N�s sous Boumedi�ne, grandi sous Chadli et Zeroual avant de conna�tre l��re Bouteflika, les quadrag�naires alg�riens auront travers� bien des �poques, assist� � bien des changements et subi autant d�autres. Ils auront connu l��cole fondamentale, l�opulence factice des ann�es 1980 puis la mont�e de l�int�grisme, le terrorisme, l�instauration du visa. Une g�n�ration qui tente de trouver sa place entre celle qu�on appelle post-ind�pendance et celle post-1990. Ils sont aujourd�hui pr�s de cinq millions. Nawal Im�s - Alger (Le Soir) - Plus tr�s jeunes mais encore loin d��tre vieux pour autant, les quarantenaires forment aujourd�hui une g�n�ration qui, � elle seule, r�sume une partie non n�gligeable de l�histoire du pays. N�s alors que l�Alg�rie se remettait difficilement de plus de cent ans de colonialisme, ils assistaient encore en couches � la nationalisation des hydrocarbures sans m�me soup�onner l�impact qu�aurait une pareille d�cision. Peu d�entre eux se souviennent aujourd�hui de l�homme au regard s�v�re qu��tait Boumedi�ne. Ils ont pourtant longtemps entendu leurs grands-parents dire du bien de celui qui a r�habilit� le monde rural. Leurs parents ne seront, par contre, pas tous d�accord avec l�homme. Beaucoup entendront leurs parents, dans l�intimit� des chaumi�res, critiquer le r�gime. De Boumedi�ne, ils ne se rappellent vaguement que de quelques discours retransmis via un t�l�viseur qu�ils n�avaient le droit de regarder qu�aux peu nombreux cr�neaux r�serv�s aux enfants. La mire annonciatrice des d�buts des programmes fait partie des souvenirs ind�l�biles. R�formes et contrer�formes � l��cole Nourris aux mangas japonais traduits dans un arabe ch�ti�, ils feront leur entr�e dans le monde de l��ducation nationale avec plus ou moins de disparit�s. Certains r�ussiront � �chapper � l��cole fondamentale. Les autres auront servi de laboratoires d�essai. Ils verront passer les mesures, les contre-mesures. D�s la premi�re ann�e, ils seront confront�s au clich� de la maman au foyer. �Oumi fi dari� sera martel� � longueur d�ann�e. Les livres scolaires leur ont longtemps renvoy� une image tr�s n�gative de la femme. Elle y est repr�sent�e comme une personne n�ayant d�autres capacit�s que de s�occuper du foyer tandis que le p�re vaquait � ses obligations � l�ext�rieur. Les livres scolaires ont longtemps v�hicul� ces messages subliminaux. Pourtant, les petits en devenir n�ont pas tous �t� �lev�s par des m�res non travailleuses mais ont tous eu droit au discours ambivalent sur le r�le de la femme, sur le projet de soci�t�. Les femmes travaillaient mais n��taient pas les bienvenues dans l�espace public. La nostalgie de Souk El fellah Le week-end ou apr�s les cours, point de course au supermarch�, le mot n��tait pas en vogue. La ru�e vers les Monoprix �tait une institution. Rares sont les quadrag�naires qui ne se rappellent pas aujourd�hui avec nostalgie des interminables cha�nes devant ces structures qui alimentaient bien des fantasmes. On y faisait la queue souvent sans m�me savoir ce qu�on y livrait puisque chaque jour apportait son lot de surprises et de ventes concomitantes des plus insolites. Qui ne se souvient encore des cartons entiers de bananes ? On ne connaissait pas encore la crise mais les quadras seront vite familiaris�s avec le mot. Le 5 Octobre, encore adolescents, ils assistaient � l�embrasement de l�Alg�rie. Beaucoup sont sortis dans les rues, ont hurl� leur col�re sans vraiment comprendre les tenants et les aboutissants de ce qui se jouait. Ils d�couvraient pour la premi�re fois les balles, les chars, la violence. Les ann�es terrorisme Au coll�ge, ils d�couvraient la mont�e de l�islamisme. Les enseignants, laissant de c�t� le programme officiel, se lan�aient dans des pr�ches incendiaires. Les filles se voilaient. Les gar�ons d�couvraient les �joies� de porter le kamis. Les ann�es 1990 arrivaient � grands pas apportant leur lot d�incertitudes, de drames et de d�chirements. Assassinats, massacres collectifs marqueront � jamais les m�moires de ceux qui, ayant grandi dans une Alg�rie insouciante, d�couvraient les bains de sang. Ils d�couvraient �galement le multipartisme. Elev�s pour �tre de bons citoyens acquis � la cause du parti unique, ils assisteront � la naissance de partis dits d�opposition. Un foisonnement de partis politiques qui n�a pas forc�ment signifi� l�ouverture que beaucoup attendaient. Les espoirs de beaucoup �taient d��us. L�exp�rience d�mocratique aura �t� v�cue et appr�ci�e