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L�ANP GARANTE DE LA CONSTITUTION ET D�FENSEUR DE LA D�MOCRATIE
Faut-il pour cela un texte constitutionnel ?
Publié dans Le Soir d'Algérie le 04 - 06 - 2011


Par Zineddine Sekfali
La commission Bensalah, qui a commenc� ses consultations le 21 mai, a d�ores et d�j� par-devers elle de nombreuses propositions �manant de personnes venant d�horizons divers. Si l�on excepte les propositions tr�s structur�es du g�n�ral Khaled Nezzar que lui-m�me a rendues publiques, et les critiques acerbes faites par ma�tres Farouk Ksentini, Miloud Brahimi et R�dha Boudiaf, � propos de la mani�re dont a �t� comprise et conduite la r�forme de la justice, ce qui retient le plus l�attention c�est, me semble-t-il, la r�currence de la probl�matique relative � la place et au r�le de l�arm�e dans les choix et options politiques et institutionnels du pays. La question est donc d�sormais publiquement pos�e : faut-il que la Constitution prochaine fixe le statut de l�arm�e au regard de la Constitution et de la d�mocratie ?
Pourquoi et en quoi une telle disposition serait utile ? Cette proposition est-elle vraiment pertinente ? Les avis divergent et les points de vue d�j� exprim�s par certains paraissent plut�t r�serv�s. On commencera par observer que seule la Constitution de novembre 1976 contenait des dispositions relatives � la place et au r�le de l�ANP au sein de l�Etat. En effet, elle r�servait � l�arm�e tout son chapitre VI intitul� : �De l�Arm�e nationale populaire�. Cette Constitution plusieurs fois compl�t�e et modifi�e � partir de 1978 a �t� remplac�e par la Constitution de novembre 1989 dans laquelle il n�y avait par contre aucune allusion � la place et au r�le de l�arm�e. La Constitution de d�cembre 1996, en vigueur � ce jour, a elle aussi subi deux r�visions en 2002 et 2008 ; elle non plus ne contient aucune disposition sp�cifique � l�ANP. On sait cependant qu�il avait �t� sugg�r� � ceux qui �taient charg�s de son �laboration de pr�voir une disposition expresse, conf�rant � l�ANP �le statut de garant de la Constitution�. Pour des raisons qui � ma connaissance n�ont jamais �t� rendues publiques, cette suggestion n�a pas �t� retenue. Pour le politologue M. Chafik Mesbah qui a la r�putation d��tre g�n�ralement bien inform�, c�est l�arm�e elle-m�me qui aurait rejet� l�id�e qu�une telle disposition figur�t dans la Constitution. Le statut de garant de la Constitution que l�on avait ainsi envisag� de consacrer dans la loi fondamentale avait donc ses adeptes, mais aussi ses adversaires. Mais on ne conna�t pas les raisons invoqu�es par les uns et les autres et on ignore tout de leurs motivations respectives. C�est pourquoi on ne peut, � ce sujet, �mettre que des hypoth�ses ; on t�chera d�en exposer quelques-unes, ci-dessous. Ce qui est cependant incontestable c�est qu�avec ou sans disposition constitutionnelle expresse, l�arm�e a plus d�une fois �t� amen�e � donner, de sa propre initiative ou � la demande du pouvoir civil, son avis sur les options et les grandes orientations politiques du pays. C�est un truisme que de dire que l�arm�e dont la mission premi�re est la d�fense de l�int�grit� du territoire national et de la nation a jou� et joue encore un r�le important et influent dans la d�finition des options et orientations politiques du pays. Le d�bat sur ce sujet a subitement repris les deux derni�res semaines, � la suite des d�clarations faites par certaines personnalit�s de la soci�t� civile. Il y a d�abord eu, il convient de ne pas l�oublier, l�appel du pied fait le 24 avril dernier par le c�l�bre militant des droits de l�homme, M. Ali Yahia Abdennour, au Commandement de l�arm�e, pour que soit d�clench�e par qui de droit la proc�dure dite �d�impeachment � pour cause de sant�, proc�dure pr�vue par l�article 88 de la Constitution. Il y a eu ensuite les