Par Ahmed Cheniki On ne peut parler de mise en sc�ne en Alg�rie sans �voquer les singuli�res exp�riences de Abdelmalek Bouguermouh, Azzedine Medjoubi, Ahmed et Slimane Bena�ssa, Ziani Cherif Ayad ou Nourredine El-Hachemi. Mais celui qui a le plus marqu� les jeux de la sc�ne demeure sans doute Abdelmalek Bouguermouh, disparu pr�cocement alors qu�il pouvait transformer radicalement la vision de la mise en sc�ne. De formation classique, Bouguermouh, qui a fait ses �tudes � l�Institut du th��tre de Moscou, est rentr� au pays avec l�id�e d�apporter � l��criture sc�nique une certaine rigueur et de mettre un terme au bricolage qui caract�risait ce m�tier. Les choses n�ont nullement chang� aujourd�hui. Bien au contraire, le niveau a connu une tragique r�gression. Sa premi�re exp�rience au centre culturel de la wilaya d�Alger, o� il a mont� Il �tait une fois et La d�cision de Bertolt Brecht, apportait d�j� une certaine fra�cheur et inaugurait, en quelque sorte, le protocole d��criture sc�nique. Slimane Bena�ssa, alors directeur du Th��tre r�gional de Annaba, lui a fait appel pour mettre en sc�ne au TRA une adaptation de l�Ap�tre houspill� du Russe Makaionok que Bouguermouh avait d�j� mont�e en 1973 dans le cadre de sa pi�ce-dipl�me. La rigueur, le go�t du d�tail et de la pr�cision, et le sens de l�imagination marquaient s�rieusement son travail. La sc�ne ne se limitait pas � une passive illustration d�un texte, mais le lieu d�articulation d��l�ments formels qui permettaient aux com�diens de participer � la mise en relief de la configuration spatiale et de mieux g�rer leurs gestes, leurs actes et leurs mouvements. Dans El-Mahgour qui raconte l�histoire d�une famille condamn�e � g�rer d�mocratiquement son pr�sent, le metteur en sc�ne recourut � un dispositif sc�nique � g�om�trie variable ob�issant � un sch�ma qui privil�giait la mise en branle de signes, en mouvement, renvoyant � un ailleurs, parfois �trange. Bouguermouh s�exprimait ainsi � propos de la mise en sc�ne de ce texte : �Dans mon travail sur cette pi�ce, j�ai eu la d�couverte d�une approche du th��tre diff�rente de celle qu�impose la routine. J�ai r�alis� qu�il �tait possible de faire du th��tre politique en dehors des sentiers traditionnels. Monter une pi�ce qui semble ob�ir � la r�gle des trois unit�s exigeait une forme oppos�e et contradictoire pour d�fier, fuir, ou tout simplement s�opposer au classicisme dont on risquait de nous accuser, bien que la pi�ce demeure pour moi un nouveau genre d��criture du th��tre politique. Cette condition a motiv� toutes nos recherches dans la lecture sc�nique de la pi�ce.� Le dispositif sc�nique s�articulait autour de deux importants �l�ments qui allaient donner � la pi�ce une certaine dimension po�tique et ludique et qui construisaient la structure sur une sorte d�opposition de deux univers, charriant chacune ses propres signes et ses traits particuliers. C�est une �criture pyramidale qui, d�ailleurs, utilise des d�cors sur�lev�s et sugg�rant une hi�rarchisation sociale qui marque le discours et l�inscrit dans l�instance du pr�sent et de l�actualit�. Trois livres ouverts et une t�l�vision g�ante sont les �l�ments qui prennent en charge l�architecture du spectacle et orientent le discours des personnages. L��cran constitue le lieu d�articulation, par excellence, du jeu des com�diens et l�espace qui convoque l�ext�rieur, notamment le discours officiel, marqu� du sceau du ridicule et de la d�rision. Le speaker, envahissant et trop solennel, se permet m�me le luxe d�intervenir dans les conflits de cette famille (le