diff�remment. Dans la foul�e, le quotidien El Moudjahid n��tait plus le seul sur les �tals. La libert� de la presse a �t� consacr�e et on d�couvrait les caricatures hilarantes, les commentaires au vitriol et les acerbes critiques. Une exp�rience diff�remment appr�ci�e mais qui aura �t� une soupape dans un climat empreint de r�gression et d�islamisation rampante de la soci�t�. Les crises s�invitent Le lyc�e pour les uns, le d�but de la gal�re pour les autres. L��cole fondamentale commen�ait d�j� � �orienter vers la vie professionnelle�. Mais quelle vie professionnelle ? Les entreprises fermaient par dizaines, le mot ch�mage entrait dans les m�urs. L�ajustement structurel �tant pass� par l�, l��conomie commen�ait � basculer. Les cours du p�trole ayant chut�, l�aust�rit� laissait place � une opulence de fa�ade. Finis les Souks El Fellah achaland�s, les ananas et les kiwis � profusion. L�heure �tait alors aux restrictions budg�taires, aux coupes dans les budgets, aux salaires non pay�s. Encore � l�universit� ou d�j� � la recherche d�un emploi, l�insertion professionnelle s�av�rera un vrai parcours du combattant. Beaucoup choisiront l��tranger. Ils partiront la mort dans l��me � la recherche d�un mieux qu�ils n��taient pas certains de trouver. La travers�e du d�sert aura �t� le lot de beaucoup d�entre eux, tandis que d�autres r�ussiront sous d�autres cieux ce qu�ils n�ont pu r�aliser chez eux. Ils partiront apr�s avoir effectu� des d�marches longues pour l�octroi du visa. Plus citoyen du monde ! Pensant �tre citoyen du monde, le quadrag�naire habitu� dans les ann�es 1980 � faire au moins un voyage par an avec ses parents, � profiter de l�allocation-voyage de mani�re syst�matique, il d�couvrait subitement que d�sormais il �tait persona non grata et que les portes du monde lui �taient d�sormais closes. Ceux qui ont choisi de rester se familiarisaient avec une autre r�alit� : la crise du logement. Apr�s le baby-boom des ann�es 1980, il fallait penser � loger tous ces enfants devenus adultes et ayant des besoins d�ind�pendance qu�ils r�primaient difficilement. Beaucoup deviendront des �Tanguy� � l�alg�rienne : des quadrag�naires vivant toujours aux crochets de leurs parents, souvent dans des habitations exigu�s. Tous ne go�teront pas aux �joies� du mariage et ne seront pas socialement corrects, qui par choix, qui faute de moyens mat�riels n�cessaires � un tel projet. La fin des ann�es 1990 marquait un tournant. Que de fantasmes autour de l�an 2000. Les hypoth�ses les plus fantaisistes �taient avanc�es : voitures volantes, autoroutes g�antes, big-bang auront aliment� l�imaginaire avant que la r�alit� ne rattrape r�veurs et visionnaires. L�amorce des ann�es 2000 sera marqu�e par un d�but de sortie de crise. Le terrorisme battait en retraite. La violence n��tait plus ce qu�elle �tait. Un semblant de vie reprenait. L��conomie semblait red�marrer, boost�e par des cours de p�trole avantageux. Les entreprises �trang�res s�installaient. Les trentenaires de l��poque d�couvraient alors qu�en travaillant dans des multinationales, ils pouvaient gagner plus, s�ouvrir des perspectives. Une cohabitation sereine avec �les jeunes� Aujourd�hui, ayant atteint un �ge qu�on dit m�r, ils assistent m�dus�es � l�arriv�e de �jeunes� n�s dans les ann�es 1980, fra�chement sortis des universit�s avec des ambitions d�mesur�es. La cohabitation donne souvent lieu � d��tonnantes situations. Les quadrag�naires se sentent souvent en d�calage avec des jeunes qui ne partagent pas toujours les m�mes valeurs qu�eux. Ils ont grandi � l��re des cha�nes satellitaires, des jeux vid�o, n�ont souvent pas go�t� aux plaisirs de la lecture. L��cart est souvent grand. Il se mesure au quotidien mais ne constitue pas un frein � une cohabitation pacifique. Les quadrag�naires ont travers� les �poques en s�accommodant des changements et en les adoptant souvent. Ils ont assist� aux fermetures des Souks El Fellah pour applaudir par la suite l�ouverture d�hypermarch�s. Ils ont vu le t�l�phone fixe occuper moins d�espace et applaudi l�arriv�e du portable qui a r�volutionn� bien des habitudes. Ils sont aujourd�hui incollables sur les nouvelles technologies, surfent sur le Web, commentent tout sur les r�seaux sociaux et ne doivent pas se sentir � l�abri d�autres changements. Ils auront, au cours de ces quarante derni�res ann�es, accompagn� les mutations du pays, souvent dans la douleur. Une g�n�ration qui aura autant pleur� que ri, comme toutes les autres ou pas