d�clarations � la presse faites les 26 et 28 mai par deux autres �minents juristes, Me Farouk Ksentini et Me Miloud Brahimi, que la commission Bensalah a re�us. Ces deux juristes ont propos� de constitutionnaliser l�intervention de l�arm�e dans la sph�re politique ; l�un est d�avis de faire de l�arm�e le garant de la Constitution et l�autre propose de la charger de la d�fense de la d�mocratie. On a bien compris que ce ne sont l� ni des paroles en l�air ni des boutades ; les choses sont dites avec beaucoup de s�rieux et les propos tenus sont r�fl�chis et pes�s. Ces d�clarations faites publiquement et de fa�on quasi simultan�e par les juristes qu�on vient de d�signer nomm�ment ont, bien entendu, surpris beaucoup de gens et intrigu� d�autres. Elles ne peuvent laisser personne indiff�rent, et certainement pas les acteurs et les observateurs de la vie politique alg�rienne. Parmi les personnalit�s qui ont imm�diatement r�agi, on note notre Premier ministre qui aurait d�clar�, selon la presse du 30 mai : �La d�mocratie n�a pas besoin de blind�s �. La formule courte et tranchante comme un aphorisme est largement vraie. Mais il se trouve que la r�ciproque, en l�occurrence : �Les blind�s n�ont pas besoin de la d�mocratie�, l�est au moins tout autant. En r�alit�, l�humanit� sait depuis l�Antiquit� et la R�publique d�Ath�nes, que la r�gle d�or en la mati�re est celle de la primaut� du civil sur le militaire ; car il est historiquement prouv� que, lorsque les forces arm�es prennent le contr�le du pouvoir politique, elles font rarement bon m�nage avec la d�mocratie. Il y a cependant de remarquables exceptions : les cas tunisien et �gyptien sont, tels qu�ils se d�roulent sous nos yeux, les exemples les plus significatifs. Il est en effet de notori�t� que, sans l�engagement des forces arm�es de ces deux Etats en faveur des aspirations d�mocratiques de leurs peuples respectifs, ces pays et ces peuples seraient encore sous la dictature, la m�me que celle dont ils se sont d�barrass�s ou une autre qui ne serait gu�re plus r�jouissante que la pr�c�dente. Ces deux exemples me paraissent personnellement plus pertinents que �le mod�le turc� auquel on semble tout d�un coup accorder toutes les vertus et les faveurs, alors que la d�mocratie turque est � la d�mocratie ce que la libert� surveill�e est � la libert�. On ne compte plus les coups d�Etat et les tentatives de coups d�Etat militaires en Turquie�Pourquoi donc n�a-t-on pas voulu en 1996, alors que les �v�nements de d�cembre 1991 �taient tout frais, consacrer dans la Constitution ce statut de garant de la Constitution et de d�fenseur de la d�mocratie pour l�arm�e ? On ne dispose, comme observ� ci-dessus, d�aucune r�ponse officielle � cette question. Cependant, les explications ne manquent pas. Celle qui vient spontan�ment � l�esprit est qu�une telle disposition serait difficilement conciliable avec l�article 70 de cette Constitution aux termes duquel : �le garant de la Constitution�, c�est le pr�sident de la R�publique. Confier les m�mes attributions � l�arm�e constituerait, d�un point de vue formel, un double et dans le fond une source de questionnements sur le pourquoi de cette pesante r�p�tition. Mais plus grave � c�est l� une deuxi�me explication �, on a peut-�tre craint en chargeant l�arm�e de la mission de d�fendre la Constitution de g�n�rer un climat de d�fiance lourd de dangers entre l�arm�e et le pr�sident de la R�publique qui en est constitutionnellement le �Chef supr�me �. On peut aussi penser � c�est-l� une troisi�me explication � qu�on a voulu �viter de donner � la Constitution une coloration et une connotation trop militaires, sachant que le pr�sident de la R�publique qui avait initi� cette Constitution �tait issu de l�arm�e et avait le grade de g�n�ral. On observera par ailleurs qu�affirmer que l�ANP est �garante de la Constitution � para�t