p�re, la m�re, deux fr�res et leur s�ur) compos�e de cinq personnes d�fendant des int�r�ts divergents et portant sur la soci�t� et la famille des regards parfois radicalement oppos�s. Bouguermouh devait bien marquer ces oppositions par des artifices sc�niques particuliers et insister aupr�s des com�diens sur la n�cessit� de bien ma�triser la prise en charge de ces r�les de composition. Les livres, plac�s sur la sc�ne, signifiaient la pr�sence de trois espaces sociaux et id�ologiques dans l�univers sc�nique. Le livre fonctionne en quelque sorte comme un signe �incitatif�, c�est-�-dire mettant en lumi�re, de mani�re implicite, l��l�ment r�f�rentiel, l�ailleurs et l�univers discursif. Il est dire et acte de dire en m�me temps. Il renvoie � une signification pr�cise tout en �racontant� et en mettant en relief les formes du discours. L�autre �l�ment du dispositif sc�nique, la t�l�vision, consacre � la fois la rupture et la continuit�, la mise en �vidence d�un discours �cul� et la r�v�lation d�une possible ouverture. C�est une entreprise sc�nique et id�ologique b�tie autour de nombreux paradoxes. Ce fonctionnement paradoxal et ambivalent est renforc� par le jeu de p�nombres illustr� par un �clairage alternant obscurit� et lumi�re. El-Mahgour fit conna�tre Abdelmalek Bouguermouh qui allait par la suite diriger le th��tre r�gional de B�ja�a et mettre en sc�ne deux autres pi�ces, H�zam el-ghoula (la Ceinture de l�ogresse) et R�jel ya h�lelef (Nous sommes des hommes, esp�ce de porcs !). Ces deux pi�ces abordent les m�mes questions. H�zam el-ghoula, adapt�e par l�auteur dramatique Omar Fetmouche d�un texte russe, la Quadrature de cercle de Valentin Petrovitch raconte l�histoire de jeunes amis, �tudiants de leur �tat, partageant une chambre obscure, situ�e au bout d�un couloir puant la malvie et l�ennui. Comment aborder ce type de sujet sans tomber dans les clich�s et les st�r�otypes ambiants caract�risant le traitement traditionnel de ce th�me obs�dant du th��tre en Alg�rie ? Fallait-il faire une �uvre grossi�rement r�aliste ou cr�er de nouveaux espaces suggestifs et symboliques. C�est essentiellement autour de ces interrogations que tournait le d�bat autour de la mise en sc�ne. Bouguermouh trouva une tr�s bonne astuce technique : faire �clater la cave o� cohabitent les deux couples d��tudiants en int�grant dans l��criture sc�nique une multitude de tuyaux symbolisant le p�trole et en incluant dans le discours des personnages des formules et des expressions puis�es dans le fonds culturel populaire. Cette juxtaposition de deux univers, apparemment antagoniques et antith�tiques, met en sc�ne deux espaces lugubres op�rant paradoxalement dans un monde pourtant riche (tuyaux signifiant p�trole). Une cave sombre, niveaux superpos�s, se trouve en plein univers de richesse. Les signes donnent � voir, sans aucune complaisance, un espace o� la d�sillusion constitue l��l�ment nodal de toutes les attitudes et les comportements. Nous ne sommes pas uniquement en pr�sence d�un banal probl�me de logement, mais � une situation travers�e par l�injustice et la corruption de dirigeants prenant en otage les richesses p�troli�res. C�est un discours contestataire. La mise en sc�ne op�re par touches successives. Les deux couples partageant l�espace sc�nique, marginalis�s et condamn�s � n��tre que des infra-citoyens, repr�sentent, gr�ce � un mat�riel sc�nique appropri�, un simple microcosme de l�Alg�rie. Les �l�ments du d�cor participent de la mise en �vidence d�un espace suggestif et de situations burlesques et cocasses contribuant � a�rer