ont d�rap� ces derniers jours avec les �v�nements de Syrie. Al-Jazeera manipule � outrance, tombe souvent dans la mise en sc�ne, mais elle a jet�, cette fois-ci, de la suie au visage de son animateur en voulant trop noircir le tableau des m�faits du r�gime syrien. C'est ainsi qu'elle a diffus�, sous couvert de l'actualit� et de l'exclusivit�, des images d'archives datant du temps de Saddam Hussein s�vissant contre le peuple d'Irak. Ces images pr�sent�es comme provenant de Syrie montrent des soudards s'en prenant violemment � des civils d�sarm�s. Cela s'est pass� en Irak, mais Fay�al Al- Kassem en a �t� choqu� et � un double titre : d'abord en tant que mortellement patriote arabe par le rappel des crimes de Saddam. Ensuite, en tant que citoyen syrien, baathiste avant la lettre, et furieux que les m�thodes du parti rival d'en face soient attribu�es, � tort, � la branche rivale damasc�ne. En fait, toute cette agitation n'aura �t� qu'un tissu de sp�culations de presse, selon Fay�al Al-Kassem, qui a d�menti la nouvelle de son d�part. Interrog� par un quotidien londonien, l'animateur nous a inflig� une douche froide en annon�ant qu'il allait reprendre son �mission dans les prochains jours. Se gardant bien d'�mettre des critiques directes, il a cependant confirm� ce qu'on savait de lui, � savoir qu'il fallait donner une chance de r�former au pr�sident Assad. Il consid�re, en effet, que si le peuple syrien a le droit de manifester, il ne doit pas le faire en mettant en danger la �r�sistance� (contre Isra�l). Il faudra qu'il s'entende, sur ce plan, avec les Isra�liens qui consid�rent, eux, que Bachar est le meilleur garant de la stabilit� dans la r�gion, ce qui en fait donc un alli� objectif de qui vous savez. Pourquoi veulent-ils alors le remplacer, voil� un myst�re que je n'ai pas encore r�solu, n'ayant pas acc�s aux futurs dossiers de WikiLeaks. On le saura bien un jour, puisque les Am�ricains finissent, t�t ou tard, par tout d�baller. Mais revenons � ce bon vieux Ghassan Bendjeddou qui a confirm� samedi dernier qu'il quittait la cha�ne qatarie, �aussi net qu'il l'�tait en y entrant�, ce qui reste � prouver. Mais notre d�sormais ex-confr�re nous annonce, lui, une bonne nouvelle : il quitte d�finitivement la presse pour se recycler dans le commerce. Bendjeddou qui a, semble-t-il, r�gl� au mieux de ses int�r�ts la question de ses indemnit�s de d�part, va ouvrir une cha�ne de caf�s dans les quartiers sud de Beyrouth. Ghassan Bendjeddou, qui a d�cid�ment bien assimil� la sentence de Mark Twain (le journalisme m�ne � tout � condition d'en sortir), y est all� aussi de son couplet patriotique : il a affirm� qu'il n'investirait ses sous que dans le sud de Beyrouth (fief de la communaut� chiite et du Hezbollah), �symbole de la r�sistance, du courage et de la dignit�. Bon vent, cher ex-confr�re, et ne manquez pas de nous adresser quelques insultes � l'occasion, comme le font tous les ex. Je d�plore, toutefois, que vous ayez mis tout ce temps avant de d�couvrir votre vocation contrari�e. Rassurez-vous : la profession ne se portera que mieux sans, apr�s votre d�part. Surtout, si vous pouviez faire un geste � l'�gard de votre ami Fay�al, en l'associant � vos projets commerciaux ! A. H. Nos lecteurs peuvent retrouver ici la chronique d�Arezki Metref qui n�est pas parue hier pour cause de 1er Mai. ICI MIEUX QUE LA-BAS Le blasph�me de Belkhadem et l'appel d'Ali Yahia Abdennour Par Arezki Metref [email protected] Dimanche 24 avril : La belle tradition des assassinats politiques... Ahmed Kerroumi a �t� retrouv� sans vie dans le local du MDS � Oran. Le choc est terrible ! Serions-nous revenus aux ann�es funestes de la terreur ? On m�conna�t encore les circonstances exactes de ce d�c�s. Des journalistes parlent de coups que la victime aurait re�us. L'universitaire avait disparu quelques jours avant la d�couverte de cette issue tragique. On peut �mettre la supposition que son militantisme progressiste et son appartenance � la CNCD Oran ne sont peut-�tre pas �trangers aux mobiles qui ont conduit � sa mort aux allures douteuses. Est-ce une �limination dans la pure �tradition� des assassinats politiques dont les annales du pays regorgent et dont certains de ses responsables doivent se targuer ? En tout cas, cette �nigmatique affaire a apparemment jet� un certain froid dans les rangs des partisans du changement. La peur est humaine. Ceux qui la r�pandent sciemment l�ont bien rep�r�. A l'heure o� une vague de fond transforme les r�gimes vermoulus du monde arabe, les �trucideurs� veillent au grain. Ils tiennent � ce que rien ne bouge. Il n'en sera pas toujours ainsi. Lundi 25 avril : V'la l'arm�e ! Dans une conf�rence donn�e par la CNCD, Me Ali Yahia Abdennour y est all� franco de port : �Le discours du pr�sident a �t� un exercice laborieux. Le pr�sident est apparu physiquement affaibli, sa voix �tait �teinte. Il a donn� une image path�tique, difficile � voir d�un homme us� par la maladie, incapable d�assumer ses fonctions. L�article 88 de la Constitution qui pr�voit une destitution pour incapacit� d�exercer ses missions doit �tre appliqu�.