a priori assez insolite et absolument en porte-�-faux avec une autre disposition de la Constitution, qui stipule dans son article 77 que le pr�sident de la R�publique est �le Chef supr�me des forces arm�es de la R�publique �. En effet, de deux choses l�une : ou le garant de la Constitution est le pr�sident de la R�publique, ou ce sont les forces arm�es. Il faut choisir, car on peut imaginer qu�un jour le pr�sident soit amen� � exiger des forces arm�es qu�elles respectent la Constitution et inversement imaginer l�hypoth�se o� ce serait les forces arm�es qui feraient grief au pr�sident de la R�publique de violer la Constitution. Enfin, et ce serait l� l�ultime explication : en r�int�grant les forces arm�es dans �le jeu et le champs politiques�, d�o� elle �tait sortie en 1989 pour que la d�mocratie alors naissante puisse normalement se d�velopper, on ferait marche arri�re, et en se d�jugeant aussi ouvertement, on perdrait toute cr�dibilit� aux yeux des citoyens. De tout ce qui pr�c�de, on d�duira qu�il y a de bonnes raisons de penser que l�inscription dans la loi fondamentale d�un article stipulant d�une part que l�arm�e est garante de la Constitution et d�autre part, qu�elle d�fend la d�mocratie, n�est ni une mesure pertinente ni un acte utile. Pour autant, cela ne signifie pas qu�il faille interdire � l�arm�e de dire son mot, voire m�me d�intervenir, lorsque la Constitution est viol�e et que la d�mocratie est mise en p�ril. Une chose est en tout cas s�re : sans nullement se r�f�rer � quelque disposition constitutionnelle que ce fut, l�arm�e a pris sur elle-m�me en d�cembre 1991 de faire arr�ter le processus �lectoral qui de toute �vidence conduisait le pays vers un syst�me des plus r�trogrades, qui lui n�avait cure ni de la Constitution ni de la d�mocratie. Il s�ensuivit, dans les conditions et circonstances que l�on sait, la d�mission du pr�sident de la R�publique apr�s la dissolution de l�APN, puis l�institution d�un Haut-Conseil d�Etat organe pr�sidentiel coll�gial, la nomination d�un nouveau gouvernement et la cr�ation d�un Conseil national de transition, sorte d�organe l�gislatif. On ne peut pas s�emp�cher � en d�pit de tout ce qui a �t� dit et se dit encore sur l�initiative prise alors par l�ANP � de remarquer que ce qui a �t� fait r�cemment par l�arm�e tunisienne d�abord, l�arm�e �gyptienne ensuite, pour la d�fense de la libert� de leurs peuples et l�instauration de la d�mocratie dans ces deux pays ressemble � s�y m�prendre � ce que l�ANP a fait fin 1991 d�but 1992. Il faut tout simplement souhaiter � nos fr�res tunisiens et �gyptiens que leurs r�volutions d�mocratiques ne soient pas d�tourn�es et confisqu�es par des forces anti-d�mocratiques. Pour conclure, il n�est ni saugrenu ni mal venu qu�en plus de sa mission originelle qui est la d�fense de l�int�grit� du territoire et de l�unit� nationale, l�arm�e se doit de respecter, prot�ger et d�fendre aussi la Constitution et la d�mocratie. Ce qui par contre n�est ni fond� ni pertinent � mon humble avis, c�est ce besoin que certains ressentent de singulariser l�arm�e � travers une disposition constitutionnelle, comme si la d�fense de la Constitution et de la d�mocratie n�incombait qu�� elle seule. N�est-il pas en effet du devoir de toutes les institutions de la R�publique, comme de tous les partis politiques et de l�ensemble des
organisations de la soci�t� civile, de veiller au strict respect de la Constitution, de renforcer la d�mocratie et de la prot�ger contre toutes les atteintes. S�en remettre officiellement, � travers une disposition expresse de la Constitution, � la vigilance de l�arm�e et � ses moyens militaires, pour la protection de la loi fondamentale de l�Etat et pour la d�fense de la d�mocratie est, d�un point de vue politique, simplement affligeant � mon avis.


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