l�univers sc�nique. L�humour, contrairement � sa fonction chez Kateb Yacine par exemple, r�v�le la mis�re et le d�sespoir. Les tuyaux, occupant une importante place dans l�univers sc�nographique, sont l�objet de jeux de mots et d�expressions populaires succulentes, judicieusement r�partis dans le corps sc�nique. La lumi�re participe au processus de mise en �vidence de deux univers bien d�limit�s r�sultant du jeu de signes installant sur sc�ne un incessant aller-retour du r�el et de l�irr�el, du fantastique et du merveilleux. Les �l�ments symboliques comme les tuyaux ou l��cran de t�l�vision par exemple s�associant � l�univers banalement r�el de la cave o� vivent les deux couples apportent un surplus de cr�dit et de �r�alisme� au discours th��tral. C�est � un enchev�trement ininterrompu de signes et d�images que nous avons affaire dans une mise en sc�ne caract�ris�e par un relatif �quilibre et une articulation logique et math�matique de tous les �l�ments du langage th��tral. Bouguermouh s�expliquait ainsi : �Mettre en sc�ne pour moi part d�une intuition d�images qui s�imposent et qu�on impose et qui, en fin de compte, proposent une forme de lecture de la pi�ce. L�enjeu v�ritable est dans la distribution, dans sa justesse. Ensuite, c�est une question d��quilibre. Savoir organiser l�apport de chaque com�dien, savoir int�grer tout �l�ment de vie et harmoniser le tout en un univers th��tral pr�cis. L� est la �mise en sc�ne� et elle n�est possible que gr�ce aux multiples apports des uns et des autres.� Azzedine Medjoubi, contrairement � Abdelmalek Bouguermouh, est beaucoup plus connu dans les milieux artistiques alg�riens comme com�dien que comme metteur en sc�ne. Ce sont ses performances de brillant acteur qui l�avaient propuls� au-devant de la sc�ne. D�une extraordinaire sensibilit�, il �tait un infatigable travailleur qui cherchait souvent � mettre en pratique ses id�es et � tenter de nouvelles aventures. Medjoubi qui connaissait tr�s bien les m�tiers du th��tre ne fit l�exp�rience de l��criture sc�nique que par n�cessit�. Souvent oblig� d�interpr�ter le m�me r�le comme s�il ne pouvait que jouer les �bons� samaritains, il dut, malgr� lui, exc�d� par la m�diocrit� de nombreuses r�alisations, prendre en charge la barre technique. Medjoubi n��tait pas un autodidacte ; il a poursuivi des �tudes d�art dramatique au conservatoire d�Alger avant d�int�grer la fameuse troupe Th��tre et Culture. Il a notamment interpr�t� de tr�s nombreux r�les au cin�ma et au th��tre. Au Th��tre national alg�rien (TNA), il a brill� dans des pi�ces comme Anba�a de R�dha Houhou, Bab el-foutouh, la Bonne �me de S�-Tchouan, Sekket Salama, Bounouar and co, La�legue (les sangsues), Stop, Hafila Tassir (d�apr�s le Voleur d�autobus de l��crivain �gyptien Abdelqoudous), les Bas- fonds de Gorki� Ce tr�s grand com�dien, qui souvent interpr�tait les m�mes personnages, �tait mal exploit� par les metteurs en sc�ne qui l�embastillaient, en quelque sorte, dans une voie �troite. Il s�insurgeait contre cet �tat de fait : �Les r�alisateurs n�ont dans le pass� jamais pris de risques avec moi. Que ce soit au th��tre ou � la t�l�vision, on me fait appel pour camper les m�mes personnages typ�s qui sont cens�s correspondre � mon caract�re et � mon temp�rament, ceux d�un homme sage, tranquille, banal � la limite.