� Il rappelle que �la r�vision de la Constitution en 2008 est un coup d�Etat constitutionnel commis par un pr�sident ill�gitime d�sign� par l�arm�e et non �lu par le peuple�. Un appel du pied � l'arm�e ? Ce serait pour le moins �trange venant d'un personnage comme lui. Mardi 26 avril : La voix de ses ma�tres successifs ! Ex-officier sup�rieur de l�arm�e, Ahmed Adhimi fustige la fermeture mortif�re de l'audiovisuel en Alg�rie. Il n�y va pas par trente-six chemins. Selon lui, la fermeture du champ audiovisuel est une �menace contre la s�curit� nationale�. Il ne comprend pas comment on peut exclure de la t�l�vision des �leaders ou symboles nationaux�. �Comment se fait-il qu�un symbole comme Ali-Yahia Abdennour n�appara�t pas � la t�l�vision nationale, que nos jeunes ne connaissent pas A�t- Ahmed�� ? La question est pour le moins d'actualit�. La r�ponse n'est pas, elle, un secret d'Etat : l'audiovisuel est tout simplement une sorte de �quartier r�serv� dans notre pays de pluralisme � g�om�trie variable. On pr�f�re attribuer ce temps de cerveau, comme dirait l'autre, � un gris responsable �nonnant des la�us insipides plut�t qu'� une parole diff�rente. Il en a toujours �t� ainsi. La voix de son ma�tre ? Tu l'as dit ! D'ailleurs, il ne faut pas cultiver d'illusions quant � la volont� et � l'aptitude d'ouverture de ce pouvoir. Prendre des �mesurettes� sans cons�quence pour se prot�ger de la temp�te, �a, il sait faire, et m�me qu�il y met du z�le. Mais d�s qu�il s'agit d'aller au fond, c�est panique � bord ! Nacer Mehal, ministre de la Communication, vient de tirer son �pingle du jeu en rejetant la responsabilit� de l'ouverture de l'audiovisuel sur la �d�cision politique�. Qui peut la prendre ? Le pr�sident, naturellement ! Et les autres, alors, �ils� font quoi ? Mercredi 27 avril : D�code l'information ! Le Syndicat national des journalistes lance une p�tition pour �une presse libre n'ob�issant qu'aux r�gles universelles�. Plut�t qu'� une r�vision du code de l'information, les journalistes pr�f�rent appeler les pouvoirs publics � �respecter et faire respecter� la loi 90/07 du 3 avril 1990, qui fonde la libert� de la presse et d�finit des r�gles universelles. Il est vrai qu'en mati�re de libert� de la presse, les r�gles sont universelles ou ne sont pas. Visiblement, le SNJ suspecte le pouvoir de quelques arri�re-pens�es dans cette volont� tonitruante de reconsid�rer le code de l�information. Il y d�tecte une fa�on d'ajouter un tour de vis suppl�mentaire. On ne peut que s'associer � cette anticipation pr�ventive, connaissant les ruses de Sioux qui tiennent lieu de �politique� l�-haut. Et puis, il y a aussi ces exigences qu'ils ont fini par nous faire oublier, celle de mettre la presse publique au service du pluralisme et d'ouvrir l'audiovisuel au priv�. Habitu�s � consid�rer que les journalistes sont � leurs bottes � et m�me les intellectuels �, lesquels trouvent parmi eux �des� qui ont int�gr� cette r�gle, les �responsables nationaux � sont tout d�sar�onn�s devant de telles demandes. M�me si la libert� est la mode en ces temps de vent d'est, il y a des certitudes qu'il faut quasiment arracher comme on arrache une dent. Entre autres, celle que la presse est un contre-pouvoir mais �thique ! Jeudi 28 : Indig�nes ! Belkhadem d�clare que le syst�me alg�rien ne peut pas �voluer vers le parlementarisme parce que les Alg�riens sont d�pourvus de culture d�mocratique. C'est ni plus ni moins que ce que disaient jadis des indig�nes les �ma�tres� des colonies. Ces propos, diffus�s � la radio refus�e � Ali Yahia Abdennour et A�t Ahmed, sont insultants pour les Alg�riens. L'APN, qui est cens�e en �tre la repr�sentation, devrait attaquer en justice pour diffamation. Vendredi 29 avril : Cadavres et placards ! Je trouve �conforme� � l'esprit de clan les vol�es de bois vert qui s'abattent sur le respectable Ali Yahia Abdennour, qui, par ailleurs, se d�fend plut�t bien. Il a �mis une proposition qui vaut ce qu'elle vaut sur le plan politique et constitutionnel. Elle est �videmment discutable sur le plan juridique et quasiment inapplicable, selon des juristes. Mais est-ce une raison pour l'attaquer dans sa personne et son parcours ? Pourquoi ne discute-on pas l'id�e elle-m�me, et il y aurait sans doute beaucoup � dire, plut�t que de le soumettre, lui, � ce type de proc�s stalinien qui part du postulat de base que le procureur n'a jamais, pour ce qui le concerne, de cadavre dans son placard. Pas avant, en tout cas, qu'on ne le d�couvre.