� Dans Hafila Tassir, mise en sc�ne par Ziani Ch�rif Ayad, il a fait litt�ralement exploser les planches. Son corps et sa voix (il travailla en 1963 � la radio) dessinaient les contours sc�nographiques et multipliaient les espaces et les cat�gories temporelles. Apr�s avoir assist� Ziani Ch�rif Ayad dans Galou La�rab Galou et Aqd el-Djawher et Kasdarli dans Fersousa oual malik, il s�est lanc� en 1986 dans l�aventure de la mise en sc�ne avec un texte adapt� de Mrozek, les �migr�s, par Boubekeur Makhoukh, d�c�d� en 1998 : Ghabou Lefkar. C�est l�histoire de deux �migr�s (Rih et Mokhtar), un intellectuel et un ouvrier, qui cohabitent dans une cave, lieu sombre et cynique qui organise le r�cit autour de ces deux personnages, aux antipodes l�un de l�autre. Situations tragicomiques, quiproquos, jeux de mots et dictons populaires ponctuent la repr�sentation et contribuent � la mise en branle des m�canismes favorisant l�organisation de l�espace sc�nique et renforcent les �l�ments du conflit sugg�rant une hi�rarchisation sociale tr�s pouss�e. Deux mondes vivent et coexistent dans une m�me cave qui constitue le noyau de la repr�sentation. C�est le lieu de cristallisation et de mise en �vidence de tous les conflits. C�est � partir de cet espace lugubre que se structure le r�cit et s�articulent les grandes instances de la pi�ce. De formation diff�rente et alimentant souvent la contradiction, les deux personnages sont confin�s dans leurs espaces respectifs. Le dispositif sc�nique est simple. Il contribue � la mobilit� des com�diens et des objets sur sc�ne. L�illusion r�aliste est �vidente, elle est renforc�e par les objets employ�s sur le plateau : deux canap�s, des couvertures, une bouteille de vin�Tous ces �l�ments r�v�lent le v�cu ordinaire de deux personnages ayant comme trait commun l�exil. La d�coratrice, Liliane El-Hachemi parle du d�cor en ces termes : �Apr�s lecture de la pi�ce, nous avons d�gag� les conflits principaux et secondaires et, ensuite, nous avons proc�d� � l�analyse des personnages, pour en conna�tre autant les costumes que le d�cor dans lequel ils �voluent. Cet endroit est une cave, non habitable, pleine d�objets de r�cup�ration, avec lesquels ils essaient de former leur environnement d�origine. La cave est l�espace d�une bagarre permanente avec l�environnement. C�est un univers petit, ce contraste montre leur caract�re de parias, d�exclus.� Rih et Mokhtar occupent deux espaces diff�rents, mais compl�mentaires. Les oppositions ne sont pas tr�s marqu�es. La disposition des espaces occup�s par les personnages est �labor�e en fonction de l��volution de leur discours, de leurs antagonismes et de leurs similitudes. Ces deux personnages ne se d�testent pas, ils se supportent tout en vivant leurs propres fantasmes. Ils habitent la m�me cave, partagent la bouteille de vin, se sentent rejet�s, marginalis�s et vivent une r�alit� fondamentale, l�exil. Dans cet univers apparemment clos, mais paradoxalement ouvert, malgr� le stress et l�angoisse enveloppant leur v�cu, la parole est souveraine, elle trace les contours du r�cit et lib�re leurs sens. Nous avons affaire � une parole en transes, comme chez Antonin Artaud. L��tre et le para�tre se confondent, s�entrem�lent contribuant � la fusion des instances temporelles et spatiales. C�est le lieu du mythe ; c�est �galement une sorte d��veil de tous les sens qui engendrent la mobilisation de toutes les �nergies. Le signe devient opaque. Il produit sa propre essence. L��clairage, de faible intensit�, exprime une sensation de frustration et un sentiment d�extr�me solitude des deux personnages. Ils vivent clo�tr�s dans un espace �troit qui finit par les broyer et les d�nuder compl�tement � tel point qu�ils se racontent, sans voile ni censure. Les objets sc�niques et l��clairage, quelque peu contrast�, accentuent l�isolement de Rih et de Mokhtar qui, malgr� leur d�sespoir, se r�fugient dans le rire et l�humour qui, ici, paradoxalement rendent l�atmosph�re encore plus lourde. Le rire ne les lib�re pas, il les isole davantage. Ce qui n�est pas le cas, par exemple, chez Kateb Yacine. Azzedine Medjoubi s�en explique : �L�option est ax�e sur la forme tragi-comique, que nous situons aux antipodes du seul divertissement, et qui nous semble la meilleure voie pour la mise en �vidence des sentiments profonds des personnages. On vise par l� � extirper cette r�alit� enfouie, que les personnages tentent de dissimuler, en mettant � nu l�angoisse, voire le d�sarroi permanent de l�exil�.� La situation des deux personnages, prisonniers d�un endroit aussi �troit que la cave, ne peut qu�engendrer des conflits, des confessions, des marques de sympathie, des coups de c�ur ou de col�re, le tout envelopp� dans un rire autodestructeur. Les objets participent de cette entreprise de d�sali�nation. Le vin qui r�ussit � lib�rer la parole donne aux deux protagonistes une sorte d�illusion de d�livrance factice. La mise en sc�ne de Azzedine Medjoubi r�ussit � donner � voir un microcosme de la soci�t� alg�rienne et � dessiner les contours de deux espaces en permanente opposition, mais compl�mentaires, qui se donnent la r�plique dans une sorte de chuchotements qui les rapprochent, dans certains moments, l�un de l�autre. Deux espaces bien d�limit�s occup�s par deux partenaires (un ouvrier et un intellectuel) qui se parlent, parfois pour ne rien dire, marquent la repr�sentation. Les costumes (bleu de travail, pyjamas�) indiquent tout simplement l�appartenance sociale et inscrivent les deux protagonistes dans des cat�gories id�ologiques pr�cises. Le signe est, ici, marqu� d�une transparence redondante et pl�onastique. Ces signes renvoient � un discours r�aliste. Apr�s Ghabou Lefkar, Medjoubi avait mont� une pi�ce au th��tre r�gional de Batna, Alem el-Baouche qui employait un dispositif sc�nique lourd faisant appel � un d�cor sur�lev� et � un mat�riel sc�nique qui, parfois, g�nait consid�rablement les d�placements des com�diens. Certains �vides� au niveau du plateau provoquaient l��miettement de l�espace sc�nique marqu� par une occupation disproportionn�e et d�s�quilibr�e de l�aire de jeu. L��criture sc�nique �tait surtout illustr�e par l�usage de nombreux styles et des techniques diff�rentes. L�objectif de Medjoubi �tait de �marier� de nombreux proc�d�s techniques qui correspondraient � la pratique du th��tre �total�. On ne peut �voquer la mise en sc�ne en Alg�rie sans mentionner les noms de Slimane B�naissa, Ziani Ch�rif Ayad, Mohamed Fellag, Mohamed Tayeb D�himi et Ahmed B�naissa. Certains, � l�instar de S. B�naissa ont �t� l�objet de th�ses, de m�moires ou de nombreux articles, ce qui nous am�nera � ne pas trop nous appesantir sur leur exp�rience. Nous pr�sentons les �l�ments essentiels autour desquels s�articule leur travail. Slimane B�na�ssa situe son travail dans une sorte de mise en espace o� la parole d�tient une importante place et o� la performance du com�dien est capitale. Les conditions socio-politiques et les contingences culturelles d�terminent les options esth�tiques et marquent les contours du r�cit. Les pi�ces, Boualem Zid el Goudem, Youm el Djema Kharjou Leryam, Babour eghraq, Enta Khouya wana Echnoune, Le conseil de discipline� recourent � deux ou trois personnages et � un l�ger dispositif sc�nique. Ce choix s�expliquerait, selon Slimane B�naissa, par une question de moyens : �Il y a une sorte de lien dialectique entre la recherche que nous nous �tions impos�e au d�part et les moyens que nous poss�dons. Plus les axes de recherche se d�finissaient avec pr�cision, plus nous sentions que nous pouvions r�duire encore plus nos moyens mat�riels. Ceci veut dire que plus on a de moyens, plus on peut d�velopper un th��tre plus spectaculaire, car au th��tre, l�essentiel, c�est d�arriver � cr�er une structure dramatique forte.� Chez B�naissa, le mat�riel sc�nique utilis� ob�it souvent � une logique marqu�e parfois par les pesanteurs ext�rieures et les pressions de l�actualit�. L�auteur a recours, pour mieux illustrer son discours et mettre efficacement en situation diff�rentes r�alit�s sociales et politiques, � l�image, � la parabole et au symbole. Le signe op�re sa propre mutation tout en se d�multipliant et en engendrant plusieurs variantes frappant l�imaginaire du spectateur qui construit et d�construit son propre univers, marquant l�espace sc�nique et la repr�sentation th��trale avec une multiplicit� de sens et de significations. Ce fourmillement s�miotique parcours les instances sc�nographiques. L�objet surd�termine le discours th��tral, lui permet de retrouver son authenticit� et investit grandement le proc�s de production du sens et d�termine la construction physique et mat�rielle du spectacle. La charrette, �l�ment essentiel du dispositif sc�nique de Boualem Zid el-goudem, fait fonctionner le r�cit, met en branle tous les �l�ments indiciels et organise le discours. Ce n�est plus une charrette ordinaire, elle prend de nouvelles significations et devient le lieu d�articulation de tous les possibles narratifs et dramatiques. Cet objet achet� � El-Harrach (dans la banlieue alg�roise) est l�espace autour duquel s�articulent toutes les oppositions et tous les conflits alimentant le quotidien de Boualem, un ouvrier, et Sekfali, un f�odal, l�un tirant la charrette en avant, l�autre s�y opposant. C�est en quelque sorte un conflit entre une Alg�rie qui avance et une Alg�rie qui recule. L�avant et l�arri�re constituent des instances discursives fondamentales qui organisent le r�cit et �convoquent� les diff�rentes cat�gories temporelles (domin�es par l�obsessionnelle opposition entre les temps du pr�sent et du pass�) et spatiales. La parole du com�dien transforme l�univers sc�nique, marque le parcours de l�imaginaire, investit les signes d�une sorte de surd�termination et donne vie � des objets apparemment inanim�s. Les objets sont comme des signes latents. Deux espaces divergents se font face : l�accent, l�intonation, les costumes et m�me les gestes les s�parent. Youm el-Djema� Kharjou Leryem, qui poursuit la qu�te de Boualem, met en sc�ne un univers qui commence � perdre ses valeurs. Boualem se retrouve dans un cercle ferm�, impuissant, sans grande possibilit� de changer les choses. B�naissa utilise ici un d�cor plus ou moins l�ger. Trois personnages se r�partissent l�espace, chacun occupant son champ et d�veloppant un discours correspondant � sa place sur la sc�ne sociale et sur le plateau. Il y a une tentative de mettre en �vidence une sorte d�homologie entre la mat�rialit� sc�nique et le v�cu quotidien. Mais les signes ne sont nullement �quivalents, comme on pourrait le croire. Le th��tre n�est pas la vie. Chaque personnage exclut l�autre de son champ et de son univers porteur de sens et de significations particuli�res. Les trois personnages fonctionnent dans des espaces parall�les. Slimane B�naissa expliquait ainsi sa mani�re de faire : �J�essaye de traiter de situations conflictuelles exprim�es au niveau de l�espace. Chaque personnage est d�fini par le territoire qu�il occupe. Ainsi, chaque fois que l�un deux investit le territoire de l�autre, cela prend une signification. La mise en sc�ne est orchestr�e � partir de cette distinction spatiale et territoriale. (�). La mise en sc�ne est une somme de techniques au service du projet dramatique. D�un autre c�t�, nous nous produisons dans des salles � l�italienne qui, a priori, ne facilitent gu�re le contact entre la sc�ne et la salle. Dans des pi�ces comme Babour Eghraq, Youm el-Djema� et Boualem Zid el-Goudem, la mise en sc�ne passe par la gestion rigoureuse des conflits entre les personnages, car � la moindre d�faillance � ce niveau, la pi�ce pourrait sugg�rer un discours contradictoire. Dans ce type de travail, la responsabilit� de l�auteur est tr�s grande.� Le d�cor est souvent suggestif, non vraisemblable, recourant � des constructions m�taphoriques et � un langage symbolique. Ainsi, le hamac et les posters pour �l�am�ricain�, le lit pour enfants pour le personnage de l�intellectuel, les outils de travail pour l�ouvrier, les composantes d�un bateau, la charrette� sont autant d�objets qui signifient une r�alit� pr�cise, construisent de multiples r�seaux symboliques et engendrent l��mergence de nouveaux signes. L�objet, ici, est le lieu de convergence et de cristallisation de tous les �l�ments organisant le territoire sc�nique. Il dit quelque chose � un r�cepteur, il porte et produit continuellement du sens. La charrette structure les �l�ments di�g�tiques, construit les diff�rents r�seaux de signification et met en relation les personnages. L�objet, chez Slimane B�naissa, devient l�espace d�une re-m�taphorisation qui surd�termine le discours th��tral et d�multiplie les effets de sens et de signification. Il y a �galement d�passement de la m�tonymie qui op�re une sorte de mue, c�est-�-dire qui va conna�tre un processus de m�taphorisation. Les figures rh�toriques et po�tiques op�rent une s�rieuse transformation. L��clairage est �galement un �l�ment important qui illustre et caract�rise le discours th��tral. La lumi�re isole, illumine le champ d�intervention d�un personnage et dispara�t compl�tement dans les moments d�angoisse et de d�sespoir. La sc�ne se fait le lieu o� les personnages se divisent et se partagent des champs correspondant � leur place dans la soci�t�. Les lignes verticales, les intonations vocales et les divers objets sur sc�ne traduisent les marques esth�tiques et caract�risent le discours th��tral de Slimane B�naissa qui accorde une place essentielle au com�dien. Ce n�est pas pour rien qu�il fait souvent appel aux meilleurs acteurs alg�riens : Sid-Ahmed Agoumi, consid�r� comme l�un des meilleurs com�diens arabes du moment, Omar Guendouz, Abdelkader Tadjer� Ce bouquet de com�diens tr�s professionnels utilise n�cessairement l�expression du corps pour illustrer les contours de l�espace et la voix pour prendre en charge le discours et marquer les transitions possibles. Si Slimane B�na�ssa opte pour l�all�gement du dispositif sc�nique en fonction des moyens mat�riels et financiers disponibles, Ahmed B�na�ssa, appr�ci� surtout pour ses performances de com�dien, tente de cr�er un univers dramatique correspondant au discours th��tral traditionnel, mais qui ne manque pas de force. Ahmed B�naissa est un acteur qui interpr�ta de nombreux r�les au th��tre, au cin�ma et � la t�l�vision. Il r�ussit la gageure de d�crocher en 1968 le premier prix d�interpr�tation � l�Universit� internationale du th��tre � Paris et de jouer dans des pi�ces mises en sc�ne par Jean- Marie Serreau et Henri Cordereau (qu�il assista � plusieurs reprises) : La trag�die du roi Christophe d�Aim� C�saire et Les anc�tres redoublent de f�rocit� de Kateb Yacine. Il a eu la possibilit� de monter L�Olivier de Mohamed Boudia, assassin� en 1973 � Paris et L�Oiseau vert de Carlo Gozzi avant son retour en Alg�rie en 1971. Ce n�est qu�en 1986 qu�il a mis en sc�ne au Th��tre national alg�rien (TNA) sa premi�re pi�ce � Alger. C�est Adjajbiya wa Ajaieb, d�apr�s L�Art de la Com�die de Eduardo Filippo. Il recourt naturellement aux techniques de la commedia dell�arte, aux proc�d�s du conte populaire et au th��tre dans le th��tre. La technique du th��tre dans le th��tre et l�usage du masque a permis singuli�rement au metteur en sc�ne de bien mettre en �vidence les mesures g�om�triques et les calculs sc�nographiques et de traduire, de mani�re fort plaisante, les �pisodes comiques. L�histoire est simple : dans une petite ville d�Italie, une troupe est subitement priv�e de son th��tre, d�truit par un incendie. Le directeur de la troupe sollicite l�aide du pr�fet pour reconstituer l��quipe. Durant l�entretien, le pr�fet met � la porte le directeur et lui remet par erreur une liste de six personnes convoqu�es au cabinet. Les com�diens vont s�efforcer d�interpr�ter le r�le de ces six personnages. Le th��tre dans le th��tre provoque quiproquos, jeux de mots et humour. Le pr�texte dramatique (la fameuse liste des six noms) inaugure le protocole d��criture sc�nique consistant � choisir un lieu unique : le bureau du pr�fet. Ahmed B�na�ssa explique sa mani�re de mettre en sc�ne : �Sur le plan de la mise en sc�ne, le premier prologue de L�Art de la Com�die est jou� selon les normes de la repr�sentation de la place publique. Dans le deuxi�me prologue (ajout� par De Filippo apr�s l��criture initiale de la pi�ce), le meddah (conteur populaire) se substitue � la prestation intimiste du personnage principal au profit du mode d�expression le plus proche du patrimoine alg�rien. Le d�cor, quant � lui, tient compte des habitudes du public, en ce qu�il ne reproduit cette r�gion que par touches suggestives au lieu de reprendre carr�ment les costumes et le mobilier de l��poque. L�importance de la ville, du th��tre populaire et du lieu o� se d�roule la plus grande partie de l�action est rendue avec des �l�ments suffisamment charg�s de sens. La musique insiste davantage sur les sentiments exprim�s et la teneur dramatique des situations en choisissant de ne pas investir les temps morts ni les transitions.� B�na�ssa ne transgresse nullement la r�gle des trois unit�s. Il choisit, pour ce faire, un dispositif sc�nique de facture r�aliste. C�est d�ailleurs la m�me logique et la m�me d�marche de la construction sc�nique de sa deuxi�me mise en sc�ne, Ertila (L�araign�e), une adaptation d�un texte de l�auteur cubain Eduardo Manet. C�est l�histoire d�une vieille aristocrate isol�e qui vit dans sa chair la nostalgie coloniale. Subitement, elle voit son intimit� viol�e par deux personnages marginaux, Lakhdar et Boualem. Deux mondes incompatibles s�affrontent, se heurtent. Liliane, trop marqu�e par l�id�ologie colonialiste, tente de se d�barrasser de ces deux intrus qui s�opposent fermement � ses d�sirs. B�naissa recourt, ici �galement, � un d�cor r�aliste et � un espace unique. D�autres metteurs en sc�ne ont contribu� � donner une autre dimension � la mise en sc�ne s�duite par les proc�d�s conventionnels. Nourredine El-Hachemi a tent� des exp�riences en usant souvent d�un lourd appareillage correspondant � ses choix esth�tiques et artistiques.